Gascon littéraire unifié ? LAFITTEJann [Forum Yahoo GVasconha-doman 2006-10-12 n° 7270]

- Jean Lafitte

Daniel a écrit avec pertinence :

> En effet la sauvegarde
> du gascon passe par la création d'une langue littéraire, dotée d'une
> grammaire unifiée, appelée à devenir langue standard sous la double action
> d'un sentiment réel d'appartenance et d'institutions ou de
> quasi-institutions capables de prendre les mesures qui s'imposent pour
> rendre vraiment efficace l'enseignement de ladite langue.

Au risque de scandaliser les non-Béarnais de la Liste, je vais rappeler que
cette langue littéraire à peu près standard existe, c'est le béarnais
classique, celui qu'avait adopté le Bigourdan Camélat et son disciple
armagnacais André Pic (agrégé d'espagnol), celui que chantaient les
Médoquins à la fête de la Terre de Soulac, selon le conte en vers de Gric de
Prat (Dr. Romefort du Taillan + 1938) :

Paréch qué tout lou joun bay falé qué résoune
Lou luth méloudious dé la lèngue gascoune ;
Qué fifres, galoubéts y presteran lus souns,
E n¹énténdran cantá qué dé biélhes cansouns :
Aquet « Bét cèu dé Páu », qué souèn éntendèuen,
Quand noste práube pay qué sous mourmécs chéguèuen
Lancèue à plène bouas dén lou pétit oustáu :
« Moun Díu boudri rebeyre un tchic lou cèu dé Páu ! »
Bam rétroubá tabé déns un Basque qu¹éncante :
Lou Calumét poussén : « Roussignoulèt qué cante »
E nous émpli lou có dé la douce cansoun :
« Aquères mountagnes, qué tan háutes soun. »

Et encore celui que Lo gascon lèu e plan de Michel Grosclaude a répandu dans
toute la Gascogne et dont Pierre Bec disait dans la préface qu'il s'agissait
« d'un gascon standard, en gros le béarnais, consacré par une littérature
écrite et des traditions de parole sans doute plus importantes qu'ailleurs
[...] »

Voici enfin ce qu'en disait Jean Passy (1866-1898), observateur "étranger"
au pays qui fut archiviste des Basses-Pyrénées, dans son précieux ouvrage
« L'origine des Ossalois », pp. 42-50, passim :

