Jacobinisme - suite lafitte.yan [Forum Yahoo GVasconha-doman 2006-12-08 n° 7691]

- Jean Lafitte


Le "jacobinisme" : une spécialité française ? lafitte.yan [Forum Yahoo GVasconha-doman 2006-12-03 n° 7640]

Amics,

En faisant la longue mise au point que j'estimais nécessaire sur le
jacobinisme, je redoutais un peu de soulever une de ces disputes qui
détériorent l'ambiance e cette Liste. Je constate avec soulagement qu'il
n'en a rien été et m'en réjouis pour la Liste et plus encore pour notre
attachement à la Gascogne.

Je voudrais seulement apporter ici quelques menues réponses à tel ou tel
passage des messages qui ont répondu au mien. Les voici, au fil de ces
messages, avec leur date :

Le 4, "Txatti" complète mon évocation des enclaves vestiges de l'Ancien
Régime par ces mots :
« Les exemples sont nombreux et l'on peut citer encore la vallée de la
Barousse dirigée vers le Comminges rattachée aux Hautes Pyrénées ...
« Qu'en conclure ? Si l'on n'y voit pas un centralisme mal appliqué, quoi
d'autre ? On ne peut se limiter à l'ambition de certaines huiles locales
(Barrère en Bigorre par exemple). »
En fait, il ne s'agit pas d'une enclave issue de l'Ancien Régime, mais d'un
dépeçage du Comminges dont Louis Dollo a pu écrire, le 5 :
« Pour la Barousse j'ai pu lire quelque part que c'était pour "casser" le
puissant évêché du Comminges. D'où la répartition entre Haute-Garonne,
Ariège, Hautes-Pyrénées et je crois un petit morceau du Gers. »

Cela me parait vraisemblable, car une des grandes idées directrices des
Révolutionnaires était d'unifier la France en faisant disparaitre le
morcellement de l'Ancien Régime, donc les provinces de toutes tailles
auxquelles étaient substitués des départements de superficies plus
homogènes. J'y reviendrai dans un second message sur le Rapport Barère.
Il est établi cependant que pour les Hautes-Pyrénées, la Barousse n'y fut
pas à proprement parler « rattachée » (ce qui supposerait une préexistence
du département) mais intégrée dès l’origine, pour satisfaire aux vues de
Barère qui ne voulait absolument pas de la réunion de la Bigorre et du Béarn
en un même département, et devait donc s’étendre à l’Est pour avoir une
superficie suffisante. Voici par exemple ce qu’on a pu lire dans La dépêche
du Midi du 1er septembre 2005 :
« Il se bat également, lors de la division de la France en départements,
pour la création d’une unité bigourdane ayant Tarbes pour chef-lieu, séparée
du Béarn, car selon lui, "les deux nations sont trop séparées par les mœurs
et une sorte d’antipathie qui rendront à jamais toute liaison impossible" ».
Cela suppose que, pour Barère, les Basques étaient plus compatibles avec les
Béarnais et Gascons du Bas-Adour ou de la région d’Arzac, prise au Marsan,
que les Bigourdans ! Et que l’exaltation révolutionnaire de la « nation
française » n’était pas incompatible avec l’existence d’une nation
bigourdane distincte de la béarnaise...
En tout cas, je n’ai pas le sentiment qu’il s’agisse là d’une manifestation
du centralisme.

Le 4 encore, Louíc écrit :
« Un État centralisé et une langue unique écrasant toutes les autres n’est
en rien une fatalité : cf les nombreux dialectes italiens, les nombreux
dialectes allemands, tchèques, etc. toujours parlés par les populations qui
savent également plus ou moins bien l’allemand standard, etc. Pour ma part,
j’ai toujours pensé que l’uniformisation linguistique de la France était
surtout la conséquence des médias monolingues dans la langue officielle.
Sans les média francophones, les gens n’auraient jamais bien appris le
français à mon avis et auraient généralement conservé l’usage de la langue
locale à la maison. »
« Y a aussi les cas qui me font un peu rêver : les créoles des DOM TOM, le
tahitien, qui sont toujours parlés par la majorité (presque totalité) des
habitants des territoires concernés. Les gens ont beau apprendre le français
à l’école, en dehors de l’école la langue de la communauté reste la langue
locale. Je les envie :-) »
Je vois 3 points dans ces propos :
1° Son évocation d’autres états centralisés qui ont conservé des dialectes
laisse supposer que je me suis mal fait comprendre quand je les ai moi-même
évoqués, car j’ai fait observer que leur Histoire était très différente de
celle de la France, leur unification étant récente. J’y reviendrai aussi
dans mon second message sur le Rapport Barère.
2° Il voit dans le monolinguisme des médias la cause principale de
l’uniformisation linguistique. Je suppose qu’il vise les médias modernes qui
pénètrent dans tous les foyers, donc en fait la radio jusque vers 1960, puis
la télévision. Mais j’estime anachronique d’écrire que sans eux, » les gens
n’auraient jamais bien appris le français [...] et auraient généralement
conservé l’usage de la langue locale à la maison ». Dans mon cas personnel,
né en 1930, je n’ai jamais entendu mes parents (artisan chausseur et
employée des chemins de fer à Bordeaux) parler autrement qu’en français, le
béarnais étant réservé par ma mère à la "bonne" oloronaise quand elle
voulait lui parler discrètement ; or ils n’ont acheté un poste de radio qu’en
1938. Et je pense qu’il en a été de même dans des milliers de foyers issus
de familles où l’on parlait "patois" une génération avant.
3° Il évoque avec envie » les créoles des DOM TOM, le tahitien, qui sont
toujours parlés par la majorité (presque totalité) des habitants des
territoires concernés ». Mais ce sont des isolats linguistiques, où
l’économie traditionnelle, principalement rurale, est encore majoritaire,
leur accès à la « modernité » étant récent.

