Je vais vous parler ici du gascon garonnais (au sens de garonnais dans l’ensemble gascon septentrional, càd le dialecte -le mien- quasiment disparu, qui était parlé entre le Tonnenquais et le Sauternais, sur quelques km de largeur (les premiers coteaux de la rive droite du Tonnenquais à Cadillac ; la ville de Langon et quelques communes du Sauternais). Je ne traiterai pas de l’intégralité de ses caractéristiques qui en font un mélange des dialectes bordelais et bazadais avec des traits agenais à l’est, mais je présenterai seulement quelques aspects particuliers.
Commençons par le lexique ; voici une liste non exhaustive de mots typiquement garonnais (au sens large, càd répartis entre Agen et Bordeaux, voire carrément entre Toulouse et le Médoc)
– s’agroar [saɣɾu’wa] : s’accroupir.
– aubareda [ɒwβ’ɾeðə/-o] : peupleraie des bords de Garonne (en plus d’être une saulaie d’aubiers) ; sens particulier du mot aubareda « saulaie » plus répandu < aubar « saule blanc (aubier) ».
– àuger [’awʒə/-e] : avoir ; mot du Lot-et-Garonne et du Tarn-et-Garonne, en aval on trouve auger [ɒw’ʒe] qui est moins strictement garonnais (on le trouve dans l’Entre-deux-Mers, la région bordelaise au sens large).
– bada-costat [,baðəkus’tat] : sorte de crevette (Châteaureynaud).
– benaujant [benɒw’ʒãŋ] (Gaye) / bicanàs (Séré) : plouc ; le premier mot (Cadillac) est le gentilé pour la Benauge, arrière-pays rural de Cadillac ; le second mot (Marmande) est probablement un import limousin (cf. bicanard « rustre »), on en trouve d’autres en marmandais p.ex. boirar. Aussi pibes en Marmandais ; peut-être une abréviation.
– bèrla [’bɛrlə] : bille à jouer, p.ext. couille ; dérivé berlon [bɛr’lũŋ] « grosse bille » ; en bordeluche un casse-berles est un casse-c... ; cependant une attestation isolée dans le Lauragais (FEW). J.-Y. Gaubert propose comme étymologie le lat. beryllus.
– bisana [bi’zanə] : borne, présent dans la toponymie du Langonnais ; variante de bidana, qui est plus largement nord-gascon avec ses variantes bridana, blidana.
– borriu [bu’riw] : de mauvaise humeur (Masson, Baudet).
– briulassa [βɾiw’lasə] : pholiote, pleurote, poussant sur les troncs de peupliers (Hilaire) < briule « peuplier ».
– cala [’kalə] : quai, embarcadère, sur la Garonne ; couramment usité en francitan garonnais.
– carrolha [ka’rujə] : chemin creux (Suire), dans le secteur de Quinsac et Cambes ; bien plus en amont, on trouvera carròla, également en pays garonnais mais non-gascon (Toulouse, Bas Quercy).
– carrelòt [kare’lɔt] : ruelle ; mot présent en amont du Marmandais.
– carruet [kary’et] : ruelle ; mot présent entre le Réolais et Cadillac, visible en divers lieux sur le cadastre napoléonien mais absent de la toponymie actuelle ; l’étymon doit être carruca (cf. FEW).
– chanat [ca’nat] : crevé, épuisé (comm. D. Séré), mot d’origine gavache correspondant à l’oc canat ou à l’argot cané. De même en bordeluche, chana [’canə] signifie « pipe (fellation) » (Ducloux). Le tout se rattache au lat. canna, via la langue d’oïl.
– changòt [cãŋ’gɔt] / chancòt [cãŋ’kɔt] : flaque (ALG, Macarienes, Gaye), dans la région de Langon, St-Macaire, Cadillac. Le mot bazadais est charnòc.
– colina [ku’lino/-ə] : vallon où de l’eau s’écoule, à ne pas confondre avec « colline ». Mot du Lot-et-Garonne ; on trouve à l’ouest la variante colèira [ku’lɛjɾə] qui, elle, se retrouve cependant dans l’est du domaine d’oc !
– conhut [ku’ɲyt] : qui a perdu (au jeu) (Chevillard) ; sans doute à comprendre comme « coincé », même si l’on attendrait cunhat, mais il y a peut-être l’attraction de mots comme con, conhanhe, etc.
