Retour sur la loi Molac : quelle mobilisation ?

- Gerard Saint-Gaudens

D’abord notons que cette loi votée le 8 avril dernier, la première concernant les langues « régionales » depuis la loi Deixonne de 1951, n’avait rien de révolutionnaire.
Dans une large mesure elle cherchait à confirmer (à « sanctuariser » en quelque sorte) des pratiques déjà tolérées de fait depuis plus ou moins longtemps, à mettre un peu d’ordre aussi devant des pratiques divergentes des collectivités locales en matière de forfait scolaire.
Mais elle a en effet réveillé un chat de mauvais vouloir qui ne dormait que d’un œil : des membres influents du cabinet du ministre de l’enseignement (voire peut-être le ministre lui-même), des députés LREM (groupe plus intéressé par la mondialisation heureuse que par le localisme affirmé, comme l’on sait) et enfin le Conseil Constitutionnel lui-même.
Bref, cette loi, fondée sur les meilleures intentions du monde et marquée par une prudence que certains avaient sans doute trouvée excessive, a entrainé un grand coup de boules dans le jeu de quille et menacé la survie même de plusieurs moyens de survie ou de défense de nos langues :

 derrière la futile question du tilde et autres signes diacritiques dont l’usage est proscrit par le Conseil, le maintien de la possibilité de bien des prénoms régionaux voire d’inscriptions existantes dans l’espace public utilisant tel ou tel signe diacritique.
Ajoutons cela à la disparition systématique orchestrée par la Poste de toute référence à la toponymie autochtone au bénéfice d’une normalisation très francophone des adresses et on se retrouve dans une situation inquiétante…
Cette décision représente un raidissement d’autant plus incompréhensible que des prénoms guère français, style Anthony, Steven, Kevin ou encore Mohamed ne sont pas visés, il est vrai qu’ils n’emploient pas de signes diacritiques inexistants dans l’alphabet français puisqu’aux yeux du CC c’est là le point principal !

 le plus grave est la condamnation portée contre l’immersion linguistique en langue régionale et l’enseignement de certaines matières en ces langues. D’abord parce qu’elles correspondent à des pratiques souvent anciennes dans les calandretas (concernées par la décision comme toutes les écoles privées associées au service public) et les écoles publiques bilingues.
Le rapporteur avait pourtant pris bien soin de démontrer, expérience de longues années à l’appui, que cette immersion ne nuisait pas à la maitrise de la langue française par les élèves plongés dans l’immersion en question.
En tout cas, si cette décision des supposés « Sages » demeure inchangée il nous faudra rester attentifs à la manière dont cette décision sera traduite sur le terrain par les inspecteurs de l’EN concernés (M.Blanquer, soucieux de ne pas envenimer les choses, s’est voulu rassurant mais qui sait ce qu’il en sera dans les années à venir ?).
On peut s’attendre à des moments de grande tension à cet égard. D’autant que l’immersion est le seul moyen concret de ne pas enseigner nos langues comme des langues étrangères voire même comme des langues mortes. Donc à peu près le seul moyen concret de tenter une transmission effective de l’usage quotidien en raison du très faible niveau de transmission familiale, milieux ultra-militants mis à part.

 Par contre le Conseil n’a pas invalidé la normalisation du forfait scolaire payé par des communes n’offrant pas d’enseignement de la langue régionale à des communes plus ou moins visibles qui l’assurent. Cependant l’affaiblissement du dispositif permettant de facto ces enseignements, déjà affaiblis par la circulaire Blanquer il y a deux ou trois ans, pourrait bien être une conséquence indirecte de ce raidissement et bien des enseignements de la langue régionale ici ou là, pourraient bien disparaitre dans les années qui viennent, rendant ainsi partiellement sans effet la relative mansuétude des supposés « Sages » dans ce point précis.

