L’oc-gascon à l’école : quels enjeux ?

- PJM

La question de l’enseignement de l’oc-gascon amène celles de l’école et du statut de la langue, de son rapport avec les institutions, avec les « institutions parallèles », les familles et les élèves. Elle s’élargit d’elle-même à l’idée combattue, tolérée, admise ou revendiquée, d’une appartenance régionale en devenir (et en péril).

Quelques commentaires :

1) Les parents ne seraient pas hostiles si telle fédération ne faisait pas de désinformation ?

– Les méthodes signalées ne s’éloignent pas des tactiques habituelles de ce genre de milieux. Basse politique certes, mais politique tout de même, au niveau du département numéro soixante-quatre, décalque de ce qui se fait plus subtilement (?) aux échelons supérieurs. Qui doit informer les parents ? Cela nous renvoie aux argumentaires utilisés, donc aux autres questions soulevées ici. Si l’opinion publique hésite, c’est qu’elle est bien faible et influençable.

2) La suppression de postes est un argument fallacieux ?

– Pas tout à fait car, outre la réduction des moyens et des effectifs, des choix s’opèrent à l’intérieur des orientations étatiques. L’irruption d’une classe bilingue peut effectivement déstabiliser une école et une commune et créer une polémique. Pourquoi ? Parce que la situation est objectivement polémique. À cet égard, qui n’avance pas recule.

3) Le rôle des écoles bilingues est de transmettre l’oc-gascon ?

La fin de l’Éducation Nationale est d’enseigner en français. L’enseignement des langues non françaises territorialisées est une anomalie par rapport à cette doctrine qui n’a jamais été abrogée. Les concessions historiques en cette matière depuis cent ans ont été faites sous la pression ou à la faveur d’un conjoncture particulière, le plus souvent passagère. Les « bilingues » sont inscrites dans le paysage de certaines régions, mais fragiles.
Des écoles bilingues transmettront peu ou prou la culture qui accompagne la langue enseignée. Leur existence même pose implicitement, bien que sans arrière-pensée, la question de la « nationalité réelle » des territoires scolaires. Inadmissible pour beaucoup.

4) La demande pour le gascon est faible ?

– La langue n’ayant plus de poids social, il ne peut en être autrement. Mais, inversons la formule : la demande existe bien. Il faut se demander si elle est qualitativement suffisante, en scrutant les motivations des parents et l’attitude des enfants (c’est eux qu’on engage et, au-delà, leurs lignées, ce que l’individualisme régnant occulte). Quelle est la capacité de résistance des parents ?

5) Il faut maintenant sauver et illustrer l’identité gasconne en français ?

– C’est évidemment nécessaire. Mais langue et identité étant indissociables, et comme tous les éléments de l’identité se défont, on se trouve dans un cercle vicieux. Comment briser ce cercle, ou en faire un cercle vertueux ? Associer la langue à toutes les activités gasconnes ? On retombe sur les points évoqués : les motifs profonds de l’engagement et le nouveau statut de la langue gasconne.

6) La ségrégation scolaire est préjudiciable ?

– Moins que ne le serait une instruction de mauvaise qualité, assortie d’exil profesionnel ou de confinement social (y compris dans des situations gratifiantes). Le plus néfaste est un certain type d’éducation qui rend les enfants insensibles à leur propre terre, les coupe des ultimes savoirs populaires, tranche leurs dernières racines naturelles et culturelles, favorisant l’exil intérieur et la ségrégation générationnelle.
Paradoxalement, les promoteurs de l’école francophone obligatoire étaient de grands rassembleurs (de Brest à Bayonne, d’Ajaccio à Hazebroek, etc). Mais quelle école d’oc-gascon serait assez solide pour constituer un môle de résistance hors institutions ?
« On nous exclut ? Cela prouve que nous existons par nous-mêmes. Et nous n’en sommes pas morts. » Je ne sais pas si cette rhétorique est très pertinente, mais s’il faut expliquer à des enfants pourquoi ils n’ont pas droit au réfectoire (cela s’est vu) ou à la cour de récréation, ça pourra les aider.

7) Le déni de réalité est mortel ?

– Oui, aussi faut-il dresser des bilans sans complaisance, faire l’inventaire des forces, des ressources, pour tracer des perspectives possibles.

8) La langue est une forme de la pensée ?