– deixibrar [deʃi’βɾa] : déchirer, lacérer (Masson) ; mot rare dont la variante xibrar [ʃi’βɾa] est bien connue dans le sud de la Gironde y compris dans le francitan « chibrer » qui signifie « abîmer ».
– dobleiron [duβlɛj’ɾűŋ] : type de pierre de taille ; en français régional, le mot spécialisé doubleron est encore connu des spécialistes des carrières de pierre.
– esbrifar [ezβɾi’fa] : mettre en loques (Masson) ; curieux mot isolé, étant donné que briffer dans le sens de chiffonner, abîmer, mettre en loques, est un mot de l’est de la France (FEW).
– estèir [es’tɛj] : petit affluent de la rive droite de la Garonne (en aval du coude de la Garonne au niveau de St-Macaire) et de la Dordogne (en aval de Castillon) soumis aux marées. Le mot est connu sur le Bassin d’Arcachon mais avec un sens différent.
– gaula [’gawlə/-o] : bras secondaire de la Garonne, y compris comme hydronyme ; mot garonnais par essence, avec sa variante jaula [’ʒawlo] ; peut-être à rapprocher de mots nord-occitans tels gaule, gaura, gaulha, etc. qui désignent des bourbiers, des mares, ou moins sûrement de gaula au sens de bâton, branche (> bras de rivière).
– getin [ʒe’tĩŋ] : taillis de saules des bords de Garonne, par extension terres alluvionnaires des bords de Garonne (là où les saules ont laissé la place aux aubarèdes) ; du verbe gitar « rejeter de souche ». On le trouve en toponymie, par exemple le site protégé des Jetins à St Pierre d’Aurillac.
– grausilhar [ɣɾɒwzi’ja] : farfouiller (Laffargue).
– grenopit [ɣɾenu’pit] : flétri (Masson) ; relevé par D. Escarpit en Médoc.
– gringalhut [ɣɾĩŋga’jyt] : granuleux, pourvu d’aspérités (Masson).
– haian [a’jãŋ] : hêtre ; mot présent en toponymie (Donzac) ; semble être influencé par le mot gavache fayan sur la base du mot gascon hai, que l’on trouve d’ailleurs dans la toponymie du même secteur sous la forme diminutive haiòt [a’jɔt], et la forme collective haiar [a’ja].
– honèira [u’nɛjɾə] : vallon avec un écoulement, dépression de terrain ; mot présent en toponymie (Semens), correspondant à la série gasconne honèra, honada, honau, honsada, honsau, etc.
– jabrós [ʒa’βɾus] : sale, maculé, souillé (Masson, Boirac) ; faça jabrosa « sale gueule » ; ainsi que les dérivés jabrosar, enjabrosar (Masson) ; c’est évidemment un mot d’origine poitevine (jabrou « sale, barbouillé ») ou saintongeaise (jhobrous « sale, barbouillé »).
– lachòc [la’cɔk] : flaque (Laffargue) ; onomatopéique.
– legrir (hèser los ulhs) [le’ɣɾi] : écarquiller les yeux (Masson, Secrets dau Diable) ; peut-être s’agit-il d’un dérivé d’alègre « joyeux », cf. le béarnais alegrir, autrement dit : « s’égayer les yeux ».
– (pas) lenge[pa’lẽnɟə] : pas du tout (ALG) ; attesté à Pujols/Ciron, mot apparemment très local, avec comme variantes bazadaises enge, inge, nenge. A rapprocher de ne gentem (cf FEW) ?
– liganha [li’ɣaɲə] : chassie ; forme typique des Graves (ALG à Pujols/C. ; entendue par mon grand-père [Talence] et dans les Graves) ; les formes largement dominantes sont laganha et leganha.
– lisa [’lizo/-ə] : limon de Garonne ; mot du Lot-et-Garonne, connu dans l’ouest de la France mais avec le sens d’argile.
– litzar [li’dza/-tsa], litzada [li’dzaðə/-tsaðo] : glisser, glissade (Macarienes, ALG).
