L’ORBISSANA. Un aveugle qui voit clair… Des noms gascons pour l’orvet.

- VERDIER Gilles

ua orbissana
ua orbissana

« En tot dalhar lo prat de l’Aneta, que trobam de clar en clar ua orbissana… »

Dans le Rustan (65), l’orvet est appelé « ua orbissana » [ourbi’chano] et plus au sud « un orbissan », « un orbasan »….
Vers Rabastens de Bigorre, on a "ua bèrbissana" [bèrbi’chano].

Etymologie.
On reconnait dans ces noms la racine «  orb » présente dans l’ancien occitan « orb/orp » adj.= aveugle du latin populaire « orbus » = aveugle. Cette étymologie est présente aussi dans le français « orvet ».
On a en effet longtemps pensé en Europe que l’orvet était aveugle...! Alors qu’il voit parfaitement. Ainsi, dans beaucoup de langues, on le nomme lézard ou serpent aveugle :
• allemand : blindschleiche (lézard aveugle).
• Anglaise :blind worm
• Italen : orbetto
• Roumain : vierme orb
• Basque : sugitsua (serpent aveugle)
C’est aussi le cas dans le gascon de Bayonne peut être par analogie au basque : « sèrp avugle/bòrni  »

Une autre particularité de l’orvet explique d’autres noms gascons : il a la faculté, comme un lézard qu’il est, de se couper la queue pour s’échapper. On a donc :
"serpent de veire" (Magnoac),
"sèrp de vèire" (Marmandais).

On a aussi la légende d’un animal à la méchante morsure…et de plus mortelle si on est mordu le vendredi !!! Rassurons tout le monde, si l’orvet peut en effet mordre, sa morsure est tout à fait inoffensive car dépourvue de venin.
"Eth pica-divendres" (Comminges), "lo divendres" (Médoc et nord des Landes)
"Lo popa-sang" (Comminges) : il sucerait aussi le sang..!

En pays Toy, on nomme les reptiles du nom général de « eras cucas » et l’orvet est « era cuca negra » ou « era cuca lusenta ». C’est une spécialisation unique de ce mot gascon et catalan « cuc/cuca ». En effet partout ailleurs, il sert à composer des mots désignant soit des petites bêtes (insectes, larves…) soit des batraciens (crapaud, rainette…).

Et puis il y a le nom qu’on lui donne dans l’Astarac : « l’anolh ». Le rapport avec « un anolh », mot gascon pour désigner le bovin d’un an, ne pourrait s’expliquer que si à l’origine on avait « un popa-anolh ». Les histoires sur les bestioles qui tètent les bovins sont multiples….

Et ce n’est qu’un choix de termes… le gascon a pour désigner l’orvet une multitude d’autres mots…

Fait curieux, « un orbissan » veut aussi dire un « orgelet » dans le gascon des côteaux de Bigorre. On a donc un même mot pour dire un orvet (réputé aveugle..!) et un orgelet (qui affecte l’œil).
Dans le Rustan, on a un changement de genre : « ua orbissana » pour l’orvet et « un orbissan » pour l’orgelet. Ce dernier mot se dit aussi « un vespilh » (qui pique l’œil comme la « vèspa » pique !).

Grans de sau

  • chez moi dans le nord du Béarn mais aussi dans le Piémont ( région de Nay) l’orvet est appelé Arvacan. A moins que ce soit Arbacan...car je n’ ai. aucune idée de l’étymologie du mot

    • Per Noste donne bien, entre autres mots pour orvet, « erbacan | arbecan | arbacan » ; c’est donc le b qui est choisi en graphie alibertine par Per Noste.
      Comme il y a aussi hissacan dans la liste, qu’on peut analyser en hissa-can (pique-chien), peut-on décomposer ainsi arbacan et consorts ?
      arba et ses variantes doit plutôt venir de la racine orb (aveugle) évoquée dans l’article ci-dessus, et qui donne aussi le français orvet.
      Palay donne aussi obrecàn, pour les Landes, en précisant que orbecàn est plus correct, mais encore arbacâ ; orbacâ, èrbecâ, barbacâ, barbecâ... ! orbissana, orbacan, hissacan... = orvet

  • L’orvet en Marensin est connu sous le nom de "hisse-can" (excite - chien).

  • Echange des plus intéressants...
    Pierre Bec * a étudié cette abondance de noms en gascon pour l’orvet.
    Pour lui, les gascons n’ayant plus pratiqué l’adjectif “òrb” pour aveugle, le sens premier d’“orbissana” fut oublié. Les locuteurs ont alors adapté phonétiquement l’ancien “orbissan/orbissana/orbican” pour se rapprocher d’autres motivations de sens :
    • Motivation sur chien par adaptation de la dernière syllabe : “erbacanhòt, òbracan...
    • Motivation sur herbe sur la première syllabe : “èrbacan, èrbacan, erbacanhòt...(Béarn, Landes)"
    • Motivation sur arbre sur la première syllabe : “arbacan, arbecan” puis franchement “arbolan” (Ariège)
    • Motivation sur barbe : “barbacan...” (Béarn)
    On a aussi, comme le précise arregat, les noms issus d’un important élément qui caractérise les animaux maléfiques : la piqûre.
    Lo hissacan (Marensin) de “hissar” = piquer.
    On a même en vallée d’Aure la motivation du mot “gorg” = trou d’eau bourbier. Attraction motivée par le fait que les serpents vivent souvent dans les fonds d’eau et que le mot “gorg” lui-même est assez maléfique.
    Eth gorgassan.
    ...et la liste est toujours ouverte...

    * Pierre Bec. Formations secondaires dans noms d’animaux en gascon (RLR)

  • Un copain, Roger Linxe, cheminot à Tarbes dont la famille était des Landes, appelait les grandes couleuvres vertes et jaunes qu’on voit le long de l’Adour "un cinglan".
    Pour nous, ce n’était pas un nom connu (a nosta, qu’ei ua "colòbra" o ua sèrp) et ça nous étonnait.
    J’ai retrouvé bien plus tard ce mot dans l’atlas linguistique de Gascogne à la feuille "couleuvre" effectivement. Roger rapportait donc en Bigorre ce nom landais.
    Arnaudin emploie le mot pour l’orvet...est-ce une erreur ou un glissement de sens local ???


Un gran de sau ?

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