Bésaume

Labretonie


 

 

 

 

 

 

Grans de sau

  • J’écoutais des enregistrements des paraboles de l’enfant prodigue dans les parlers de l’Agenais non-gascon, quand j’ai été surpris à l’écoute de la version du village de Labretonie.
    ALLOc : Labretonie : Parabole

    Je retranscris le début de la parole, ainsi que cela est proposé par les annotations sur le site en lien, en graphie alibertine, avec parfois des choix contestables :

    Un òme n’aviá que dus gojats.
    Un homme n’avait que deux fils.

    Lo pus joine diguè a son pair :
    Le plus jeune dit à son père :

    « Ei temps que siasque mon mèstre
    " Il est temps que je sois mon maître

    e que hasque d’argent ;
    et que j’aie de l’argent ;

    fau que pòsque me n’anar
    il faut que je puisse m’en aller

    e que vesque de peís.
    et que je voie du pays.

    Partajatz vòste bien e donatz-me çò que divi auver. »
    Partagez votre bien et donnez-moi ce que je dois avoir".

    Certaines transcriptions me posent problème, passe encore sur la réfection des s du pluriel, mais je n’entends pas du tout auver pour "avoir" mais plutôt quelque chose comme "awgue" (donc auguer en alibertin).

    Ce qui m’a surpris, c’est la forme mise en gras. "que hasque" : un h gascon ?

    Le locuteur, plutôt que d’avoir de l’argent, aurait traduit faire de l’argent, et utilisé alors une forme au subjonctif du verbe gascon faire ?

    J’ai écouté et réécouté : il n’y a manifestement pas élision, c’est bien "que asque", et non "qu’asque" ; en revanche, il est plus malaisé de savoir s’il y a un h aspiré.

    J’ai donc voulu penser à une forme gasconne qui aurait voyagé : Labretonie n’est pas loin des terres gasconnes de Gontaud. Mais la fin de la parabole permet une autre hypothèse :

    « Fasquère un pecat quand volguèri vos quitar
    " je fis un péché quand je voulus vous quitter ;

    hasquere grand tòrt
    j’eus grand tort,

    écouter e fau que me puniguetz ;
    et il faut que vous m’en punissiez, [...]

    Là encore, je ne suis pas persuadé que l’on entende un h aspiré, dans la forme du verbe avoir au prétérit première personne. Ce qui est certain en revanche, c’est que le verbe avoir prend une forme tout à fait étrange dans ce parler.

    Le verbe auguer "avoir" semble avoir été refait sur le modèle des verbes en -er, ce qui n’a rien d’illogique. Mais ce sont les formes du prétérit qui sont très étonnantes, comme refaites sur le modèle du subjonctif en -sc-.

    En cherchant sur Gasconha.com, je suis tombé sur une transcription de la parabole en parler de Pellegrue par Gaby, en Entre-deux-Mers, et l’on trouve, au moins pour le subjonctif, des formes pour avoir en -sc- :

    Un homme n’abait que dus gouyats. Lou pu jeune dissu à son paï : « Ey tén que sisquy mon meste et qu’asquy de l’argén.

    Mais à la relecture, je n’en suis plus bien certain : n’est-ce pas là encore le verbe faire ?

    Au final, l’énigme n’est pas résolue, et le débat est ouvert : a-t-on une preuve d’un h gascon à Labretonie ? Ou bien s’agit-il d’une forme particulière à ce micro-dialecte ?

    Je renvoie sur un débat passionnant qui a eu lieu sur le site au sujet du pays de Bésaume.


    Le Bésaume agenais est-il gascon ? A la recherche de pays emblématiques

  • Pour ce qui est de la toponymie, Labretonie est typiquement agenais, sans aucune forme qui soit nettement gasconne et qui laisserait penser que la langue du village s’est guyennisée :

    1. Le toponyme Bramepan laisse entendre que l’on prononce le n final était prononcé, et l’écoute de la parabole, en lien ci-dessus, montre bien que c’était le cas (cf digun).

