"La table du Sud-Ouest et l’émergence des cuisines régionales" 1700-1850 Philippe Meyzie

- Tederic Merger

[Note de lecture partielle. Le livre semble être en accès limité sur openedition.org, mais j’ai pu lire notamment le Chapitre VIII : L’émergence d’une gastronomie régionale et d’une image de la cuisine du Sud-Ouest aquitain (1750-1820)]

L’espace de l’étude : "le Sud-Ouest aquitain"

L’auteur Philippe Meyzie [1] nomme ainsi, grosso modo, l’ancienne région Aquitaine, incluant le Périgord (non gascon, mais ambassadeur de premier rang pour le Sud-Ouest culinaire), et centrée à Bordeaux (gasconne, elle, surtout à l’époque considérée, mais pas qualifiée ainsi par l’auteur).
D’emblée, il y a donc un décalage avec notre champ d’observation, qui est le triangle gascon ! Mais nous sommes habitués à ce problème de cadrage, et à composer avec les appellations "Sud-Ouest" et "Aquitaine" qui souvent recouvrent notre chère Gascogne.

Une cuisine régionale reconstruite, expurgée, adaptée au public "étranger"

Dans la représentation de la cuisine du Sud-Ouest aquitain construite par les livres de cuisine des 18-19e siècles à destination du public des riches parisiens, le Périgord, avec sa truffe, fait jeu égal avec Bordeaux, qui brille grâce à ses élites qui cultivent les plaisirs de la table.

Périgord et Bordeaux supplantent le reste :

 L’Agenais fait pâle figure à côté du Périgord.

 Les Landes aussi, trop frugales ! La cruchade ou l’escauton ne parle pas aux riches parisiens, davantage intéressés par les volailles, jambons, terrines...
Le confit, bien présent dans la réalité culinaire landaise, leur arrive comme spécialité bayonnaise (comme le jambon), parce que les barils de confit transitent par le port de Bayonne... un peu le même phénomène qui fait du béret fabriqué en Béarn un béret basque !

La Gascogne est peu nommée par l’article de Meyzie, qui considère plutôt (en dehors du Bordelais) "les Landes" (grandes ou petites), l’Agenais, Bayonne, le Béarn...
Mais l’appellation "Gascogne" apparait dans les livres de cuisine qu’épluche l’auteur ! Elle figure donc dans le "paquet Sud-Ouest" qui a été composé dès le 18e siècle ; mais à cette époque, on ne parlait pas encore de "Sud-Ouest", la Guyenne et la Gascogne existaient encore officiellement...

Ces livres de cuisine attribuent - un peu légèrement - des étiquettes géographiques :
 à la Bayonnaise (s’il y a du jambon)
 à la Gascogne (sic... s’il y a de l’ail ou si c’est cuisiné à l’huile) : "artichauts à la Gascogne"
 à la Périgord, à la périgourdine (s’il y a de la truffe)
 à la Bordelaise (s’il y a des échalotes !)
 à la Béarnaise
La Guyenne apparait peu. Déjà...

Mais sous ces étiquettes vendeuses, les recettes doivent surtout satisfaire le riche public parisien, le dépayser un peu, mais sans bousculer ses habitudes gustatives.
L’auteur parle d’un "modèle culinaire exogène".
La cuisine du "Sud-Ouest aquitain" (sous les appellations diverses ci-dessus) est donc expurgée ; sont méconnues ou dédaignées ("n’entrent pas dans l’image de la gastronomie de cette province") :
 la cruchade
 les châtaignes (dont on apprend qu’elles étaient consommées toute l’année)
La châtaigne selon Alain Dutournier

 le porc confit
 les oignons (aussi importants que l’ail dans la réalité, mais moins pittoresques !)
 les légumineuses
Donc, une bonne partie de l’alimentation du peuple gascon !

L’ail, totem gascon !

Pour l’ail, c’est un peu spécial : les gens du nord - "les parisiens" pour simplifier - y sont plus ou moins réfractaires.
C’est le cas aussi de Mme Schopenhauer, la mère d’un philosophe allemand, en voyage dans la région.
Stendhal évoque à plusieurs reprises des gascons qui sentent l’ail, ça ne doit pas être trop flatteur de sa part.

Mais les recettes "à la gasconne" vendues aux parisiens en comportent volontiers, c’est même comme une marque de fabrique !

Et le foie gras ?

S’il était déjà connu, il n’était pas encore vendu aux élites du nord, semble-t-il. A creuser...

Quelques traits culinaires spécifiques

L’auteur Meyzie les concède au Sud-Ouest aquitain, indépendamment de la représentation donnée aux riches estrangers :
 "un goût évident de la bonne chère" : voici un trait qui colle toujours au Sud-Ouest et à la Gascogne ! (mais ma prof de philo de terminale nous a dit de nous méfier des évidences)
 "l’omniprésence de la viande" : idem !
 les mode de cuisson : grillade, rôti à la flamme, friture, plus qu’ailleurs.
 modes de conservation très utilisés : le confit et la salaison

pible, piple : bolet rugueux


 l’oie, les champignons : ces deux là ne sont pas ignorés par la cuisine d’export !

Quelques appréciations positives de la cuisine populaire

Quelques textes d’époque, écrits parfois par des visiteurs, prennent cependant le contrepied d’une cuisine d’export pour riches, et valorisent la cuisine populaire régionale, simple mais bonne.
ex : « paste tournade : nourriture peu dispendieuse et très saine »
L’un de ces textes parle même de "richesse et abondance".
Là, il y a peut-être aussi une spécificité régionale : une variété, une profusion, permises par... le climat ?

E adar@ ?

Le "Sud-Ouest" et plus précisément la Gascogne ont hérité de cette imagerie culinaire exogène construite il y a deux siècles.
Le contenu de cette cuisine, les recettes, ont peut-être bien changé ; le foie gras est devenu emblématique.
Mais la réputation régionale de bonne chère est conservée !
Des cuisiniers gascons ou "du Sud-Ouest" continuent à monter à Paris, mais aussi maintenant à New York, Londres, peut-être à Tokyo et bientôt Pékin...
Les célébrités g(v)asconnes en 2019 : les chefs !

D’ailleurs, parfois ils "redescendent" en Gascogne.
Un peu moins dans le prestige, des fermes-auberges cuisinent les produits du terroir.

La cuisine familiale, elle, assume-t-elle son héritage ?

Avec le regard de l’estranger qui continue à peser (trop ?) lourd, c’est ça qui peut nous préoccuper, à Gasconha.com.
Transmission de la cuisine gasconne Hit-parade de la piperade e tout acò...

Et si on essayait de construire un modèle culinaire endogène, ou, en termes moins intellos, une cuisine qui ne soit pas seulement pour vendre aux touristes ?

Coque de Verdelais

Voir en ligne : https://books.openedition.org/pur/6185

Notes

[1professeur à l’Université Bordeaux-Montaigne, ce qui peut expliquer que le champ d’étude de son livre soit centré sur Bordeaux

Un gran de sau ?

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