Les frontières départementales et le ressort de l’ancien TGI de Marmande : une discussion avec une avocate "agenaise"

- Tederic Merger

Ceux qui me connaissent savent que j’exerce la profession d’avocat. Ce jour-là, je discute avant une audience avec une consœur agenaise devant l’ancien tribunal de grande instance de Marmande, devenu tribunal d’instance, flambant neuf.

Le TGI de Marmande a été supprimé par la réforme de la carte judiciaire de Rachida Dati, sous le gouvernement Fillon, en 2007, avec mise en application en 2010 : contre-sens absolu, mais qui présageait déjà de la réforme territoriale, à savoir la concentration de services en des pôles plus gros, où l’on estime possible de réaliser des économies d’échelle.

Bref, les compétences du TGI de Marmande furent transférées à Agen (grosso-modo, les affaires civiles importantes, les affaires de droit de la famille, le tribunal correctionnel ...), alors même que dans l’ancien ressort du TGI de Marmande (les anciens cantons de Bouglon, Casteljaloux, Castelmoron-sur-Lot, Damazan, Duras, Houeillès, Lauzun, Le Mas-d’Agenais, Marmande-Est, Marmande-Ouest, Meilhan-sur-Garonne, Seyches et Tonneins), que je sache, l’on se bat sur des contrats, l’on divorce et l’on commet des délits, bref, comme ailleurs.

Machine arrière en 2014, la chambre spéciale du TGI d’Agen réservée aux dossiers marmandais (oui, oui, l’on avait créé une chambre pour traiter à Agen des dossiers de Marmande) réinvestit l’ancien tribunal de Marmande, sans pour autant que celui-ci ne redevienne un TGI (en pratique, pour illustrer par un exemple, les audiences de conciliation en divorce ont lieu à Marmande mais pour l’audience de divorce, c’est Agen ...).

J’en viens à la discussion avec ma consœur agenaise par le statut, mais en fait marmandaise. En effet, un ordre d’avocats est lié à un TGI : celui de Marmande ayant été supprimé, elle se retrouve avocate du barreau d’Agen, exerçant à Marmande (ce qui dans la pratique, au demeurant, signifie que le courrier des avocats est distribué à Agen, ville où elle se rend rarement dans sa pratique quotidienne ...).

Ma consœur est originaire du Limousin, et n’aime pas la contrée. Cela manque d’arbres selon elle. C’est un comportement assez fréquent que de déplorer que sa région d’installation ne ressemble pas à sa région natale. Je lui rétorque qu’elle est injuste, d’abord je trouve que la vallée de la Garonne est un paysage très puissant, vaste, impressionnant ; ensuite, le pignada landais n’est guère loin de Marmande, avec sa magie ; enfin, l’on trouve une campagne tout à fait belle, faite de collines aimables, en s’enfonçant vers Duras. Non, le problème du Marmandais, c’est l’étalement urbain pavillonnaire affolant en tout sens, la laideur du périurbain.

Mais ce n’est pas l’objet de la discussion qui motive cette brève. C’est que ma consœur va vite embrayer sur ce qu’elle estime être la faute de la suppression du TGI de Marmande. De prime abord, je suis tout à fait d’accord. Elle va plus loin.

Quand le TGI de Marmande allait être supprimé, le monde judiciaire marmandais a proposé quelque chose : puisque l’on reprochait au TGI son manque d’activité, pourquoi ne tout simplement pas lui attribuer des cantons girondins voisins, autour de La Réole, Langon et Bazas ? Ma consœur d’expliciter : les gens de ces villes girondines viennent naturellement à Marmande pour consulter des avocats mais ce sont les juridictions bordelaises qui sont compétentes, pourtant plus éloignées ! Et ces dernières sont surchargées (des délais de jugement en années, je peux en témoigner).

Les autorités n’ont rien voulu savoir : il ne fallait pas toucher aux frontières départementales. "Pourtant ça existe la Moyenne Garonne", me dit ma consœur. Je ne sais pas si c’est le terme que j’utiliserais pour décrire cette réalité mais il me semble clair qu’une partie du Bazadais et du Réolais regardent nettement vers Marmande.

Bref, quelle leçon ? Face à des arguments rationnels, à savoir que les juridictions bordelaises sont surchargées alors que Marmande ne l’était pas, l’État, chargé de revoir la carte judiciaire dans les années 2000, a refusé de transcender des frontières départementales, très contestables d’un point de vue de la réalité du terrain, à tout le moins du vécu.

Cette anecdote illustre assez bien la mentalité de l’État central, arc-bouté sur des limites départementales. La même crispation sera à l’œuvre lors de la réforme territoriale. Contre la logique, contre la réalité du terrain.

[Vincent P.]

Grans de sau

  • Ce goût pour l’abstraction et le centralisme, c’est si ancré dans "république française" qu’il n’y aurait qu’un statut de territoire à part (style Wallis et Futuna) ou un changement de régime...
    L’un ou l’autre m’iraient, mais je dois pas être très nombreux, en tout cas je ne l’entends guère proposer ou réclamer ?

  • L’aller-retour ubuesque du TGI de Marmande est une preuve supplémentaire des crispations jacobines qui se manifestent dès lors que l’on veut toucher un tant soit peu aux sacro-saintes limites départementales. Et s’il ne s’agissait que de crispations ou de bloquages psychologiques, mais il faut savoir que le coût de ce transfert est estimé à un million huit cent mille euros (1 800 000 euros !), rien que ça ! Sans compter les frais nécessités par la rénovation du tribunal de Marmande pour l’accueil des justiciables.
    Quant à l’idée de Moyenne Garonne évoquée par la consoeur de Vincent, l’idée est loin d’être sotte bien que ce terme géographique soit un peu flou et fluctuant. A moins de parler dans ce cas de "Moyenne Garonne marmandaise", ce qui serait un peu plus précis. Signalons au passage que ce terme conviendrait également assez bien pour désigner l’aire sous-dialectale nord-gasconne qui courait naguère le long de la Garonne en gros entre Tonneins et La Réole et qui correspondait en gros à ce que les gens des coteaux, de parler guyennais, qualifiaient de planiu.
    Voici quelques jolies vues de l’Observatoire des Paysages de la Garonne :
    http://opgaronne.univ-tlse2.fr/moyenne


Un gran de sau ?

(connexion facultative)

  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Ajouter un document

Dans la même rubrique :


 

Sommaire Noms & Lòcs