 Ce revirement a amené bien des gens à critiquer a posteriori cette proposition de loi, des élus corses ayant, parait-il averti M.Molac des risques encourus à sortir ainsi du bois, même bien modestement.
Evidemment on peut penser ainsi après la bataille. Disons que c’est assez facile, d’autant que dans le monde d’oc, toutes les organisations militant pour nos langues (ou LA langue,comme on voudra) avaient emboité le pas de Paul Molac comme un seul homme dans un enthousiame généralisé du genre « A Berlin ! » (ou « Nach Paris, si l’on préfère …).
Hélas la petite guerre ne s’est pas terminée par une victoire. Ce qui était à prévoir dès lors que les 61 députés LREM introduisirent le CC dans le jeu. Cette institution parait en effet depuis pas mal d’années orienter ses décisions par des présupposés plus idéologiques que réellement juridiques, dans une posture résolument universaliste traduite par une sorte d’essentialisation de la République qui permet facilement de faire rencontrer ainsi mondialisme et jacobinisme.
Du même coup le CC oublie qu’il a à veiller sur les lois d’un pays qui s’appelle la France, la France réelle, dans sa diversité quasiment originelle, héritée de longs siècles mais aussi maintenue et travaillée par nos actuelles générations.

La volonté de faire échec à l’anglicisation croissante de la société française avait conduit en 1995 à l’intégration dans la Constitution de la notion de « français, langue de la République » (article 2 de la Constitution ainsi réformée).
Bien que non destinée à achever les malheureuses langues régionales, cette disposition avait suffisamment alarmé les défenseurs de nos langues pour que soit ajouté dans la Constitution en 2008 un article (75,1) indiquant que « les langues régionales faisaient partie du patrimoine de la France », ce qui semblait clore deux siècles de mise à l’écart et reconnaitre le caractère plurilingue du pays.
Las ! dans l’optique idéologique du Conseil Constitutionnel, les langues régionales ne peuvent plus avoir qu’une place décorative ; par conséquent, le récent article 75,1 de la Constitution se voit dénué par la vénérable institution (tout comme par le Conseil d’Etat, abreuvé aux mêmes sources idéologiques) de toute force juridique contraignante, ce qui pose une question de droit majeure.
Bref, le CC préfère la République à la France comme on pouvait s’y attendre.

Un appel à la CEDH est-il envisageable comme le souhaite le groupe parlementaire Libertés et Territoires auquel appartient M.Molac ? Laissons aux juristes le soin d’y réfléchir.
En tous cas il ne faudra pas perdre une occasion de protester avec force contre chacune des conséquences de ce triste jugement qui, encore une fois, va exacerber les tensions dans bien des régions et commence à rouvrir des tentations radicales chez beaucoup de régionalistes bien tranquilles. Un total gâchis.
N’hésitons pas à nous joindre aux manifestations que les défenseurs des langues de France s’apprêtent à lancer dans diverses régions samedi prochain 29 mai (chez nous, à Bordeaux, Pau, Dax, Mont de Marsan, Bayonne, Auch ainsi que chez nos proches voisins toulousains).
Peut-être y verrons -nous Jean Lassalle ainsi que MM.Bayrou et Rousset qui ont condamné sévèrement ces jours-ci cette décision du Conseil de la parisienne rue de Montpensier, comme l’ont fait d’autres présidents de région un mois avant les élections locales, départementales et régionales du 20 juin : une date à ne pas oublier à cet égard, bien sûr, les noms des auteurs du renvoi au Conseil étant faciles à trouver de même que ceux des députés ayant voté la proposition de loi ou l’ayant rejetée, certains ou leurs poulains locaux étant eux-mêmes candidats.

Toutefois deux derniers développements viennent d’intervenir :
Il y a deux jours, interpéllé par des députés inquiets, le premier ministre Castex a annoncé à la tribune de l’Assemblée Nationale qu’il « missionnait deux députés » (on ne sait encore lesquels) pour revoir la question.
Et hier le président de la République lui-même a fait la déclaration suivante : « Les langues de France sont un trésor national » et « ne cessent d’enrichir notre culture française ».
Depuis des décennies, un mouvement majeur de transmission par l’école immersive, au travers d’associations comme Diwan, Seaska, les Calendretas, Bressola, ABCM et d’autres, a fait vivre ces langues et a garanti leur avenir. Rien ne saurait entraver cette action décisive (…il explique avoir) « demandé au gouvernement et au Parlement de trouver les moyens de garantir la transmission de cette diversité linguistique dans le respect des cadres pédagogiques largement reconnus depuis un demi-siècle ».
Comment interpréter ces paroles, certes apaisantes mais qui pourraient bien contenir un peu caché un « en même temps » ne s’opposant pas radicalement à la décision du CC ? Et comment le gouvernement, s’il est vraiment animé d’une volonté de rectifier un tir malheureux, pourrait-il s’opposer à une décision du CC ? Si une nouvelle loi (fruit d’un projet gouvernemental, cette fois) s’avisait de rétablir l’immersion linguistique en particulier, on voit mal pourquoi le CC accepterait de se déjuger quelques semaine après. Ce serait pour lui une perte de face définitive alors qu’il est déjà l’objet de nombreuses critiques depuis quelque temps…
A suivre…

