Le Dictionnaire toponymique de la Gironde est sorti !

- Tederic Merger

De Bénédicte Boyrie-Fénié, il suit celui concernant les communes des Landes, et précède celui concernant celles du Lot-et-Garonne.

Grans de sau

  • Mon premier avis (je possède le livre depuis le Salon du Livre de Pau) en quelques points, je reviendrai sur des analyses toponymiques plus précisément plus tard (sans aucune prétention autre que celle du toponymiste amateur).

    1. Commençons par ce qui m’énerve le plus : l’utilisation du mot occitan. A toutes les sauces, il ne veut plus rien dire. Parler de substrat occitan en Grande Gavacherie, ça veut dire quoi ? Un toponyme comme Guîtres prouve que la Double et ses environs ont été de langue limousine (effacement du s implosif) alors que Lacaussade laisse entendre un passé gascon. Le mot d’occitan brouille les cartes.

    2. En partie lié à cela, je regrette l’absence totale de cartes, et plus en avant, de classification des toponymes selon les cantons. Grosclaude le disait dans son émission de radio peu avant de mourir : les cantons restent la moins mauvaise échelle administrative pour mettre en évidence l’existence de micro-pays. La lecture par canton laissait voir les modalités micro-linguistiques de certaines régions.

    3. Certaines réflexions sont étranges. On a l’impression que ce dictionnaire se veut normatif et qu’il "révèle" le nom officiel d’une commune perdu dans les temps. Pour Lalande de Pomerol, de langue gavache (en fait, on n’y parle plus que français), l’auteur écrit que l’on devrait plutôt écrire Lalande de Pomirau car Pomirau est le vrai nom de la commune gasconophone de Pomerol. On se croirait revenu il y a 20 ans de cela quand les nationalismes régionaux français nous imposaient de dire Naoned ou Miarritze. Ridicule. Il y a des versions française et gasconne des toponymes, point.

    4. Les explications phonétiques sont parfois expédiées : comme par magie, on passe de l’étymon à la forme actuelle via des étapes sans jamais expliquer ces dernières au regard des caractéristiques phonétiques du gascon girondin. On a souvent l’impression que les étapes sont inventées pour justifier l’étymon proposé.

    5. Je constate une trop grande fidélité à des auteurs un peu vieillis désormais et l’absence totale de références aux travaux par exemple d’un Delamarre sur la langue celtique continentale. Par contre, les réflexions de Boisgontier extraites d’un article à la NRO, souvent les meilleures, ne sont jamais clairement explicitées.

    Je m’excuse pour ce tableau un peu noir. Il me faut donc dire combien je trouve la parution de cet ouvrage salvatrice. Mais se mettre servilement dans les pas de Grosclaude ne suffit pas pour qu’au moins sur la forme, le tout soit impeccable. Pour être clair, ça manque de consistance : chaque toponyme devrait être traité bien plus longuement.

  • Bonjour Vincent,

    Je viens de découvrir ton message concernant le dictionnaire toponymique de la Gironde. Tu as parfaitement le droit de critiquer cet ouvrage et je pense que Bénédicte Fénié est capable de recevoir certaines de tes critiques. Tout ouvrage est critiquable et la polémique est et doit être une saine illustration de la diversité des opinions. Cependant, je trouve que tu as la dent un peu dure, d’autant plus que tu es généralement plus prudent et mesuré. Tu sembles parfois insinuer que ce travail n’est pas tout à fait honnête et que certaines explications ont été inventées par commodité. Je ne suis pas d’accord avec toi car je sais l’intégrité de Bénédicte Fénié qui ne se contente pas "d’expédier" des explications mais mène véritablement un travail de fonds très sérieux et surtout honnête, en fait des mois et des mois de recherches. Je pense que la cahier des charges relatif à cette collection ne lui permet pas de rentrer dans ces détails dont tu parles. Il s’agit avant tout d’ouvrages de vulgarisation, destinés au plus large public possible et le format implique une limitation du propos.
    Voilà, je pense que tu as le droit de dire que tu n’es pas d’accord avec certains choix mais certaines allusions sont, à mon sens, maladroites et injustes.

    Amitiés.

    Philippe Lartigue

    • Oui, ma critique était injuste, un peu violente et elle ne pouvait pas donner une autre impression car je n’y développais que les défauts que je percevais dans l’ouvrage, défauts qu’une lecture plus attentive me fait atténuer largement. Je me permets donc de préciser ces 5 points, tels que je les percevais alors :

      1 et 2. Après lecture du livre, je crois véritablement qu’il se dégage une confusion de la part du lecteur sur ce qu’est la Gironde : on ne comprend pas la langue que l’on y parle, on reste dans le flou le plus total sur les implantations gavaches, on décèle mal l’existence de micro-régions diverses. C’est pour cela que j’insistais sur la division en canton, à défaut d’une division par pays historique (Cernés, Buch, Blayais, Vitrezais, ...). Le choix de la présentation, fidèle à Grosclaude 1991, n’est pas non plus idéal : celle du dictionnaire consacré aux HP était plus aérée, plus agréable.

      Je pense qu’en introduction, un résumé de la situation linguistique girondine se justifiait : il suffisait d’une carte, quelques isoglosses. On se repère tout de suite.