– Neutre du point de vue de la culture matérielle, la langue permet une réception du monde. Formuler un discours, c’est organiser, accomplir la vie dans cette langue. D’où l’importance de ce qui se fait autour : il ne servirait à rien d’enseigner des langues dites régionales si on néglige par ailleurs les autres dimensions de la personnalité culturelle.
Avec les comportements collectifs, une langue maintient une sensibilité particulière. La langue devrait être conscience de soi, surtout si elle est menacée.

Un piètre argument en faveur de l’oc-gascon (et des autres langues « régionales ») est que le bilinguisme rendrait plus intelligent ou favoriserait l’apprentissage d’autres langues.
Vrai-faux argument de linguistes qui se croient le centre du monde. Si c’est cela, apprenez des langues utiles (le russe, l’espagnol, le chinois), et des bien compliquées surtout. (De ce seul point de vue-là, les choses étant ce qu’elle sont, mieux vaudrait recommander aux parents d’enseigner à leurs enfants un bon français, avec toutes ses nuances, ce qui par les temps qui courent tient déjà de la diglossie, voire de l’exploit.)

La recherche d’arguments favorables (éveil linguistique, pédagogie, filière spéciale, etc.), souvent conformes au discours dominant (lénifiant en surface), ne risque-t-elle pas d’éliminer la notion de « langue maternelle » (obsolète, mais pas pour les anciens, pas pour la longue durée) et celle de « langue du pays » ? Une identité à la carte, optionnelle, est-elle viable ? Désamorcée de toute charge historique, ne reflète-t-elle pas l’intériorisation des interdits portés sur la question linguistique ? Procédé d’évitement ? Mais peut-il en être autrement vue la sociologie du « Sud-Ouest » ?

S’il ne se fonde pas sur un attachement sincère au pays, l’apprentissage de la langue régionale condamne son objet. Ce qui renvoie à la question : pourquoi enseigner une langue marginalisée ? Autrement dit : s’il y a plusieurs perceptions de la fonction sociale d’une langue, peut-on doter le gascon d’un nouveau statut référentiel ? Ce n’est pas impossible, mais il faut poser l’enjeu gascon global.
Qu’est-ce qui « passe par » le gascon enseigné ? Quelle est l’idée centrale ?

9) La dilection occitane est une revanche pour une langue déclassée ?

– Peu à peu renfermé dans les activités rurales, le gascon a vu son univers linguistique rétrécir (pression, oppression, refoulement).
Si le peuple est linguistiquement épuisé, une relève se fera-t-elle ? Pourrait-elle venir de jeunes gens sans complexe mais bien formés (non pas endoctrinés à un quelconque -isme politique – méfiez-vous des -ismes –, mais simplement ouverts à leur pays, nommé enfin de son nom ?). Nous retrouvons la question des fins et des motifs. Si l’oc-gascon n’est que le moyen d’obtenir quelques points supplémentaires au bac grâce à un bagage dont on aura tout oublié six mois après, c’est déjà ça mais c’est navrant.

10) C’est une société qui s’effondre ?

– Oui, et bien au-delà. car la mort du gascon et de la personnalité gasconne prend place dans un drame qui nous dépasse : l’agonie de la société traditionnelle-rurale consécutive à la crise de la modernité occidentale (et mondiale).
Le gascon a manqué le coche de l’officialisation étatique, il n’a pas été servi par une bourgeoisie nationale (fin des espoirs gascons après la mort d’Henri IV), il a trop faiblement éprouvé le ressourcement romantique du XIXe siècle (comme les autres peuples inclus dans l’État français) et n’a pas trouvé pour le servir un clergé national (modèle gallois ou basque) ou des instituteurs patriotes. Le méridionalisme français a fait le reste.

Les peuples sont mortels. La langue est un facteur objectif nécessaire mais, il est vrai, non suffisant de l’appartenance. Bien sûr, les paysages aussi nous parlent. Que diront-ils « après » ?

11) Seul le patriotisme et la fierté peuvent sauver l’oc-gascon ?

– Oui, en définissant le contenu de cette affirmation de soi, de cette volonté (plus que la bonne volonté). Je ne vois pas ce qui peut amener des soutiens convaincus et durables au gascon en dehors d’un attachement non politicien, non doctrinaire, au pays. Ce n’est pas le culte d’un passé révolu, mais le désir de transmettre et de renouveller un vivre particulier.
Cela va de pair avec la défense et la mise en valeur du territoire (usage des ressources, respect du paysage, innovation à partir du vernaculaire). C’est une recréation et une projection. Il faut ne pas se tromper de nom : Gasconha comme référence supra-locale.

PJM
Février 2012

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