Gascon et Science-fiction LAFITTEJann [Forum Yahoo GVasconha-doman 2006-10-12 n° 7267]

- Jean Lafitte

Je suis d'un peu loin le débat récurrent sur l'identité gasconne, la langue gasconne etc.

Comme Daniel, quand j'ai découvert le gascon principalement par l'I.E.O., il y a déjà 25 ans, j'ai cru que le mouvement qui s'affichait dans Per noste-Païs gascons correspondait à quelque chose de profond et de massif et que la langue était dans la "vite vitante" comme quand j'avais quitté le Béarn en 1950.

Mais la réalité du déclin de la langue m'est apparue progressivement, tout comme la fausseté du slogan « gascon donc occitan » auquel j'avais cru. Et si j'ai beaucoup étudié et suis arrivé ainsi au niveau du doctorat sans m'en rendre vraiment compte, c'est parce que je voulais y voir clair.

Or le contexte sociolinguistique est pour la disparition totale et irrémédiable de l'usage du gascon dans la vie courante, tout comme a disparu l'usage du latin et même du grec ancien, que l'administration grecque avait artificiellement maintenu, mais qui a dû céder devant le grec moderne au début d XIXe s.

Alors vous pensez ce qui peut en être du gascon ou de l'occitan, qui plus est rhabillé en graphie médiévale !

Car le gascon et autres langues « régionales » n'ont survécu que dans un milieu rural dont les technique évoluaient peu et où les ainés reprenaient la ferme des parents, à effectifs à peu près constants. Et les cadets apprenaient le français, l'espagnol ou l'anglais pour aller gagner leur croute ailleurs.

Aujourd'hui, combien de nos compatriotes, qui n'ont parlé et entendu que le français, seraient prêts à l'effort d'apprendre le gascon pour en faire une langue d'usage courant ? Et qui les enseignerait s'ils étaient vraiment nombreux ? Car d'expérience, je constate que les enseignants connaissent mal, parfois très mal, la langue qu'ils ont pour rôle d'enseigner ; car ils sont recrutés sur la base d'épreuves où la connaissance de la langue n'est pas prioritaire !

Apprendre le gascon et le pratiquer un peu, ce ne peut plus être qu'un passe-temps d'esvagats, fort enrichissant pour l'esprit, certes, mais qui ne touchera jamais la masse des habitants de la Gascogne.

Croire qu'on peut réellement faire plus, c'est tomber dans la science-fiction, comme bien des romans de la littérature occitane moderne...
Et comme par hasard, un listayrë nous propose de la SF...

> Et c'est grave car, au risque de se répéter, une Gascogne > sans langue gasconne, c'est quoi ?

Comme la Bourgogne sans le bourguignon, la Lorraine sans le lorrain etc.

Sans illusion donc, mais continuant à enseigner à un petit escabot très
motivé, et à étudier, par respect de l’authenticité de la langue.

Grans de sau

  • L’article ci-dessus, de Jean Lafitte qui vient hélas de nous quitter, daté de 2006, exprime bien à la fois sa désillusion quant à la possibilité de refaire du gascon une langue vivante, et son engagement définitif dans son étude, et sa transmission « à un petit escabot très motivé ».
    Je ressens la disparition de Jean Lafitte comme la fin d’une époque.

    Une anecdote : j’étais à Paris au début des années 1990 et j’écoutais l’émission occitane de Radio Pays. Une fois, l’animateur de l’émission a lancé un appel émouvant : Jean Lafitte avait perdu le fichier informatique qui contenait son oeuvre en cours ; je crains qu’il n’ait jamais tout retrouvé, mais il a continué à travailler - et aussi à ferrailler - avec acharnement.

    Il y a sur Gasconha.com beaucoup de contenu de "Yan" ou "Jann" Lafitte, dont une partie sont des messages au forum G(V)asconha doman, dont beaucoup n’ont pas été re-publiés, mais peuvent l’être.

    A suivre...

  • Jean Lafitte est l’un de ceux qui ont étudié le gascon avec le plus de sérieux et ses contributions ont une grande valeur. Dommage qu’il ne soit pas allé au bout de son projet DiGam. Toutefois, son bulletin DiGam Ligam reste et recèle des petits trésors. Je l’ai bien connu et avais beaucoup de sympathie pour lui mais nos chemins se sont quelque peu séparés et les relations distendues, sans pour autant être fâchés.
    Je crois qu’il était assez déçu de ses dernières années de militantisme en faveur du gascon et assez amer concernant certaines étroitesses d’esprit qu’il a pu observer ici et là.
    Paix à son âme.