      3. Le parti-pris idéologique m’énerve un peu. Il est propre à la mouvance occitaniste et à certains de ses réflexes. D’abord, je trouve un certain mépris des villages de langue saintongeaise : eux, pas besoin de restituer une orthographe, ce sont des patoisants français. Ensuite, c’est bien cette question de restitution qui pose problème : le nom révélé, celui-ci devient officiel et le livre se présente comme le guide pour les communes désireuses de renouer avec leur passé "occitan". Or, bien des fois, la restitution me semble hasardeuse, parfois carrément insensée (je pense plutôt au Hastings proposé comme nom occitan de Hastingues dans les Landes sous prétexte d’étymologisme), souvent arbitraire. A ce titre, on peut se demander pourquoi la prononciation relevée sur place se trouve toujours comme dernier élément de l’étude du nom d’une commune. La prononciation fait partie des indices qui permettent de proposer une explication étymologique : BBF donne l’impression que la prononciation a été adaptée à la restitution orthographique (ce qui est faux puisque souvent la prononciation relevée ne correspond pas à la restitution). C’est un peu maladroit.

      4. Les explications phonétiques sont généralement rigoureuses et habiles. Maintenant, je regrette qu’elles ne soient pas plus explicitées et mises en balance avec les caractéristiques du gascon local. C’est plus une question de clarté de l’exposé que de justesse de la démonstration : bien souvent, les notices sont confuses. BBF critique les hypothèses antérieures sans donner la raison de leur inanité. Les explications manquent de souffle historique : pourquoi ce nom à cet endroit ? C’est la qualité de l’ouvrage d’Orpustan : l’intime connaissance du territoire analysé. Avec lui, on se balade au Pays Basque, tantôt nous sommes à la frontière souletine aux toponymes romans, tantôt dans la vallée de la Nive aux toponymes en -itz énigmatiques. Il manque à l’ouvrage de BBF si ce n’est un certain amour de la région étudiée, au moins une connaissance plus intime des lieux. La prose de BBF est trop mécanique.

      5. D’une point de vue plus toponymique, je suis assez critique sur certaines analyses. D’abord, je déplore la tentation de faire appel à de vagues racines pré-indo-européennes triturées un peu dans tous les sens : c’était déjà le défaut de la Toponymie Occitane de BBF. Trop souvent, on plaque sur un toponyme une vieille racine alors même que parfois une explication celte est possible. Dans le même genre, je remarque la propension à sortir du chapeau des suffixes dont on ne sait rien (on les dit locatifs, ça suffit). On plaque mais on ne s’aventure pas à donner de la cohérence au montage.

      Maintenant, il faut l’avouer : la toponymie girondine essentiellement faite de villae latines (-ac, -an), est très conjecturale et à vrai dire, peu intéressante. On s’ennuie vite à l’étudier : on cherche un nom dans l’Onomasticon, on regarde si ça colle et on valide.

      Après, et ce n’est pas le lieu, il y a des hypothèses que je réfute totalement. Par exemple celle qui veut que les toponymes en -ens soient d’origine germanique (c’est souvent le latin -ensem qui devient -encx/-enx en vieux-gascon du fait du n vélaire d’où en Béarn Navarrenx<(sponda) navarrens(is))

      Voilà ces points développés. J’espère que je serai parvenu à expliciter mes points de désaccord. Cela reste superficiel, il nous faudrait reprendre une à une les notices. C’est avant tout un ouvrage indispensable, juste un nombre incalculable de fois et qui détonne dans l’amateurisme des productions folkloriques. Le meilleur du livre à mon avis, c’est le relevé systématique des formes anciennes. Bravo à BBF et je m’excuse pour ces rares fois où je l’avoue, j’ai tiqué.

    • Merci pour ce débat qui aidera à la méthodologie d’autres ouvrages.

      Une notule en passant, sur le nom de Philondenx (qui a peut-être déjà été étudié) : Je pose un étymon *Filomenenses "frairie (des gens) de (sainte)Philomène". Pas de forme orale gasconne en /h/ à ma connaissance pour ce nom de commune. F initial conservé à l’écrit témoigne d’une origine (ecclésiastique) extérieure, ou d’une forme figée. La graphie est savante. Phon. : /filome’nenses > filom’nense/ > la rencontre m/n facilite la production d’un d. Vérification à faire : le culte de sainte Philomène en Gascogne, sa popularité ; âge du toponyme et son entrée dans la langue, etc.

      N-B. : Pour ajouter à la discussion : Naoned, écrit Naffned au XVIIe s., est bien le nom breton de Nantes, issu de Namnetes avec une accentuation différente, nom bien connu par la chanson populaire bretonne jusqu’à Guérande, ce n’est pas une reconstitution régionaliste, pas plus que Roaz(h)on Rennes, issu de Redones.
      Quant à X. Delamarre, il émet des réserves à juste titre sur le Dico toponymique provençal de Ch. Rostaing, avec ses "racines pré-indo-européennes". Dauzat n’est guère fameux non plus.
      Quid de Burdigala ? gala / gara avec gar- comme dans Garonna ?

      Respects, P. J. Momaas.


Un gran de sau ?

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