Deu lishoèr au lishèr… un long viatge..!

- VERDIER Gilles

Dans le Rustan et le sud du Gers (et peut-être ailleurs en Gascogne), il y a un mot gascon pour désigner la terre boueuse suite au dégel : « lo lishoèr ».
« Lo maitin, la gelada que hon. Au cadau, la tèrra que deveng hancósa : qu’ei lo lishoèr ».
On peut penser que ce mot très spécifique (terre grasse et collante) est de la même famille que les mots gascons désignant le colostrum (premier lait jaunâtre de la vache) : « lo/eth lichon / lechon / luchon / leishiu » et l’eau de lessive : « lo leishiu ».

Etymologie :
• Pour Joan Coromines, cette famille de mots vient directement de la racine latine « lixa  » (eau pour la lessive) et des dérivés « lixivium, lixione  » (lessive).

Phonétiquement très proches, on a 3 familles de mots gascons qui désignent le purin, le lisier… Et on va voir qu’il y a des ponts entre ces deux …excrétions...

1. « Eth esquèr /eishquèr / lishquèr » (Aure, Magnoac) : le purin

Etymologie :
• Joan Coromines met en avant la terminaison en -r qui sonne partout et qui indique pour lui un ancien -err pré-latin. Il propose une racine bascoïde *iskerr désignant le purin. La zone d’emploi de ces mots en « SKE  » aurait été romanisée très tardivement et on aurait un réduit linguistique avec conservation de ce très ancien groupe étymologique SKE sans palatalisation…
• Une autre hypothèse (Rohlfs) : ce mot viendrait d’une transformation par métathèse du latin « stercus  » (excrément, fumier) qui a donné en castillan « estiércol » (fumier) en *scertus . Joan Coromines rejette cette étymologie qu’il trouve fantasque !

2. « L’/eth ishèr » (Ariège, montagnes du Béarn) : le purin
« L’/eth eishèr » (Bigorre, Gers, Luchonnais) : le purin

Etymologie  :
• Pour Joan Coromines, dans des zones de plus ancienne romanisation, *iskerr serait passé à « eishèr » avec l’évolution phonétique normale.
• Pour Rohlfs, l’étymologie est toujours la transformation par métathèse du latin « stercus  » (excrément, fumier) qui a donné en castillan « estiércol » (fumier) en *scertus.

3. « Lo lishèr » (Gers, Bigorre, Béarn, Comminges) : le purin.

Etymologie :
• Pour Joan Coromines, dans cette zone, il y aurait eu contamination entre le mot bascoïde *iskerr et le nom du colostrum « lichon ». On passe donc de « ishèr » à « lishèr ».
• Pour d’autres, on a une simple agglutination de l’article : « L’ishèr > lo lishèr  ».

On note que Joan Coromines rejette tout rapprochement de ces mots avec le français « le lisier ». Ce mot vient du francoprovençal (Suisse romande, Franche-Comté) et aurait peut-être comme origine le latin « lotium » = urine.

Ajoutons 2 autres familles de mots gascons qui ont aussi ce sens :

1. « La pishòrra / lo pishòt , lo pishorumi » (Landes) : le purin. « Era pisharrada » (Louron) : le purin.

Etymologie :
« lo pish » (l’urine en gascon) qui vient du verbe « pishar » (uriner). Vient du latin vulgaire *pissiare, verbe de formation sûrement expressive. Ce mot existe dans beaucoup de langues : italien pisciare, castillan et catalan pixar, allemand zu pissen, anglais to piss
• On retrouve dans ces mots les suffixes -òrra (d’origine prélatine, augmentatif et péjoratif), -òt (d’origine prélatine, diminutif), -umi (d’origine latine, notion de collectif et de péjoratif), -rada (action de…).

2. « Eth charnac » (Lavedan) : le purin, mais aussi une flaque. « Un charnaquèr » : une fosse à purin.

Etymologie.
• Patric Guilhemjoan propose comme origine le latin vulgaire *stercus qui aurait donné *chertac,*chercac puis « charnac ».
• Simin Palay rapproche « eth charnac » du gascon « ua chaca » (Haut-Adour) : une grande flaque, « un chacarnèr » : grande flaque boueuse dont l’étymologie serait onomatopéique…
• Entre « un chacarnèr  » et «  un charnaquèr », quel est le mot d’origine et celui qui est l’aboutissement d’une métathèse ?