Grans de sau

  • Je ne pense pas même qu’une modification de l’article 2 changerait quoi que ce soit, sauf à le rédiger dans un sens particulièrement lourdingue (qui ne devrait pas être la prose de la Constitution) : le CC pourra toujours interpréter l’article, en déduire la prééminence du français et confirmer la nécessité d’un enseignement en français a minima dans l’enseignement en langue régionale, tuant de facto le système immersif.

    Je pense, foncièrement, que Molac a fait œuvre d’immense amateurisme face à l’État profond. Mais d’une certaine manière, le débat aujourd’hui est clair, l’ambigüité est tombée.

  • Une histoire de jacobinisme* ordinaire :
    C’était à Strasbourg, dans un restaurant libre-service apparemment, puisque - la suite va le montrer - le placement des clients était assez libre et mobile.
    C’était, je suppose, il y a quelques décennies, puisqu’un client pouvait encore s’adresser en alsacien à un autre qu’il ne connaissait pas ; je doute que ce soit courant maintenant.
    Mon héroïne (qui m’a raconté l’histoire) était lorraine, mais pas de langue germanique-francique, même si elle porte un nom allemand et a fréquenté avec plaisir l’Allemagne frontalière.
    Un client du restaurant attablé à côté d’elle lui parle donc en alsacien ; sa réponse :
     « parlez français, nous sommes en France, ici ! »
    L’homme est parti avec son plateau s’attabler ailleurs...

    *Des historiens disent que le terme "jacobin" n’était pas bien adapté à l’origine pour désigner une volonté d’uniformisation, de centralisme à l’intérieur d’un état, la France pour ce qui nous concerne.
    Rai...

  • Je me suis récemment interrogé sur les politiques de prix unique de l’eau qui augmentaient la facture en zone de population dense pour la diminuer ailleurs...
    Mais c’était à l’intérieur d’un territoire, par exemple le département 47 (Lot-et-Garonne). Egalitarisme favorisant l’étalement urbain ?

    Je lis maintenant que :

    la Confédération générale du logement (CGL) a dénoncé à son tour, le 10 décembre [2013], les écarts de prix de l’eau en France métropolitaine et en outre-mer. L’enquête menée auprès de 6.200 communes fait ressortir une forte disparité avec 460 tarifs différents pratiqués sur 6.328 prix étudiés. L’organisation de défense des consommateurs plaide pour une harmonisation progressive des prix.
    Objectif : un prix unique du mètre cube d’eau sur tout le territoire national.

    https://www.banquedesterritoires.fr/prix-unique-de-leau-quand-des-collectivites-donnent-lexemple

    France et outre-mer... macanique !
    Pourquoi le prix de l’eau et de l’assainissement devrait-il être unique sur un espace si vaste et divers ?
    Et la négociation finale sur ce prix se fera alors nécessairement en un lieu unique... devinez-où !*
    Un territoire qui voudra gérer sa ressource en eau différemment n’aura aucune marge tarifaire...

    * à Paris !

  • Des histoires et des réflexions semblables à celle que raconte Tederic, j’en ai entendues plus d’une, presque mot pour mot. Dans de tels cas ce qui est triste c’est que les gens qui parlent en langue régionale se taisent et vont porter leur plateau ailleurs au lieu de répondre "oui madame, mais nous sommes en Alsace et il est normal d’y parler alsacien "...
    Remplaçons alsacien par n’importe quelle langue régionale, c’est égal...

  • Le Journal du Gers fait un article élogieux sur l’immersion en anglais :

    passer plusieurs jours en immersion pour découvrir la langue de SHAKESPEARE .. voilà l’expérience enrichissante et particulièrement intéressante que vont vivre du 14 au 18 juin les petits écoliers de l’école de Beaumarchès.

    Un projet sûrement pas éphémère qui trouvera écho dans les années futures

    https://lejournaldugers.fr/article/49002-la-bonne-initiative-des-parents-deleves


Un gran de sau ?

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