La région Nouvelle Aquitaine semble avoir lancé ces dernières semaines une discrète mais très repérable campagne d’opinion tendant à donner une certaine légitimité historique à sa création et à en populariser le contenu géographique auprès de ses habitants qui, dans le fond, semblent un peu indifférents à tout cela, pour rester poli.
A la manœuvre, on note particulièrement Madame Anne-Marie Cocula, historienne, professeur d’université émérite, auteur de nombreux travaux sur l’Aquitaine médiévale et du temps de la Renaissance.
Premier acte (du moins le premier que j’ai repéré) : un interview le mois dernier à TV 7, la chaine TV de Gironde (chaine assez intéressante, que je conseille de regarder) lors d’une émission précédent de quelques jours un colloque (Sciences Po-Sud Ouest) centré sur le contenu historique et culturel de la Nouvelle Aquitaine, tenu au château de La Rochefoucauld, lieu emblématique et prestigieux, le 29 mars dernier. A la faveur de cette interview, A-M.Cocula résumait des éléments identificateurs de la personnalité néo-aquitanienne. Il faut dire qu’elle avait présidé la commission chargée, il y a trois ans, de trouver un nom à la nouvelle région ; le résultat avait du reste limité les dégâts qu’on pouvait craindre dans une époque sans mémoire, tout comme le blason/logo ensuite adopté se montrait de bien meilleure facture que le misérable logo façon « office du tourisme » de l’ancienne région.
Mais le seul vrai dégât était bien la Nouvelle Aquitaine elle-même dont la campagne en question s’efforce de gommer toute l’artificialité.
Tout d’abord en rappelant - et Mme Cocula est bien placée pour cela - que ses contours rappellent étrangement ceux de l’Aquitaine des Plantagenêt née en 1159 au moment du mariage d’Aliénor avec Henri II d’Angleterre. Sauf à oublier que ce contour dura seulement une petite centaine d’années (espérons que la NA durera moins que cela, tout de même !) à la faveur des reconquêtes françaises des armées du roi Saint-Louis en Poitou et Limousin. Et que de toutes manières, comme c’était alors de règle, elle était déterminée plus par des héritages dynastiques que par une communauté d’intérêts ou d’identité des peuples concernés.
Mais à vouloir trop prouver il est bien connu qu’on ne prouve rien ou si peu : Mme Cocula, qui n’a pas oublié qu’un bon historien doit être aussi géographe, a voulu montrer pendant l’interview de TV 7 le caractère endogène et unificateur des grands bassins fluviaux de la région. En citant les bassins de la Garonne et de l’Adour, pas trop de problème en effet sauf à laisser de côté le fait que le basssin garonnais innerve tout autant Midi Pyrénées que l’ancienne Aquitaine mais en citant la Vienne qui arrose bien tous les départements limousins en plus d’une partie du Poitou elle s’est aperçue juste à temps qu’elle était un affluent de la Loire, fleuve assez peu néo-aquitain. Un détail certes mais comme les arguments en faveur de la thèse néo-aquitaine sont faibles, tant du côté de la géographie que de l’histoire, il vaudrait mieux qu’ils soient vraiment valables.
Enfin lors du colloque de La Rochefoucauld dont j’ai cherché en vain jusqu’à aujourd’hui une recension fiable, il semblerait, à en croire les quotidiens des jours suivants, que Mme Cocula avait cru trouver l’élément historique unificateur dans le fait que tous les territoires néo-aquitains ou à peu près avaient été pendant l’occupation allemande au XXe siècle des terres de Résistance. Certes pour pas mal d’entre elles mais de quelles autres régions ne pourrait-on pas le dire ? Rhône Alpes, de ce point de vue là pourrait bien remporter la palme, me semble-t-il.
Avant-hier encore le MAG (supplément hebdomadaire de Sud Ouest) branchait son projecteur sur un nouveau projet transmédia mettant en scène Aliénor d’Aquitaine (encore !) et « permettant de redécouvrir « l’histoire de cette reine qui a tant marqué la région ». Ce projet,appelé Les Voies d’Alienor, est monté par le laboratoire de recherche Médiations, de l’Université Bordeaux-Montaigne. Il a donc un parrainage public supposé garant d’un certain sérieux voire d’une réelle objectivité scientifique et a priori son objectif est louable.
Ce qui n’empêche pas une des deux responsables du projet, Mélanie Bourdaa, d’ajouter : « Nous engageons aussi une réflexion sur ce qu’est la Nouvelle Aquitaine, à quoi elle correspond, elle qui est tout sauf une création sortie de nulle part mais qui s’inscrit au contraire dans une histoire séculaire ».
Voila qui laisse pantois : pas sortie de nulle part, certes, mais bien d’arbitrages politiciens et administratifs un beau soir dans le bureau du président Hollande ; mais « inscrit dans une histoire séculaire » sent bien l’a priori voire une certaine propagande.
Tout cela ne parait pas bien consistant finalement.
Mais l’administration néo-aquitaine n’a-t-elle pas à sa disposition le plus solide argument du monde à savoir la capacité de dépenser des sommes considérables pour inonder les panneaux routiers et autres de mentions de la Nouvelle Aquitaine en question et de susciter tous les colloques et projets transmédia servant son appetit de légitimité.
L’inertie des populations concernées aidant, cela « devrait le faire » comme disent les jeunes !