L’attrait des jeunes vers Bordeaux et Toulouse

- Tederic Merger

J’ai remarqué l’an passé la présentation audio d’un jeune candidat aux municipales à Tonneins sur la liste de Jonathan Biteau :

chez les jeunes, Tonneins c’est une "ville de passage" puisqu’une fois qu’on a eu notre bac on s’exporte tous vers des métropoles et des communes, des villes, aptes à nous accueillir.
A la rigueur, si c’était que pour la durée des études, je comprendrais, mais une fois qu’on prend goût à vivre en ville, après c’est vrai que ça nous fait bizarre de revenir à Tonneins, même si ça peut être ressourçant pour les vacances etc.

Dans la suite de sa présentation, il expose l’idée de développer à Tonneins des filières de formation comme des BTS...

Prenons donc Tonneins - la ville où j’habite le plus (!) - comme l’exemple d’une petite ville de Gascogne !
Oui, selon moi, à 10 000 habitants, on est une ville ! notre jeune tonneinquais en voie d’expatriation ne le sent pas comme ça, puisque selon lui, les bacheliers quittent Tonneins pour... de vraies villes "aptes à les accueillir", où ils prennent goût à vivre en ville, et d’où ils ne reviennent plus que pour les vacances !

Or, de nos jours, 80 % des jeunes obtiennent le bac ; c’est donc 80 % d’entre eux qui sont appelés à quitter définitivement leur petite ville d’origine.
Ne dédaignons pas les 20 % restants, non bacheliers (dont une part s’en iront aussi, cependant, selon les opportunités professionnelles) !
Mais on voit que, globalement, on ne fait plus sa vie dans une petite ville de Gascogne. Tonneins n’est pas spécialement dépourvue d’emplois, donc son cas semble généralisable ; l’est-il d’ailleurs à toute la France ? à toute l’Europe ? au monde entier ?

Pour nous qui voudrions faire vivre la Gascogne, comment faire avec cet exode massif ?
 d’abord, est-ce qu’aller à Bordeaux ou Toulouse, c’est rompre avec la Gascogne ?
 quel est ce goût de la ville qui manque aux étudiants tonneinquais quand ils reviennent en vacances ? goût métropolitain ? attirance vers le foisonnement, le mouvement du vaste monde ?
 y a-t-il en Gascogne des villes intermédiaires, autres que Bordeaux et Toulouse, qui pourraient le satisfaire ?
 est-ce qu’une organisation spatiale différente des études après le bac pourrait changer la donne ? le jeune candidat tonneinquais semble le penser, en imaginant l’implantation de filières post-bac à Tonneins ; à l’heure du cours distanciel, auquel les étudiants ont dû s’habituer pendant l’épidémie de COVID19, il devrait y avoir des possibilités...

Bordeaux ou Toulouse ?
La question se pose souvent en Gascogne, mais en particulier à Saint-Christophe-en-Gascogne !

Grans de sau

  • Dans ce "goût de la ville" relevé par Tederic, il y a le rôle important joué par les lieux de sociabilité chers aux étudiants et dont ils sont en ce moment durement privés (les autres aussi d’ailleurs mais cette privation est davantage ressentie à leur âge).
    Si à Tonneins, Marmande ou autres petites villes gasconnes existaient des cafés plus ou moins à thème, capables d’accueillir occasionnellement des groupes musicaux, les jeunes retrouveraient cette ambiance "ville".
    Et si certains de ces lieux de sociabilité savaient se donner une certaine couleur gasconne en plus, ce ne serait pas forcément reçu par le jeune public de façon négative, au contraire.
    Et bien sûr, de tels lieux à Toulouse ou Bordeaux aident à pouvoir y vivre "à la gasconne". Du reste à Bordeaux le bar "Le Pépère"(angle rue Georges Bonnac/rue Saint-Sernin) joue dans ce registre avec un certain succès.

  • Il y a logiquement un cercle vicieux :
    Si tous les bacheliers - ou presque - quittent Tonneins (continuons avec cet exemple !) pour Bordeaux ou Toulouse, ils ne sont plus à Tonneins pour faire tourner des "lieux" qui leur plairaient... du coup ils ont encore plus envie de partir !
    Rompre un cercle vicieux, c’est en général très long...

    N’étant plus jeune moi-même, je vois ça un peu à distance : à la fois les concentrations de jeunes dans ou devant les "lieux" bordelais ou toulousains (et on sent bien que "la vie" est là !) et, à Tonneins, de maigres regroupements sur quelques "kebabs" - au MacDo en zone commerciale, je ne sais pas.

    Quant à d’éventuels lieux jeunes à couleur gasconne, dans l’état présent de la gasconitat, c’est encore plus demander ! Mais en allant vers le sud-ouest, vers le coeur de Gascogne, qui sait s’il n’y a pas des bars jeunes à l’esprit peña, donc plus ou moins gasco-basco-espagnols ?