Dans un second message du 4, Louíc répond à Christian Humbert pour qui
l’anglais « deviendra la langue dominante » du monde entier :
 » Que veut dire langue dominante pour toi ? Que l’anglais serve de langue
véhiculaire, je ne vois pas trop où est le problème. De toutes façons, il y
aura toujours des gens qui n’auront pas besoin de l’anglais car ils n’ont
pas besoin de parler anglais dans leur vie professionnelle ni personnelle.
Je ne vois pas en quoi parler anglais avec ses collègues empêcherait de
parler la langue qu’on veut à la maison, avec ses voisins, etc. C’est une
vision bien française de penser que les langues s’excluent les unes les
autres. Pour moi, elles s’ajoutent. :-) Je parle breton avec mes amis,
français avec ma famille, anglais (entre autres) sur internet, irlandais
avec ma prof d’irlandais, un peu tchèque et allemand avec certains autres
amis sur internet... »
Sans doute a-t-il raison de préférer « véhiculaire » à « dominante », mais
c’est normal pour un doctorant en linguistique, comme il est normal qu’il
ait une telle aisance dans le multilinguisme. Mais je le suis moins quand il
ajoute que » C’est une vision bien française de penser que les langues
s’excluent les unes les autres. » Tout dépend en effet de l’environnement
linguistique du sujet, donc pratiquement de ses besoins et de ses capacités
de communication : un environnement monolingue aboutira à l’atrophie des
autres langues dont le sujet serait capable, et cela n’a rien de
franco-français.
Quant à la langue véhiculaire internationale, voici une pub. vue dans le
Métro pour une école d’anglais : « Ah ! très bon C.V... Et l’anglais ? ».

Louíc ajoute :
« Il me semble qu’il n’y a aucune langue officielle aux USA, d’après la loi.
L’anglais reste de fait la langue véhiculaire dominante, mais aucun texte ne
dit qu’elle a un statut particulier plus qu’une autre. »
Moi non plus, je ne connais pas de texte faisant de l’anglais la langue
officielle des USA, mais j’ignore à peu près tout de la législation
américaine. Je précise néanmoins que le droit américain, de tradition
anglo-saxonne, accorde une place très importante aux "précédents" jugés par
les tribunaux. Je n’imagine pas qu’il y ait un seul jugement qui ait été
rendu dans une langue autre que l’anglais ; en France, justement, l’article
111 de la fameuse ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 sur la justice
n’avait pour objet que mettre le français à la place du latin dans les actes
de justice.

Le 5, Philippe Lartigue écrit notamment :
« Mais, tout comme la disparition du gascon ne sauvera pas un hypothétique
occitan, la disparition du gascon et de l’occitan ne sauveront pas le
français ni celle de ce dernier ne sera bénéfique à l’occitan ni au gascon.
Je ne crois pas au principe des vases communiquants dans ce domaine. Ceux
des Français qui s’arcboutent sur la défense de leur langue en dénonçant les
obscurantismes régionaux se trompent peut-être d’adversaire et ceux qui
dénoncent le français comme cause de tous nos maux se trompent peut-être
aussi. Nous, Gascons, n’avons besoin de personne pour nous saborder avec une
grande efficacité. »
Je suis d’accord sur tout, à 100 %. Et dans mon second message sur le
Rapport Barère, je reviendrai sur le rôle des élites méridionales dans le
confinement des langues d’oc dans le milieu rural archaïsant.

Le 6, Guilhem Pépin nous fait bénéficier de la lecture d’« un vieil article
de 1907 portant sur la Gavacherie et les gavaches de Monségur (en
Nord-Bazadais, dép. Gironde) ». On y rappelait que ces gens venus d’oïl dans
un Entre-Deux-Mers dépeuplé par la guerre de Cent ans y avaient parlé
 » gavache » jusqu’au XXe siècle, c’est-à-dire un mélange de dialectes d’oïl.
Cependant, le gascon tendait à le remplacer.
Et Guilhem d’observer que si la Guerre de 14-18 avait été un facteur
déterminant dans le recul du gascon, celui-ci » bien que non-officiel et
n’étant plus la langue des élites, était toujours dynamique et conquérant »
avant le XXe siècle : » Il allait dissoudre le gavache de la gavacherie de
Monségur, mais aussi il continuait de s’étendre peu à peu en Pays Basque au
détriment du basque. [...] Dans de telles circonstances, il est évident que
nous avons eu le manque de chance de nous trouver dans l’Etat français !
Dans n’importe quel état voisin, le gascon aurait été aujourd’hui en bien
meilleure santé. »
J’en suis beaucoup moins sûr : déjà, le gascon était essentiellement rural,
outil de communication d’une société dont les modes de vie et de production
avaient peu évolué au cours des siècles ; tout comme le "gavache" ou le
basque. Qu’il ait été préféré par des Gavaches ou des Basques dans des
secteurs ruraux où il était dominant me parait davantage dû à la faiblesse
sociolinguistique du gavache et du basque en ces endroits qu’a son propre
dynamisme.

Le 6 encore et enfin, Philippe Lartigue donne son accord complet à mon
analyse du jacobinisme. Et d’ajouter :
 » Le terme est aujourd’hui tellement galvaudé qu’il ne signifie plus ce
qu’il veut vraiment dire. Tout comme sont désormais galvaudés les concepts
de "république" et de "citoyen" qui sont utilisés à qui mieux mieux de
l’extrême gauche à l’extrême droite [...] ».
À mon tour d’être tout à fait d’accord avec lui.

Amistats a touts.

J.L.

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