  • Jean Lafitte et moi partagions la même désillusion, et je pense que l’ami Philippe Lartigue ne m’en voudra pas trop si je l’ajoute au club des "désillusionnés". Quand j’avais l’ami Jean au bout du fil ou lors de nos échanges par courriel, nous ne pouvions pas nous empêcher de faire le triste bilan de la disparition du gascon et de la Gascogne de naguère tout en étant tous deux bien d’accord sur la dimension fictionnelle du discours occitaniste, voire d’un certain gasconnisme hors-sol, quant à l’avenir du gascon comme des autres idiomes d’oc.
    En fait d’avenir et de prospective, les carottes sont cuites. Ce qui n’empêche personne de s’intéresser ou même de se passionner pour le gascon dans toutes ses variétés dialectales et locales, bien que certains puissent voir une incongruité ou une perte de temps dans le fait de s’intéresser à une chose socialement morte. On pourrait alors leur faire remarquer qu’il y a bien des latinistes et des héllénistes, lesquels se passionnent pour des langues dites "mortes". Alors pourquoi n’en serait-il pas de même pour le gascon ? Mais alors, les risques sont grands de se heurter à un mur d’incompréhension.

    Au fait, Tédéric, ce serait bien que tu puisses re-publier sur Gasconha.com certains messages et échanges passionnants de feu Gasconha-doman qui semblent désormais introuvables ou inaccessibles sur internet, ce qui est fort dommage. Car j’imagine que tu as dû archiver le contenu de ces 19 années passées de 2001 à 2019. Alors, merci d’avance et ayons une pensée pour le disparu qui s’est tant dévoué pour la langue gasconne.

    [Adiu Danièl !
    C’est précisément ce que je fais d’arrache-pied depuis... cet après-midi. Il y a près de 900 messages de Gasconha-doman, sauvés de justesse lorsque Yahoo a arrêté ses forums, qui ressortent par une recherche "Lafitte" et sont susceptibles d’être revalidés comme articles (parfois de brèves réponses, qui souvent sont assez piquantes et intéressantes, et donnent une idée du personnage Jean Lafitte).
    Je suis fier de sauver ainsi une partie de sa mémoire ! Mais ai encore environ 850 messages à traiter.
    Certains messages sont aussi de toi, Daniel, de même que des réponses du forum que je valide maintenant comme grans de sau...
    Les articles de Jean Lafitte déjà (re)publiés.
    Tederic]

  • Je me permets de recopier mon petit hommage, écrit hier soir sur Facebook :

    J’ai rencontré Jean Lafitte un 14 février 2015 après une adolescence à lire ses articles sur la langue gasconne et des années à interagir avec lui sur le défunt groupe G(V)asconha Doman, non sans polémiquer.

    Une Saint Valentin originale, au Louchebem à Paris, avec notre ami commun Guilhem Pépin. Je pensais alors déjeuner avec le diable, le grand ennemi de l’occitanisme, la bête noire vilipendée du gasconnisme, autant dire que je fus déçu.
    Jean Lafitte était aimable. Modéré et articulé. Fin. La distance aux choses de ceux qui ont été modelés par les institutions étatiques. Lui l’armée, moi l’IEP : le langage était à peu près identique, à quelques options idéologiques près.

    J’ai entretenu par la suite une correspondance par mail, plus ou moins intense, évanouie ces dernières années. Bordelais, il était du Béarn par sa mère, de Gabaston, le centre névralgique de ma propre généalogie.

    Je n’ai jamais trouvé le temps d’aller mener l’enquête linguistique qu’il m’avait commandée sur le terrain de nos ancêtres. Il s’agissait d’aller dénicher la frontière entre [b] et [w] intervocalique en Vic-Bilh. Il me semble que cela n’avait plus grande importance à compter du moment où sa femme le quitta, il y a quelques années.

    Cette génération croyait. J’imagine que le "douctou" Lafitte, comme avant lui d’autres érudits gascons, a su trouver le réconfort dans la prière. Et si je ne sais la place que Dieu fait à ses enfants, je connais celle que Jean Lafitte occupera dans notre petit panthéon du régionalisme gascon. Nous entretiendrons sa mémoire, jusqu’à ce qu’à notre tour, nous cédions la place à d’autres, dans un monde sans cesse plus différent.

    Adixatz Yan !