  • Oui, pour rompre ce cercle vicieux, c’est tout un paradigme qui doit se retourner, ce qui peut arriver une ou deux fois par siècle, guère plus souvent : arrêt de la fascination pour l’ailleurs et le lointain, revalorisation du proche (du prochain aussi au sens chrétien), du local.
    On en sent les prémices quand même dans l’intérêt porté au localisme, au locavore en matière alimentaire, etc... et bien sûr au moment où justement ils semblent si compromis, comme si une ultime chance de les sauver était à saisir d’urgence. Tout n’est pas encore perdu !

  • Il n’est pas forcément mauvais que les jeunes aient envie de voir le monde ; c’est même plutôt quelque chose que j’encouragerais. Ce qu’il faudrait en revanche, c’est travailler sur la réintégration de ceux qui, plus tard, souhaitent revenir. Car il vient un âge où beaucoup de gens souhaiteraient rentrer au pays et ne le peuvent pas faute de perspectives professionnelles (j’en sais quelque chose). Un beau sujet pour Régaspro, ce me semble.
    [Bien notat, Tederic M, secretari adjunt]

  • J’ai inséré plus haut la dernière cronica "Metropòlis", du mousquetaire Athos alias Gerard, sur Ràdio País.
    Le hossat (fossé) entre métropoles (Bordeaux et Toulouse), dont il parle, nous hante.
    Nous sommes nombreux à le vivre personnellement, au moins ceux qui naviguent régulièrement entre Gascogne profonde et métropoles (le fossé n’est pas infranchissable physiquement, mais quand on le franchit, on a l’impression de passer d’un monde à l’autre ; d’ailleurs, ça pourrait avoir son charme !).

    Je rebondis (qu’arrebompi !) sur deux points :

     Athos le dit : les "métropolitains" ne sont pas, pour leurs transports, prisonniers de leur voiture ; les "ruraux" le sont.
    C’est à nuancer : beaucoup de métropolitains vivent en bagnole, et quelques ruraux vivent sans...
    Ceux qui travaillent en zone artisanale, commerciale ou industrielle, sont quasi-obligés d’y aller en voiture. C’est vrai aussi à Bordeaux et Toulouse. Mais dans ces métropoles, une partie des emplois sont dans les hypercentres, desservis par les transports en commun ou accessibles à pied, à vélo, en trotinette... ; alors qu’en zone rurale, d’hypercentre il n’y a guère : seulement de petits centre-villes ou centre-bourgs partiellement dévitalisés.

     Il signale aussi la tendance des métropoles à s’étendre, en empiétant sur l’espace rural, créant des banlieues éloignées et les embouteillages induits.
    Il y a ici la question des franges rurales des métropoles, dont les élus espèrent parfois la métropolisation en créant des lotissements.
    Nous (ReGasPros...) devons exposer d’autres tentatives, plus vertueuses, de conjuguer le dynamisme métropolitain et la ruralité : par exemple la revitalisation des petites villes en lisière de métropole, comme la Réole ou Castillon. Elles sont bien desservies, dès maintenant, par le TER, j’en ai fait l’expérience cette semaine pour Castillon ; et elles ont un parc de logements anciens à réhabiliter.
    Le télétravail permet d’y habiter et de participer à l’économie métropolitaine, en évitant les déplacements pendulaires quotidiens.
    Castillon : la bataille de l’image #1 Visite sur place, un aperçu du centre-ville commerçant

    La Réole nouveau satellite bordelais Et la Gascogne dans tout ça ?

  • Tiré de Val de Garonne info (Mars 2023) :

    Parole d’élu
    « Les mobilités sont au cœur des enjeux de réduction des gaz
    à effet de serre. Notre rôle est de mettre en place des solutions
    attractives pour inciter à changer nos pratiques. L’Agglo
    enrichit son offre de transports Evalys avec Véloval, la Région
    modernise le réseau TER et augmente la fréquence des lignes,
    le syndicat Nouvelle Aquitaine Mobilités déploie Modalis. Les
    pôles d’échanges multimodaux, portés par l’Agglo et véritables
    "hubs" des mobilités, sont au centre de ces politiques. Les
    gares de Marmande et Tonneins sont les portes d’entrée du Val
    de Garonne avec des enjeux d’attractivité très importants vis-à-vis de la métropole bordelaise. »
    Michel Couzigou,
    vice-président Mobilités

    C’est la dernières phrase, avec les mots technocratiques « enjeux d’attractivité très importants vis-à-vis de la métropole bordelaise », qui m’a spécialement intéressé (mais il fallait citer le contexte), parce que la métropole régionale (Bordeaux) fait finalement irruption dans le discours.