    2. -l- était vocalisé il semble : kawfà "chauffer", "aw cap de" dans la parabole. En toponymie : Garsaou (mais ce peut être un patronyme gavache Garceau adapté), Mourau, Maudina, Paumarau, ... mais on a Laboulbène.

    Il ne s’agit pas nécessairement d’un trait gascon, mais plus probablement d’une influence limousine, du fait de migrations qui avaient créé un micro-dialecte dans cette zone.

    3. En toponymie, f- est très stable : Fontigoute, Marquefabe.

    4. On détecte des infiltrations gavaches, au sens large, y-compris le Limousin et l’Auvergne : Coiffard, Coutenson, Garsaou (?), Jourde, Limoge, Limousin.

    5. Un lieu-dit est plus étrange, c’est Grapey, qui pourrait attester de la forme nord-gasconne du suffixe -ariu, face à ce qui devrait être -ié.

    Dans tous les cas, il faut toujours une étude plus poussée, notamment pour vérifier s’il ne s’agit pas d’un patronyme.

  • Pour moi, c’est clair : c’est juste la forme locale du verbe "auguer". Il le dit plusieurs fois et on n’entend pas de "h" aspiré. Pour le fun, j’ai transcris la parabole dans une version plutôt différente de "l’officielle". Je me demande quand-même comment les transcripteurs pouvaient être aussi paumés ? Je trouve ça terrible, soit d’avoir ’embauché des gens pas forcément compétents pour la transcription, soit d’avoir fait de la normalisation dans ce qui était sensé être l’essence même du dialectalisme occitan...
    Je ne suis pas du tout connaisseur de ce parler mais je suis habitué à faire des retranscriptions en pagaille, alors je finis par avoir l’oreille... J’ai quand même laissé les finales muettes, histoires que ce soit un peu compréhensible. Toutefois, quand je vois ces parlers-ci (de type limousin ?), je me dis que les gascons ne sont pas les plus malheureux en matière de normalisation...

  • Un òme n’aviá que dus gojats. Lo pus joeine diguè a son pair "ei temps que siesque mon mèstre e que asque d’argent. Fau que pòsque me n’anar e que vesque de peís. Partatjatz vòste bien e donatz-me çò que diva auguer. Òc mon gojat diguè le pair, coma voràs. Sès meissant e siràs punit. E après, durbiguè un tiroir, partagè son bien e fasquè duás parts. Quauques jors après, lo meissant se n’anguè del vilage en fant le fièr e sans díder adiu a digun. Traversè bravament de boïgas, de bòis e de rius.
    Au cap de quauques mes, divè vénder ses abilhaments a una vièlha femna e se loguè per èstre vèilet. L’envoièren den les pèças per gardar les ases e les bèus. Alors, sisquè bien malerós ? N’asquè pu de lieit per drumir la nèit, ni de fec per se caufar quand aviá fred. Aviá quauques còps telament fan, qu’auriá bien minjat ? falhas de caulet e ’quels fruits porits que minjan les pòrcs. Mes digun n’i donava ren.
    Un serr, lo ventre voite, se dissèt tombar sus una soca e gueitava per la fenèstra les ausèus (?) que volavan leugèrament. E après, vesquè aparéstrer den lo cièl, la luna e les estelas. E se diguè en plurant : "là-bas, la mèison de mon pair ei plèna de vèilets. Qu’an de pan, de vin, dels èus e de fromage, tant que’n vòlen. Pendent ’quò (?) temps, mòre de fan ici. E ben, vau me levar, irèi trobar mon pair e li dirèi : fasquère un pecat quant volguère vos quitar, asquère gran tòrt e fau que me puniguetz. Jo sabe ben. M’apèlitz pu vòste gojat, tractatz-me coma lo darrèr dels vòstes vèilets. Estère copable mes m’einojava lonh de vos.