  • [Adiu Danièl !
    C’est précisément ce que je fais d’arrache-pied depuis... cet après-midi. Il y a près de 900 messages, parmi les quelques 11 000 de Gasconha-doman, sauvés de justesse lorsque Yahoo a arrêté ses forums, qui ressortent par une recherche "Lafitte" et sont susceptibles d’être revalidés comme articles (parfois de brèves réponses, qui souvent sont piquantes et intéressantes, et donnent une idée du personnage Jean Lafitte).
    Je suis fier de sauver ainsi une partie de sa mémoire ! Mais ai encore environ 850 messages à traiter.
    Certains messages sont aussi de toi, Daniel, de même que des réponses du forum que je valide maintenant comme grans de sau...
    Tederic]

    Merci, Tederic, pour ta réactivité. C’est vraiment une aubaine que tu aies pu sauver in-extremis ces 900 messages. Bon courage pour les 850 à venir. Tu peux être fier, en effet, de faire oeuvre de sauvegarde et de conservation d’un tel patrimoine. Ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre, crois-moi.
    Amitiés.
    Daniel

  • Dieu merci, il existe encore des êtres qui savent allier les exercices de lévitation aux pesantes réalités du notre monde immonde. C’est une chance pour eux et un bonheur pour leurs lecteurs. Vincent circule ainsi poétiquement au-dessus de la Gascogne, avec beaucoup de lucidité.
    Le meilleur de Vincent c’est dans « Il me semble que cela n’avait plus grande importance à compter du moment où sa femme le quitta, il y a quelques années. » et dans « Nous entretiendrons sa mémoire, jusqu’à ce qu’à notre tour, nous cédions la place à d’autres, dans un monde sans cesse plus différent. » Tout lecteur a compris.
    Personne n’échappe plus depuis longtemps aux effets de la francité comme de la modernité. Le gascon est décédé, c’est incontestable, ce qui n’empêche pas les uns et les autres, rares, de l’aimer et de le parler. Mais il est mort. Quant à Gascogne, elle n’est jamais venue à naître, il faut l’avouer ; « le gascon et autres langues « régionales » n’ont survécu que dans un milieu rural dont les techniques évoluaient peu et où les aînés reprenaient la ferme des parents, à effectifs à peu près constants » : c’était dit : structure sociale et langue étaient indissolublement liées. La modernité tue, détruit, c’est son destin. Et pas d’État gascon pour contraindre – provisoirement - le réel, ni de sentiment d’identité pour créer une unité, de l’identique, du commun.
    Si on voulait vraiment être gascon, il conviendrait de jeter les nuances aux orties et d’être un peu méchant. Mais les gascons sont « braves », ce qui fait les morts (les) plus présentables.
    Bon. Heureusement vous êtes là !

  • Peiné d’apprendre la mort de Jean Lafitte. Sa thèse est indispensable à toute réflexion sur le gascon et son histoire, notamment mais pas seulement, graphique. Il est sans doute dommage qu’elle ait été présentée comme de la sociolinguistique, alors qu’elle aurait dû, par ses qualités évidentes, être soutenue comme une thèse de linguistique (phonétique, etc.) la question graphique ne venant qu’en dernier.
    Ce qui montre bien qu’avec de l’opiniâtreté et de la méthode, on peut arriver à comprendre, et faire passer aux autres, ce qu’on a établi.
    Merci à Jean Lafitte d’avoir tant contribué à ce devoir de piété qui fait tant défaut au monde tel qu’il est.

  • (Lo men tèxt publicat sus Mastodon e un drin corregit)

    Me pensi util de parlar mei deu Joan de Lafita.
    Lo trobèi en bèth arribar a l’IEO París en 1989-1990. N’èra lo dinerèr e lo professor de gascon. Aprengoi lo gascon damb eth. Un gascon "normalizat", com s’ac pensava ad aqueth moment : biarnés e damb la grafia classica. Dus o tres ans adarrond, devarèi ende Montpelhièr e encontrèi Josiana Ubaud qui’m presentèt lo projècte Gidiloc. Quan tornèi, lo parlèi deu projècte en tot hornir : ei de plànher qu’ei pas sonque endeu lengadocian. Lo digoi qui seré haseder e agit d’ac har endeu gascon tanben. Ei atau qui decidigot de s’i hicar : se crompèt un Macintosh e un escanèr, e ataquèt la numerizacion deu Palai (puish deu Lespy, etc.) En parallèl creèt DiGaM e la publicacion Ligam-DiGaM. Ne hesoi lo logo...