72. Actuellement, le Béarnais littéraire [...] est plutôt un dialecte, qui,
soit en vertu d¹une tradition, soit parce qu¹il est celui de la capitale,
soit parce que, réellement, il a quelque chose de particulièrement
harmonieux, a pris de lui-même la suprématie sur les autres, et s¹impose
volontiers, comme l¹ancien Provençal, aux littérateurs et aux orateurs
locaux. Il n¹a pas, bien entendu, une forme absolument définie ; il subit
dans son vocabulaire, dans sa grammaire et surtout dans sa prononciation,
l¹influence du patois natal de ceux qui le parlent. C¹est une tendance
plutôt qu¹un fait concret. Cependant le Béarnais littéraire actuel serait
assez exactement représenté par le patois des environs de Pau, Gan, Morlaas,
si on remplaçait un petit nombre de localismes de cette région par des
formes plus générales.
C¹est ce patois qu¹on nous présente dans le Sud-Ouest comme le modèle du
Béarnais. Jamais personne, dans cette région, ne m¹a dit qu¹il préférait le
patois de tel autre endroit. « lou mèy beroy ptoès qu¹ey Gan », me disait à
Gan Morujen, répetant l¹opinion de son parent M. Garet, curé doyen de
Salies. « aci qu¹éy lou veritablë patoès », m¹a dit un homme de Lasseube.
C¹est le Béarnais de Pau, qui est son propre patois, que M. Lespy a pris
pour modèle dans sa grammaire et son dictionnaire.
83. En dehors de cette région, soit en Béarn, soit même dans les pays
voisins, dans toute la Gascogne, on trouve certainement des gens qui nous
disent que leur propre patois est le plus joli ; mais c¹est toujours celui de
Pau et environs qu¹ils mettent en second. D¹autres le mettent en premier. M.
le curé de Lasseube, originaire des environs de Lembeye, me disait que là où
l¹on parlait le plus joli Béarnais, c¹était à Gan, à Pau (où pourtant on le
mélange un peu avec le Français), à Morlaas, à Lescar. Mme Dupouy, la
rnaîtresse de l¹hôtel du Commerce à Arzacq, me parlait avec enthousiasme du
patois de Pau. ì Samadet (canton de Geaune), Mme Dupin, propriétaire de
l¹hôtel, me disait : « Lou biarnés qu¹éy fòr mèy beroy que lou patoès de per
noustë ». ì Arrens (canton d¹Aucun, Hautes-Pyrénées) le propriétaire de
l¹Hôtel de France, M. Lorret, me disait la même chose. Mlle Carite, d¹Ossun,
établie à Pau, s¹exprime ainsi : « lou patoès de Pau qu¹éy mèy beroy qu¹a
noustë. Més toutûn à Aussûn, que-m paréx qu¹éy mèy beroy que hén lous
viladyës d¹autour ; més qu¹éy mèy fîn lou biarnés. »
84. Ce qui est plus probant que des appréciations formulées expressément,
c¹est l¹influence exercée par les formes du dialecte littéraire. En effet,
on les voit s¹imposer même à ceux qui pretendent préférer leur patois natal.
Les curés, dès qu¹ils montent en chaire, parlent en béarnais littéraire. M.
le curé de Gurmençon (canton de Sainte-Marie), né a Lées (canton d¹Accous),
en me confirmant ce fait que j¹ai souvent observé, me l¹expliquait comme
suit : « Nous autres curés, nous quittons notre village avant d¹en bien
connaître le patois ; nous nous trouvons, au séminaire, avec des Béarnais de
toutes les régions ; puis, nous changeons de paroisse plusieurs fois. Nous
adoptons ainsi un langage qui est la moyenne de tous ceux que nous entendons
parler. D¹ailleurs les paysans eux-mêmes riraient de nous entendre employer
un patois tout à fait local. Ils n¹y sont pas habitués.
Il y a quelque temps, j¹entendais à Lées M. X... faire une petite
allocution en patois à un mariage. Il est de Lées et n¹a rien voulu
abandonner du patois de son village. Eh hien, moi-même qui suis de Lées et
passionné pour mon patois, j¹en étais étonné ; et je voyais bien des gens qui
riaient. »
[...]
91. [...] Quelques tentatives pour écrire en patois vraiment local n¹ont
trouvé aucun écho. La plus sérieuse est la publication d¹un recueil de
poésies de grand mérite, en pur azunois, par M. Camélat, sous le titre Et
piu-piu d era me laguta, c'est-à-dire le gazouillement de ma flûte. Cette
¦uvre a eu un succès d¹estime mérité parmi les spécialistes, mais ne s¹est
absolument pas vendue. Depuis, Camelat écrit en Béarnais littéraire, et ses
poésies sont fort appréciées : telle sa charmante idylle Beline 1 ‹
Pourtant, d’après Camelat, l’influence du béarnais diminue dans le Labedan.
92. Je pourrais ajouter beaucoup d’autres exemples. Ce que j’ai dit suffit à
prouver qu’il existe actuellement en Béarn un dialecte littéraire, qui est
celui de la Plaine et particulièrement celui des environs de Pau ; qu’il est
parlé en chaire par les curés ; que les paysans l’emploient ou cherchent à
l’employer dès qu’ils parlent à un étranger ou dès qu’ils font œuvre
littéraire ; qu’il tend même à envahir le patois journalier et intime.

(les citations en "patois" ont été notées en API, invention de Paul Passy,
frère de l’auteur ; ici, faute d’API, je les ai transcrites en graphie
moderne telle que je la préconise).

