Le micmac lo/eth l’exemple de "Adiu plane de Bédous"

- Tederic MERGER


Les articles LO / ETH dans les Hautes-Pyrénées...

"Adiu plane de Bédous" est une poésie écrite par l’auloronais Navarrot.
Mise en musique, elle fait partie, maintenant, du répertoire de cantèras, et comme toujours, des textes variés circulent (où est le texte originel de Navarrot ?).
Ils diffèrent notamment par le dosage qu’ils font entre l’article pyrénéen (eth,era) et "l’article de la plaine" (lo, la).
Aydius et Bédous, évoquées par la chanson, en Vallée d’Aspe, utilisaient l’article pyrénéen, ce qui lui donnerait ici une certaine légitimité.
Pourtant, aucun des textes lus ou chantés par votre serviteur ne l’utilise exclusivement.

Florilège :

 Sur un document des Pagalhós (en graphia alibertine) - et c’est aussi atau que nous l’avons reçue et apprise à la Hèsta du Vignau avec Trad à l’ail :

Adiu plana de Bedós
Gave qui l’enclavas
Lo sendèr deus amorós
Qu’ei eth de las crabas
Conduseish tà mas amors
Rigolet qui’u lavas.

pyrénéen : eth (1/4) ; plaine : lo, deus, las (3/4)
Remarque : deus semble se chanter couramment "dèws", comme un archaïsme (et non "dous").

 Sur le site de la Hesteyade de Bigorre :

Adiù, plane de Bedous,
Gabe qui l’enclabes
Lou sendè deùs amourous
Qu’ei eth déras crabes
Counduisech-me à mas amous
Rigoulet qui’u labes.

pyrénéen : eth, déras (2/4) ; plaine : lou, deùs, las (2/4)

 Sur Free-scores.com :

Adiu, plana de Bedós
Gave qui l’enclavas
Lo sender deths amoros.
Qu’ei eth deras crabas.
Conduseish a mas amors.
Rigolet qui’u lavas.

pyrénéen : deths, eth, deras (3/4) ; plaine : lo (1/4)

 André Hourcade :

Adiu plana de Bedós
Gave qui l’enclavas
Lo sendèr deus amorós
Qu’ei lo de las crabas
Conduseish tà mas amors
Rigolet qui’u lavas.

pyrénéen : 0/4 ; plaine : lo, deus, las (4/4)

Lavetz que causir ? que choisir ?

 la version originale de Navarrot, mais quelle est-elle ?
 une version cohérente, avec sonque l’article pyrénéen ?
 une version cohérente, avec sonque l’article de la plaine, comme celle d’André Hourcade ?
 la version de ceux qui chantent le plus fort ?-)

Voir en ligne : "Adiu Plane de Bedous" par Los de Laruntz

Grans de sau

  • Oloronais, je me permets quelques précisions suite à quelques lectures et observations personnelles, que j’espère voir précisées et complétées.

    Navarrot, ainsi que tous(?) les autres auteurs du XIXème et début XXème d’Oloron et son piémont (Destrade, Peyré, Montaut...) écrivaient un béarnais littéraire local qui n’est pas représentatif de la langue populaire, notamment dans l’emploi de l’article de plaine lo/la au lieu de celui de montagne eth/era, ou dans le choix des rimes féminines qui ne fonctionnent souvent que par l’emploi d’une prononciation plus orthézienne (les finales atones -o et -é rendant toutes deux un schwa -ə contrairement à la prononciation locale ; Destrade n’applique d’ailleurs pas cette règle). Sans parler du lexique.

    En ce qui concerne Navarrot, le texte édité par Lespy en 1868 donne :

    Adiu, plane de Bedous,
    Gabe qui l’enclabes !
    Lou sendè deus amourous
    Qu’ey lou de las crabes ;
    Conduseixs-m à mas amous,
    Rigoulet qui-oü labes.

    L’emploi de l’article de plaine s’impose donc, alors que ce n’est en effet ni l’usage à Oloron, ni encore moins en vallée d’Aspe. On remarquera que le chansonnier d’Accous (Aspe) C. Despourrins suivait cette même pratique de l’emploi systématique de l’article de plaine, et une "orthézianisation" encore plus marquée de la langue employée, qui n’a d’ailleurs plus grand chose à voir avec le parler aspois.

    De mes lectures de Navarrot, je ne me souviens pas l’avoir vu mélanger articles de plaine et montagne par confusion, contrairement à Auguste Peyré par exemple qui laisse passer des "tout er an" ou des "eth crit deu hasan" a tot vira-codet.

    La tendance dans l’enquête Bourciez et l’ALG est largement contraire à ce qui se constate dans la littérature : une écrasante majorité d’articles montagnards sur tout le piémont (voire au-delà) et une intrusion assez légère d’articles de plaine (aujourd’hui bien plus présents, pour ce qu’il reste du gascon..).

    J’ai remarqué chez certains locuteurs oloronais actuels une adaptation immédiate de leur article à celui de leur interlocuteur. Je vais mentionner ici le maire d’Oloron, Bernard Uthurry, que j’ai entendu à deux occasions m’adresser la parole en utilisant eth/era alors qu’il utilisait lo/la avec une autre personne juste avant, employant elle-même lo/la.
    Pour en revenir à la littérature, Yan de Sègues, auteur oloronais plus récent (quoique décédé à un bel âge en 2020 ou 2021), écrivait ses coundérilhots et autres istouriétos un coup avec lou/la, un autre avec eth/era, sans raison apparente mais sans jamais les mélanger au sein d’un même texte.
    Il en est de même pour les chansons de Jean Abadie qui écrivait pour les Chanteurs du Faget d’Oloron, quelques textes mélangeant toutefois les articles.

    Concernant le "deus" prononcé "déws", c’est en effet l’usage chez les anciens (je pense toujours au Jean Abadie, qui doit avoir 92 ou 93 ans à ce jour) de le prononcer ainsi dans sa forme archaïque lorsqu’il se substitue au "deth" habituel. Il est d’ailleurs souvent orthographié "déus" par les auteurs du XIXème, en graphie fébusienne ou assimilée.

    Pour enfin répondre à la question, bien que très attaché à l’article de montagne, je chanterai volontiers « Adiu Plane de Bedous » en employant sonque les articles de plaine comme dans le texte original, acceptant de fait ce qui semble être la pratique poétique et littéraire de l’époque.

  • Je partage ta conclusion, donc choisir de chanter le texte avec sonque l’article de la plaine, soit le texte d’André Hourcade ci-dessus, le plus fidèle aussi à l’original de Navarròt (seul le conduseish tà s’en écarte : Navarròt avait écrit dans sa graphie l’équivalent de conduseish m’a).
    Et par fidélité aux anciens que tu évoques, je chanterai "déws" (déws amourous par exemple).
    Du coup, j’ai hâte (pour parler comme les jeunes) de retrouver une occasion de chanter cette Plane de Bédous dont je connais par coeur trois couplets et le refrain, ce qui ne va pas de soi...