– mata [’matə] : haute berge, par dérivation digue ; mot bien connu en Marmandais, alors que dans d’autres régions c’est une touffe, une cépée, une motte ; dans le Bas Médoc, c’est un terrain gagné sur l’estuaire. Le sens de digue est très spécifique au Marmandais.
– mochar [mu’ca] : montrer (Ferrand) ; forme locale du secteur de Langon/La Réole, alors qu’en gascon les mots muixar et moixar sont les plus répandus.
– moches [’mucəs] (Laliman) : gosses ; origine inconnue, peut-être de l’espagnol muchachos ?
– parda [’paɾðə] / pardòta [paɾ’ðɔtə] : pignon (nom d’un cépage) (Féret). Divers cépages portent des noms locaux typiques.
– nhiula [’ɲiwlə] : flemme (ALG à Blaignac) ; je découvre par hasard dans le FEW nioura en arpitan pour une femme indolente !
– pampalhet [pãmpa’jet] : fête de la fin des vendanges ; mot encore utilisé dans l’Entre-deux-Mers et dont un restaurant de St-Macaire porte le nom.
– pautrinhar [pɒwtɾi’ɲa] : patauger, piétiner (Masson ?) ; typiquement d’origine saintongeaise, ne se retrouve qu’ici en gascon.
– peirat [pɛj’ɾat] : syn. de cala (cf. ci-dessus), mais inusité en francitan.
– a pilha-peròc [a ,pijəpe’ɾɔk] : vite fait mal fait (Masson) ; semble signifier littéralement « à pille-enveloppe de l’épi de maïs ».
– piu [piw], piva [’piwə/-βə] : dindon, dinde (ALG, Hilaire, Launet de Beaumont) ; onomatopéique ; attesté jusque dans le NO de l’Entre-deux-Mers.
– raganet [raɣa’net] : avorton (Séré) ; signifie littéralement... « trou du cul » ! En effet, la ragana ou regana, outre son sens originel de « ravin, rigole » (d’où un hydronyme du Marmandais) désigne le sillon fessier, mais aussi le sexe féminin, et il est intéressant de constater que ce mot, d’origine gavache, est justement connu dans des parlers gascons à proximité des Gavacheries, à savoir Marmandais et Bas Médoc !
– ragolh [ra’ɣuj] : remous du fleuve (Suire, R. Escarpit) ; influence poitevine-saintongeaise, régions dans lesquelles sont localisés les mots en ragouil- liés à des mouvements de l’eau (FEW).
– ralut [ra’lyt] : chétif (pour un végétal tout au moins) ; origine à creuser, car d’apparence gavache.
– ribòt [ri’βɔt] : sol battant (luvisol) (Féret, comm. A. Bord) ou moellon (Billa) ; mot typique de la région de St-Macaire, origine inconnue.
– rimonar [rimu’na] : grommeler.
– senticós [sẽnti’kus] : susceptible.
– tausa [’tawzə] : averse (Gaye) ; mot typique de la Benauge, d’origine mystérieuse et inconnu ailleurs.
– tresson [tɾe’sũŋ] : type de filet de pêche manié par les tressonaires.
– trompa [’tɾũmpə] / tromba [’tɾũmbə] : doline, boyau (cavités karstiques) ; le premier mot se trouve sur la base Karsteau (« trompe d’Artigolle » à St-André-du-Bois) et dans le toponyme « moulin de la Trompe » à Faleyras (donc dans le centre de l’Entre-deux-Mers) ; quand au second, nous l’avons entendu une seule fois, dans la bouche d’un habitant de St-André-du-Bois à propos de la « trompe d’Artigolle ». Evidemment en lien avec la forme en entonnoir (trompette) des dolines. Cependant, dans le cas du moulin de la Trompe, le sens est peut-être différent car en Ariège, une trompa peut désigner le canal d’un moulin.
– vagassèir [baɣa’sɛj] : débris flottant sur la Garonne ; on trouve aussi vagassièr en Bas Quercy, donc toujours en pays garonnais.
– viròl [bi’ɾɔl] : type de filet de pêche.
Le lexique garonnais, notamment vers l’est (Laffargue, Séré), est influencé par :
– le saintongeais (proximité de la Petite Gavacherie dont les habitants se rendaient à Marmande et à La Réole : (a)lisa, balòt, chanat, chauma*, coçarda, jabrós, javassa(r), pautrinhar, ragana/raganet, ragolh...