Bonsoir à tous.

J.L.

Grans de sau

  • Adixat moundë,

    Dans son message du vendredi 13, notre ami Bruno réagit au mien du 12 et à
    l'approbation que lui a donné Daniel par message du 13 :

    « En guise de réponse à Jean et Daniel qui se gargarisent de la supériorité
    du
    béarnais palois, je ne trouve qu'un seul argument : la seule variante du
    gascon qui ait un quelconque statut officiel reconnu par un pouvoir central
    et
    standardisée est l'aranais. »

    Je savais bien que j'allais soulever de la contestation. Mais pour discuter
    utilement, il ne faut pas dénaturer les propos de l'adversaire ; sinon, on a
    une alternance de diatribes véhémentes semées de quelques injures, qui ne
    font en rien avancer la réflexion.

    Or ni Daniel ni moins ne nous sommes « gargarisés de la supériorité du
    béarnais palois » ; j'ai exposé des opinions recueillies il y a plus de 100
    ans par un étranger au pays auprès de gens qui n'étaient pas des Béarnais de
    Pau ; plus celle de Camélat, Bigourdan d'Azun, et André Pic, Armagnacais,
    opinion appuyée par leur pratique linguistique ; puis de ce qui transparait
    dans les vers du Médoquin Roger Romefort, enfin de P. Bec, Commingeois et
    occitaniste.

    Ce sont des opinions d'autrui, non des jugements de valeurs que Daniel et
    moi portons, et ces opinions constituent des faits sociolinguistiques ; et
    l'abondance de la littérature béarnaise imprimée, tout comme des anciens
    textes béarnais édités, est un fait linguistique.

    Il convient donc, pour s'opposer à ces faits, d'en présenter d'autres allant
    en sens contraire ; par exemple, l'ALG qui situe le point de gasconité
    maximale du côté d'Aragnouet. Mais l'hyper-gasconité est-elle un critère
    sociolinguistiquement opérationnel ? J'en doute : celui qui veut écrire ou
    parler a besoin de modèles, et où les trouvera-t-il, sinon dans l'écrit ?

    Quant à l'officialité dont jouit l'aranais, elle me fait plutôt sourire :
    l'irlandais aussi est officiel, depuis des années ; mais il n'a cessé de
    reculer. Et il est piquant de voir tant de militants réclamer
    l'officialisation de l'occitan, donc sa reconnaissance par un pouvoir, alors
    que leur discours habituel dénigre les pouvoirs en place.

    Mais l'expansion de la littérature commingeoise et couseranaise a dû
    souffrir de l'isolement puis du dépérissement de l'Escolo deras Pirenéos
    après la mort en 1935 de son fondateur Bernard Sarrieu. Du Gers, de la
    Lomagne, de l'Agenais gascon ou de la Gironde, que reste-t-il d'accessible ?
    et ce n'est que depuis peu qu'ont été éditées les oeuvres d'Arnaudin, en
    édition très sérieuse mais fort couteuse.
    Quant à Manciet, c'est une mine (d'or ?) pour les universitaires
    spécialistes de littérature ; mais il n'est guère lisible par le commun des
    Gascons que grâce aux traductions françaises dont il a sagement doublé la
    plupart de ses oeuvres : même si son parler de la Grande Lande ne s'écarte
    que d'assez peu d'un béarnais classique, la graphie occitane suffit à
    décourager le non-intello.

    Par contre, on ne rappellera jamais assez que le grand succès de la
    littérature toulousaine est Catinou e Jacouti, de bonnes histoires de
    village qui font rire, et dans une « horrible » graphie « patoisante » que
    chacun peut lire sans avoir besoin de revenir à l'école.

    J'ajouterai enfin, en guise de plaidoyer pro domo, que mes travaux se sont
    toujours étendus à l'ensemble des parlers gascons


Un gran de sau ?

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