  • Après, j’ai eu des hésitation sur "lo" et "le", on dirait qu’il dit l’un et l’autre. Visiblement, il dit aussi "la" au singulier "e "les" au pluriel.
    "vòste" m’a aussi posé des problèmes, il m’a semblé entendre "vòstre" quelques fois. J’ai du laissé traîné quelques influences graphiques dues au gascon, je pense !

    Enfin, en relisant la transcription "officielle", je note pas moins de 38 différences avec ma version... Et encore, ce n’est pas mon parler, donc je ne sais pas l’adapter comme il faudrait...

  • On reconnaît bien un dialecte du type ’’duracois-bergeracois-libournais’’ (qu’on pourrait aussi qualifier de ’’périgord’’ ou de ’’guyennais’’ par rapport au gascon bordelais ou marmandais), à l’intersection entre les aires dites gasconne, limousine et languedocienne.

    Les traits ’’languedociens’’ sont certes les plus nombreux : que sièsque, del, fasquèt, anguèt, -iá (limousin aussi), ... Curieusement , le languedocien est en -it (nèit, gueitar, lièit) : rattachement au dialecte agenais ou influence du gascon ? Il y a peut-etre les deux.
    Influence limousine : consonnes finales muettes, au ?, èstre, ausèu, mòre
    Influence gasconne : vorràs, au ?, vénder, mès, leugèrament, -rèi
    Et bien d’autres caractéristiques qui sont peut-être locales, qu’il faudrait étudier.

    Plus particulièrement à propos de asqui, bien sûr que cela signifie ’’que j’aie’’. Le verbe faire garde le ’’f’’ (je fais : fau jusqu’en Fronsadais et à Pellegrue ; on trouve aussi fèsi) . Il y a toute une série de subjonctifs avec -squ- , cela concerne pour la Gironde la région de Pujols, Ste Foy la Grande, Castillon et Pellegrue. (Je m’appuie sur l’enquete Bourciez)
    Citons :
     que je sois : que sasqui, que sisqui, que sièsqui (formes voisines : que sii, que saishi, que siqui, que sissi, que sichi, que sigi, que sagi, que sage/sege/sie, qu’èsti)
     que j’aie : qu’asqui (formes voisines : qu’augi, qu’agi, qu’age)
     que je voie : que vèsqui (formes voisines : que vesi, que vegi)

    Sur Grapey : je crois qu’il s’agit du patronyme rare, normand et/ou franc-comtois, Grappey.

  • A titre personnel, je ne vois pas les traits "languedociens" que tu identifies Gaby, notamment, je n’entends pas del mais une forme vocalisée, qu’il est impossible de dire d’influence gasconne ou limousine, les deux influences jouant à plein dans cette "Périgorderie", pour reprendre le terme d’Andriu de Gavaudan.

    Quant à mon interrogation initiale sur la forme asque au subjonctif 1ère personne pour avoir, elle était motivée avant tout par l’absence d’élision dans "que asque". Et avant toute chose, l’originalité est moins celle du subjonctif, que celle de la forme au parfait de ce même verbe auguer : asquè pour "eut".

    Pour le reste, nous avons clairement un micro-dialecte qui tient de tous ses voisins, ce que le phénomène de "périgorderie" semble bien expliquer, à savoir l’apparition d’un parler métis. Reste à comprendre les raisons qui ont vu ces collines d’entre Garonne et Dordogne repeuplées.

  • Il est vrai que je n’ai pas écouté l’enregistrement, c’était juste à partir de la transcription.

    Que asque ne me choque pas, d’une part parce qu’on peut dire en certains lieux que i a, d’autre part parce que cela vient peut-être uniquement de l’élocution de la personne enregistrée.

    A noter qu’on observe aussi asque avec comme infinitif aver et ager.

  • Es tem(p)s que ... est je pense un forme correcte en oc, mais S’en va tem(p)s que ... est la forme la plus naturelle ( je ne sais plus depuis quand j’ai moi-même arrêté de dire en français « il s’en va temps de partir » ).
    De nombreux enregistrement de la Parabole donnent cette seconde forme, avec donc une résistance au calque français dans la traduction.


Un gran de sau ?

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