Voici les versions de la Parabole du fils prodigue pour la quasi totalité du Pays de Born, de Sanguinet à Saint-Julien-en-Born. Leur étude précise est une excellente source de renseignements sur le gascon parlé à une époque où le français commençait à peine à se répandre dans la population. Du Nord au Sud, on voit la progression de l’influence girondine, celle d’un gascon plus francisé, qui arrive déjà, à l’époque, jusqu’à Mimizan. On observe aussi les prémices de la disparition des véritables prétérits, par exemple, au profit des formes francisées venues de la Gironde, du Pays de Buch plus précisément (que hit et que bit pour que hadou(t) et que bedou(t) par exemple. On voit, en presque en direct, le processus de dégasconnisation et de corruption de la langue.
J’ai étudié en détail les presque 60 versions de cette parabole, depuis le Pays de Buch et la Lande girondine jusqu’au Marensin et au Pays morcenais. Mais l’étude pour le seul pays de Born est très parlante puisque notre contrée occupe un espace Nord-Sud tout a fait signifiant quant aux évolutions récentes de notre dialecte landais. En faisant ce travail, on a la confirmation qu’il existait, jusqu’au début du XXème siècle, un gascon très canonique et que cette langue a connu une francisation inexorable à partir de la fin du XIXème siècle. J’ai pu établir ce diagnostic grâce à un travail minutieux sur cette Parabole, sur la langue de Félix Arnaudin, sur l’ALG et aussi grâce à mon enquête personnelle de 1990-1992 qui concerne les derniers locuteurs à peu près compétents.
L’utilité d’un tel travail est de pouvoir élaborer un standard dialectal pour le Born, et plus largement pour le parler noir (et occidental), qui ne soit pas une trahison de nos parlers vernaculaires et qui évite aussi le piège de l’ultra dialectalisation. Vous constaterez en lisant ces 11 versions que vouloir absolument conserver intact le parler de chaque commune est un obstacle majeur à la transmission de la langue, à sa très éventuelle pérennisation, du fait de l’infinie variété des formes. Je suis en cela en accord total avec Danièl. Aucune langue ne peut être enseignée en respectant une telle variété quasi "idiolectale". Donc, une bonne connaissance et une bonne étude de toutes ces variantes permet l’établissement d’un standard dialectal bien plus fin que celui des normalisateurs occitans, lesquels n’ont généralement aucune connaissance de toutes les subtilités gasconnes, quand ils ont d’ailleurs une connaissance du gascon.
C’est l’esprit qui m’a animé quand j’ai donné ma version standardisée de la parabole, restituant les formes les plus archaïques de ma zone dialectale (elles est en ligne sur le site). Je pense en effet que nous devons restaurer, chaque fois que nous le pouvons, les formes propres au génie gascon du lieu, quand elles sont par chance documentée comme c’est le cas pour la majeure partie des dialectes gascons. S’aligner constamment sur la forme la plus corrompue et francisée, en arguant que c’est comme ça que les vieux disent, est une grave erreur. Les vieux d’aujourd’hui sont nés à la fin des années 20 et dans les années 30, à une époque où le gascon était déjà très altéré. Notre base de travail doit être le gascon parlé par la dernière génération compétente, c’est à dire celle née avant la première guerre mondiale et, encore mieux, celle née avant l’école de Jules Ferry. Ce n’est pas si lointain que ça et ne me semble pas aberrant. Moins aberrant en tout cas que de promouvoir un gascon totalement dénaturé au prétexte que c’est celui que parlent les vieux.