    Train régional, bus local, vélo... la communauté d’agglomération Val de Garonne (en gros le territoire autour de Marmande et Tonneins) met en place, avec la Région, une politique qui est, de nos jours et dans nos contrées, assez banale (et souhaitable à mon avis, alors que probablement la majorité de la population locale s’en fout) : proposer des alternatives attractives au tout automobile.
    Mais il semble que, si Val de Garonne le fait, c’est dans une sorte de course avec la métropole bordelaise, distante d’environ 80-100 km...

  • "Costat Lòcs", j’ai mis récemment deux images de
    coeur de métropole, la rue du Loup à Bordeaux et le Pont Saint Pierre à Toulouse.

    Je continue à penser qu’une vision gasconne pour demain doit inclure les métropoles*. Sinon, la Gascogne serait réduite à peau de chagrin...
    Et la question des modes de déplacement (voiture, train, marche à pied, vélo, trotinette...) est cruciale.

    * Et dans les métropoles, il faut distinguer les coeurs anciens et les extensions récentes...

    Ci-dessous, la rue Malbec à Toulouse.

  • Me trouvant à Montauban, en transit dans le cadre d’un déplacement professionnel entre Bordeaux et Toulouse, via l’Intercités (10min de retard à l’aller, 35 au retour), je suis allé visiter Caussade, en train toujours, depuis Montauban.

    Nous ne sommes pas en Gascogne, évidemment, nous sommes dans le Bas-Quercy, de langue languedocienne, un pays de transition de la "Moyenne Garonne", entre Agenais et Toulousain. Pour dire les choses, cela ressemble à la Gascogne, d’un point de vue géographique et de l’occupation du sol, là où le Haut-Quercy des plateaux et des causses est très différent, bien que tout proche.

    Du reste, Montauban est la préfecture d’un département bien à un tiers gascon, du fait de son morceau rive gauche de la Garonne (que jamais, avant la création du Tarn-et-Garonne, Montauban n’eut à administrer, ni sur le plan religieux, avec le diocèse, ni sur le plan civil via le Quercy).

    Fait qui n’est pas anodin, Montauban n’est pas en capacité de nous mener en train vers le morceau gascon du département dont la ville est préfecture. Montauban, sur l’axe ferroviaire Bordeaux-Toulouse, permet seulement de changer de linéaire, via la ligne de Paris, qui passe par Cahors, puis le centre de la France, terminus Paris-Austerlitz.

    Bref, pour occuper mon après-midi ailleurs qu’à Montauban, que je connais bien, impossible d’aller en Gascogne en train : ce sera donc Caussade, où j’ai pu faire des observations.

    Caussade est une ville de plaine, dans la vallée agricole de la Lère, affluent de l’Aveyron. C’est une ville majoritairement de briques, dans le style toulousain, dont on comprend aisément qu’il a essaimé via les vallées fluviales. Une recherche Google montre qu’il cède assez vite dès Septonds et Montpezat, à quelques kilomètres. J’imagine que le CAUE 82 a probablement élaboré des cartes sur ces questions.

    Caussade, dans tous les cas, possède un atout : sa gare ! Mais il ne semble pas qu’il en soit fait grand chose, en l’état : les trains entre Montauban et Caussade, un mardi en semaine, sont trop rares. J’avais également pour projet de visiter entre Montauban et Caussade, la ville de Réalville, sur la ligne, mais plus aucun train ne s’y arrête. Les bus ? 3 par jour ...

    Le constat est donc clair sur la seule fréquence horaire entre Montauban et Caussade : nous sommes bien éloignés de tout projet de RER, Caussade n’est pas une ville-satellite de Montauban, où les gens viendraient s’emparer du centre-bourg, tout en travaillant à Montauban via le train.

  • Le centre, justement, peut-être était-ce l’étouffante chaleur de ce jour de juin (ils ont été bien rares les jours de chaleur, pourtant, en ce mois de juin 2024) était plutôt moribond. L’aménagement urbain ne donne pas envie de flâner : la place de l’église est une fournaise minérale, vraisemblablement récemment refaite, et les autres artères, au bâti souvent abandonné, en tout cas fermé, sont bitumés, sans végétalisation.

    J’ai noté qu’habitaient dans le centre-bourg plutôt des populations d’origine immigrée, un peu comme cela est le cas dans les villes gasconnes de la vallée de la Garonne, type Aiguillon ou Tonneins. J’imagine que les personnes en question sont employées comme main d’œuvre dans les serres voisines.

    La population "autochtone" n’a pas tout à fait abandonné Caussade cependant, elle est dans ses voitures, sur les boulevards qui ceinturent la vieille ville (les anciens remparts, j’imagine), se joignant au spectacle des véhicules qui s’arrêtent tous les 5 mètres au gré des achats à faire avant de rentrer, j’imagine, vers la maison pavillonnaire de la périphérie immédiate. La carte IGN montre un étalement urbain conséquent à Caussade.