– le périgourdin (proximité de la frontière linguistique, Seyches étant déjà de parler périgord) : arlòt/arlotar, bergaud, boirar, cabòrna, chauma*, faure*, jau, patilhós*, picadís, de raletas, sinar, tran, xabròt...
– le « languedocien » : aboriu, borrasson, campèstre, çaquelà, se clinar, empenat, faure*, fièra, fraunhós, patilhós*, vormelós...
Quelques particularités très locales sont relevées :
– le passage de -eir à -ir (gir < geir « hier » [Bourciez], mestir < mesteir « métier » [Boirac, Macarienes]) ; notez bien qu’il s’agit de -eir et pas de -èir qui, lui, reste bien -èir. De même, frid < fre(i)d « froid », forme du Haut Entre-deux-Mers et de la Benauge.
– le passage de -e- à -u- (vutèth < vetèth « veau » [Bourciez], lugir < legir) ; on retrouve en parallèle vudèth < vedèth à Libourne, ainsi que pusca < pesca, pusquèir < pesquèir, etc., en Bordelais.
– boiat < goiat « jeune homme » en Sauternais (Bourciez) ; cela peut sembler être une coquille, mais le mot apparaît plusieurs fois, et on sait par ailleurs que le passage -g-/-b- est courant (golh/bolh, gopilha/vopilha, jauga/jauva, auguicha/auvicha, seuva/seuga...)
– un îlot de formes très étonnantes de type sud-gascon attestées dans la région de Langon (Buget, Ferrand, Bourciez) : oelh < ulh, hoelha < hulha... ainsi que lhevar < levar, lhèit < lèit...
– la résolution de -ua(-) par -uva(-) [-yβa-/-yβə] en Marmandais (ailleurs on utilise [w] ou [j], à moins que le -n - ne soit conservé) : luva, duvas...
Au niveau de la prononciation :
– -h- muet, ce qui entraîne l’élision dans certains cas : qu’hasèva ; mais lo haian, lo huc ; cela entraîne aussi des modifications de prononciation : les hulhas [le’zyjəs], duhòra [’djɔrə], bohuròc [buj’ɾɔk].
– les -n (/-nt/-nd) ainsi que les -m (/-mp/-mb) prononcés indifféremment [-ŋ] : can, camp et cant, vin et vint, ben, vend et vent, càntam et càntan, som et son, se prononcent pareil.
– -tg(e)/-tj-/-ch- prononcés indifféremment [c] (entre « tch » et « ty »), alors qu’en Bazadais on distingue -tj- [ɟ] et -ch- [c].
– au- atone (et parfois même en position tonique) prononcé [ɒw] comme en Guyenne, alors qu’en Gascogne [aw] tend à ne pas se relâcher.
– annada prononcé [ãŋ’naðə] (« ang-nade »), ce que l’on retrouve aussi dans le Bazadais.
– un certain nombre de consonnes finales amuïes, surtout après diphtongue : nuit [nyj], pòrc [pɔɾ], caud [kaw]...
– en Marmandais, -c, -p parfois prononcés [-t].
– tendance à prononcer -x- comme [-dz-] plutôt que [-gz-].
– dans -ns- après voyelle, le -n- a tendance à disparaître en entraînant une nasalisation de la voyelle, ce qui se retrouve dans l’Entre-deux-Mers, tout comme dans les dialectes limousins : dançar [dã’sa] plutôt que [dan’sa].
Au niveau de la conjugaison :
– les formes conei < coneix, parei < pareix [Masson, Boirac].
– l’imparfait avèva/-èu’ prononcé [a’βɛw(ə)] (çà et là en Pays macarien, entouré par avè [a’wɛ] au sud et avèva [a’βɛβə] au nord)
– le prétérit ouest-garonnais en hasuri, hasures, hasut, etc. ainsi que le subj. imparfait en hasussi, hasussis, hasussi, etc. (hiri et que hissi en bordelais, hasoi et que hasossi en bazadais et marmandais).
– les subjonctifs qu’èsti (en Langonnais) et que siqui (en Marmandais), entourés par le plus classique que sii.
– les imparfaits en -issèvi (côtoyant ceux en -ivi).