    N’arrecebot pas un arcuelh deus bons deus gasconistas institucionaus : que’u barrèn la pòrta lo Salas-Lostau, lo Nariòu e autes. Ne vengot drin amar. Seguiscot totun lo tribalh de reflexion sus la grafia classica qui ne trobèva pas coërenta. Lo problèma ei que non comprenguèt pas (o non volot pas jamei comprénguer) los principis de basa de la grafia classica, englobadera e prescriptiva a l’uncòp, qui posca estar utilizada ende duas miras diherentas : ende transcríver, au mei pròishe de la prononciacion, o ende ensenhar/escríver, damb ua armonizacion minimau.

    Tanben estot polluït, dempuish lo començament deu projècte, per son ideologia politica, nacionalista francesa (çò qui ei normau per un militar retirat). Atau escrigot au préfet deus Pirenèus Atlantics ende denonciar los "dangeirós separatistas" de l’IEO ! Solide que’u ajudèt pas a estar ben arcuelhut per dauvuns occitanistas biarnés.

    En mei d’aquò, jamei volguèt pas cambiar d’opinion e utilizèt metòdes dialectics deus dobtós ende justificar sas presas de posicion o conclusions (citacions troncadas e presentadas damb explics tendenciós, etc.) Ei atau que deishèm d’estar en comunicacion regulara.

    En brac, en tot partir d’ua d’idèa de las bonas, tot s’acabèt dens ua cacografia sostenguda per mond qui, com eth, disen haut e hòrt que la lenga ei morta, e per mausabents com lo Blanchet.
    En tot cap, que repause en patz, e lo men omenatge sia dens lo gascon qui m’aprengot.

  • La rubrique Parlam Gascon dans S-O du jour parle de la disparition de Jean lafitte :

    https://www.sudouest.fr/landes/landes-disparition-d-un-linguiste-film-sur-arnaudin-et-histoire-a-capbreton-dans-notre-rubrique-parlam-gascon-14647885.php

    Los qui se’n vam : Jean Lafitte

    Que vienen d’aprener que Jean Lafitte, vadut en 1930, es partit « possar las brumas », com disen au país d’Arnaudin. D’origina bearnesa per la soa mair, qu’avè hèit ua carrièra de jurista dens las armadas. Mes, l’atge vienut, que’s èra hicat a l’estudi e a la defensa de la lenga nòsta. En region parisiana, on demorè, que frequentèt monde de l’Institut d’estudis occitans e, personaument, en 1993, qu’avoi lo plaser de partatjar dab eth un cors, au còr de Paris, a la « Maison de l’Erau ». Quauques mes arron, qu’èra devarat a nòste, au parat d’ua tornada en Gasconha. Dens las Lanas qu’encontrèt a Trensac lo Bernat Manciet. « Qu’es un militari… », me dishot après l’autor deu « L’Enterrament a Sabres », dab lo son biaish costumèr de deishar enténer e d’esclapotir los uns o los autes. En aquera temporada, lo Jean Lafitte s’èra estrambordat deu « proclam de Pau » (25 octobre 1993) on lo François Bayrou, lavetz ministre de l’Educacion nacionau, s’escridè que « lo temps de la vergonha, per la lenga nòsta, èra acabat ». En 1998, que publiquè ua navèra edicion deu diccionari de Vastin Lespy e Paul Raymond on hicava la transcripcion deus mots en grafia normalizada occitana. Enqüèra qu’avossi quauquas reticéncias a l’utilizar e que, mei anar mei, au hiu deus sons estudis apregondits (dens lo son bulletin aperat « Ligam-Digam »), la prudèra que’u prenè un chic quan vedè o entenè lo mot « occitan ». Aqueth sabent, justament autor d’ua tèsi a partir deus sons tribalhs de lexicografia, avè paur que lo nòste car gascon estossi engolit, sepelit per lo lengadocian dit « estandard ». Personaument, defensor jo tanben de l’especificitat deu gascon mes urós d’apréner hòrt de causas deu costat deu Lengadòc, de Provença o deu Lemosin, n’èi pas jamèi avut paur d’estar avalat e avalit. E, contrariament ad eth, qu’èi contunhat d’emplegar la grafia utilizada dens aquera rubrica. D’alhors, se hèn víver lo gascon (escritura, ensenhament, canta, conversacion, ràdio, creacions barrejadas), que contunharà, segur, de subervíver. E pòden se neurir sonque de nostalgia ? Còp de beret totun, au « Jan de Lafitte », mosquetari gascon a la soa manèira, ja que lo monde e la lenga nòsta contunhin d’avançar.


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