    Caussade, sans surprise, a voté à 40% aux européennes pour des listes classées à l’extrême droite par le Conseil d’État. Depuis des années, nous constatons combien les pays d’oc voient se développer le vote RN, c’est un fait massif (même si la Gascogne intérieure semblait y échapper jusque là, nous verrons aux législatives).

    Il me semble que l’affaire Papacito, qui se déroule dans ce même département, n’est pas sans illustrer le bouleversement sociologique de la contrée :

    https://lopinion.com/articles/actualite/21961_maire-montjoi-tarn-et-garonne-menace-six-mois-prison-requis-papacito

    Pour résumer, un vote porté par une ruralité de jeunes exploitants agricoles quadras inquiets des mutations des habitudes alimentaires, notamment en métropole, à laquelle vient se greffer probablement le vote des exilés des métropoles, en pavillon, dont le mode de vie fut illustré pendant la crise des Gilets Jaunes, notamment par la dépendance à la voiture, le tout dans un contexte de visibilité plus nette du cosmopolitisme migratoire, notamment dans les petites villes.

    Cependant, l’existence d’une petite ville satellite quelque peu en décrépitude, "gilet-jaunisée" et "papacitée", à quelques dizaines de kilomètres d’une plus grande ville dans le SO français n’est en rien inédite, c’est le cas fameux de Bélin-Beliet autour de Bordeaux. Aussi, j’en reviens au propos initial de mon intervention : Montauban est-elle d’une taille suffisamment critique pour être une métropole, donc être en "opposition" avec son immédiat arrière-pays ?

    Là c’est intéressant, Montauban est en gros sur les mêmes proportions électorales que Caussade dans son vote, avec cependant dans le détail un vote plus important pour Reconquête en proportion à Montauban qu’à Caussade, le vote R ! étant selon toute vraisemblance plus "intellectuel", donc urbain. Dans tous les cas, rien à voir avec Toulouse où les mêmes partis sont cantonnés à moins de 20%.

  • Aussi, les critères s’affinent : l’absence de maillage cohérent et efficace avec son arrière-pays autrement que par la voiture, la sociologie électorale de Montauban qui n’est pas coupée dudit arrière-pays, et j’ajoute, observation faite plus tôt dans l’année, un étalement urbain considérable autour de l’avenue de Paris, notamment pour les commerces, font que Montauban n’a pas de potentiel métropolitain, c’est évident (une métropole se doit d’être reliée aux axes mondiaux, via un aéroport par exemple), et en somme, sa boboïsation sociologique est à peine en jachère, et probablement impossible.

    Quand on vient faire ses courses dans le centre de Montauban, l’on gare sa voiture dans le parking souterrain de la place de la Cathédrale !

    En vérité, Montauban est elle-même un satellite de Toulouse la bobo, au sein de laquelle, justement, Montauban paraît pour être une ville de "cassos" (source : vox populi amicale). Au-delà de ces observations rapides, il serait intéressant de savoir, pour nous, si les jeunes Lomagnols vont faire souche à Toulouse, ou à Montauban, et le rapport entretenu avec les deux villes

  • La suite logique de nos observations ci-dessus, c’est que les jeunes lomagnols sont happés par Toulouse, et pas par Montauban !

    "les jeunes lomagnols"... c’est toujours difficile de généraliser... il y a sans doute parmi eux une grande diversité, y compris d’origine (mais je ne sais pas s’il y a eu en Lomagne une immigration maghrébine ou portugaise importante).
    Outre cette question d’origine, je distinguerai deux cas : le jeune qui va étudier à Toulouse, et celui qui, après des études plus courtes, va y travailler.
     Le premier connaitra et aimera sans doute l’animation du vieux coeur de Toulouse. Mais ayant fini des études supérieures, il risque de quitter Toulouse pour le vaste monde, selon ses opportunités d’emploi.
     Le second va probablement habiter dans la périphérie toulousaine, là où il aura aussi son emploi.
    Et, attaché à sa famille (je romance un peu), il* choisira les localités les plus proches de sa Lomagne natale : a bisto de nas, je vois Merville, Daux, Grenade même... pour un mode de vie automobile-pavillonnaire...
    D’un point de vue territorial historique, le second reste en Gascogne, mais bon...

    *Après coup, je m’aperçois que mon récit est "genré" masculin. Or, il y a une chance sur deux que le jeune lomagnol soit une jeune lomagnole ! Moi qui suis pour une Gascogne inclusive, aurais-je dû tenter "iel choisira..." ?

  • Par rapport aux jeunes Lomagnols, les ponts et les 2x2 voies peuvent introduire des biais ; ainsi, pour les jeunes gens du Gers oriental de ma connaissance, j’ai noté un tropisme à l’installation au nord de Toulouse, rive droite de la Garonne.