Il est habituel de dire que le val d’Aran, ce morceau de Comminges qui par les aléas de l’Histoire s’est trouvé dans le royaume d’Aragon, est intégralement sur le versant nord des Pyrénées, dans le bassin de la Garonne.
En réalité, l’analyse des frontières montre deux exceptions. L’une des deux est la vallée de Molières, "vall de Mulleres" sur les cartes espagnoles, donc en catalan, où se trouve "Er Espitau de Vielha", un refuge.
Cette petite annexe gasconne sur le versant méditerranéen est constitué des sources de la Noguera Ribagorzana, la rivière qui file droit vers le Sud, faisant grosso modo la frontière entre l’Aragon et la Catalogne, une frontière historique plus qu’humaine, car les deux rives, à la réalité, parlent une même langue, dite catalane depuis le XIXème siècle, même si la toponymie, tout comme les isoglosses, montrent plutôt un croisement du catalan et de l’aragonais.
Il convient pour s’en convaincre de regarder les toponymes des environs, côté catalan : Comaloforno, Comalesbienes, Cap de Copiello, Colieto, Barruera, ... De nombreux toponymes en Catalogne ont une apparence aragonaise, avec diphtongue ou maintien du -o final issu du latin -u(m), ce qui montre le recul de l’ancienne forme romane propre à la zone, dite "ribagozanais ancien", substituée par le catalan.
Ce phénomène a été étudié par le grand linguiste catalan Corominas, mais est quelque peu mis en sourdine de nos jours, dans un contexte d’opposition entre les deux nationalismes, aragonais et catalan, pour la possession de ces terres (l’affaire de la Franja, qui a connu récemment un nouvel épisode, avec la restitution des biens du monastère de Sijena à l’Aragon, qui se trouvaient au musée de Lérida, après l’intervention de l’article 155 sur la Generalitat).
Sur la question des toponymes de Ribagorza, voici un article intéressant. Notez que nous connaissons côté français un cas assez semblable, avec le Séronais en Couserans, où la toponymie est plus gasconne que la langue dans le dernier état, qui avait été vraisemblablement "languedocianisée", par la proximité de Foix
Áreas lingüísticas modernas y antiguas en Ribagorza : aportaciones de la toponimia
Toujours est-il que la haute vallée de la Noguera Ribagorzana est en territoire aranais. Difficile de dire si le gascon y était parlé naturellement, s’agissant manifestement d’un territoire qui n’était pas habité autrement que par l’entremise du refuge de l’Hôpital de Vielha.
En tout état de cause, la toponymie figurée sur l’équivalent de l’IGN en Espagne est souvent gasconne : "Era Ribereta", "Era Cometa", "Abetar de Conangles", "Era Escaleta de Rius", ... même si des formes orthographiques catalanes, peut-être issues d’une version avant normalisation linguistique, subsistent : "Vall de Conangles". Un très intéressant "Lo Pla" semble attester la présence de l’ancien article "lo", face à "el" du catalan standard, qui était l’article encore usité en Ribagorce catalane, avant normalisation, excessive à mon sens, qui a imposé la forme de Barcelone.
Nous sommes dans tous les cas face à un lieu de passage et de transition, fatalement mêlé, mais qui a le mérite de faire un lien entre les différents pays des Pyrénées. A noter que les lieux sont dominés par l’Aneto à l’Ouest, et le Bessiberri à l’Est, deux oronymes nettement euskariens, mais c’est une autre histoire.