Des Vascons cannibales à Alésia ? GSG

- Gerard Saint-Gaudens

Dans son excellent bouquin "La table de Montaigne" Christian Coulon rappelle un passage des Essais où notre philosophe gascon-périgourdin ,citant le poète latin Juvénal(satires,I,61,161),excuse les guerriers vascons,enfermés dans Alesia assiégée par César,d’avoir dû pratiquer l’anthropophagie sur des femmes,des vieillards "et autres personnes inutiles au combat"(!).
Y aurait-il vraiment eu des guerriers aquitains (sinon "vascons" ce qui parait un anachronisme ) en nombre aux côtés des guerriers gaulois de Vercingetorix ? Je ne me souviens pas d’avoir lu une telle association entre eux ... Avis à nos historiens de l’antiquité !

Grans de sau

  • Recettes diverses :

    1) Echos de rituels ?

    Strabon, Géo. IV, 5, 4, dit que les Irlandais croyaient bien faire en mangeant les cadavres de leurs pères, ce que rien ne vient étayer.
    Pline, Hist. Nat., XXX, 13, rapporte l’opinion populaire au sujet de « la religion monstrueuse [des Bretons] où tuer un homme était un acte de haute piété, où le manger semblait la plus salutaire des pratiques ».
    Contexte guerrier, initiations, sacrifices mécompris par les Classiques ? Pas de traces archéologiques (voir J.-L. Brunaux).

    2) Lycanthropie ?

    Saint Jérôme, source très douteuse, mentionne le goût des Atticoti de Britannie pour certaines parties du corps des bergers et des femmes (Adversus Jovinum, II, 7) : lycanthropie ?

    3) Ultime ressource ?

    César fait état que de pratiques d’urgence, B. G. VII, 77 : des Gaulois rappellent que leurs ancêtres, assiégés par les Cimbres et les Teutons, avaient soutenu leur existence avec les corps des moins aptes au combat, "et ils ne se rendirent pas" ; et chez Pausanias, Description de la Grèce, X, 22, 3.

    4) Epopée insulaire

    Assiégé par l’ennemi, l’Irlandais Goll mac Morna reçoit de sa femme le conseil de manger la chair de ses assaillants morts et de boire le lait (= sang) de leur poitrine, mais les geasa (interdits) de Goll empêchent cette solution.

    4) Juvénal, Satires, XV, 93-100

    Vascones, ut fama est, alimentis talibus usi
    Produxere animas ;

    "Les Vascons, si l’on en croit la renommée, usèrent jadis de cette nourriture (...). Mais (...) ils cédaient à la fortune jalouse (...) et ils supportaient les horreurs d’un long siège." Ils subissaient "la fureur des ventres vides". "Les mânes même des morts dévorés auraient pardonné." Juvénal aurait dû en rajouter et nous donner la prosopopée...

    Pas d’Alesia. Il s’agit des habitants de Calagurris (aujourd’hui Calahorra), ville de l’Espagne Tarragonaise assiégée par Pompée et Metellus, qui tranformèrent en nourriture leurs épouses et leurs jeunes enfants (Valère Maxime, Livre VII, ch. 6). En fait, suicide rituel et communautaire pour éviter l’esclavage et le déshonneur.

    5) crânes

    A ne pas confondre avec le sort du consul Postumius qui, vaincu par les Boïens, reçut le grand honneur de voir son crâne transformé en coupe rituelle.

    6) Terreur garantie

    On prêtait aux Goths Taifales les mêmes moeurs.
    Les croisades médiévales ont connu les Tafurs, troupes irrégulières, se tenant à l’écart, et occasionnellement anthropophages, d’où effet de terreur garanti (si je me souviens bien de ce que j’avais lu dans le livre d’Alphandéry et Dupront sur les croisades).

  • Merci Philippe d’avoir rétabli la vérité historique sur ces pratiques cannibalesques attribuées aux Vascons.Je dormirai plus tranquille à l’avenir sauf ...en traversant Calahorra ! il faut reconnaitre que nos ancêtres réels ou supposés ne s’étaient pas vantés de tels exploits et qu’il faut toute la malveillance des Occitans (pardon,des Latins !) pour nous en aviser ... Mais il es vrai que " nemo auditur propriam turpitudinem allegans " !(digun non te va pas creder se co.hessas las toas ledors moraus ).

  • Morau ? Lo mau au pè ne’us coupà pas l’erbiè, com a casa.

  • Je me demande si dans l’esprit de Montaigne il s’agissait d’une remarque "ethnographique" concernant les Gascons en tant que tels.
    Montaigne "brodait" à partir des lectures qu’il faisait, des effets qu’elles produisaient sur lui et des préoccupations de son temps et de son époque.
    Le cannibalisme qui paraît toujours être une pratique "barbare" au sens strict, celle de l’autre, était attribuée par Juvénal aux Vascons, je doute qu’il en ait su quelque chose de réel car il a plutôt été visiter l’Egypte que la Novempopulanie, et là aussi il parle de cannibalisme.
    Pour en revenir à Montaigne le cannibalisme attribué aux Vascons l’interpellait car il se sentait Gascon, il le dit à plusieurs reprises et dit "chez nous" constamment en parlant de notre territoire.
    Le cannibalisme l’intéresse à cause de la découverte de l’Amérique et de cette pratique chez les Tupis dont il avait lu le récit dans le livre de Jean de Léry sur la France antarctique.
    Or, Jean de Léry, pasteur réformé de Sancerre pendant les guerres de religions, avait vu un acte cannibale sur une enfant de cinq ans par ses coreligionnaires pendant le siège de la ville par les troupes catholiques et c’est ce qui l’avait incité à faire le récit de sa rencontre avec les Tupis à Rio de Janeiro lors de l’installation de l’Amiral de Coligny dans la baie trente ans plus tôt.
    En bref, Montaigne reprenant Léry montre que la barbarie c’est ici, chez nous, "a noste", chez les parpaillots de chez nous pour Léry, chez les gascons dont il se sent être pour Montaigne.
    Du coup le cannibalisme est une "coutume" qui n’est pas plus immorale (ni moins) qu’une autre, elle a une fonction dans certaines sociétés (celle des Tupinambas en l’occurrence) et est une transgression barbare aux lois civilisées due à la violence de la guerre chez les Egyptiens ou les Vascons pour Juvénal, aux habitants du doux Val de Loire pour Léry et Montaigne, qu médite sur tous ces croisements de référence et de citations.


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