Le substrat de Jean-Claude Juncker Tederic M.

- Tederic Merger

Que vient faire Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, dans les grans de sau de Gasconha.com ?
En l’entendant parler l’autre jour à la radio - exemple de phrase (de mémoire) : « depuis que j’ai renoncé à une carrière ecclésiastique, je n’apprends plus le latin avec la ferveur que vous pensez », j’ai repensé au schéma de substitution linguistique en général, et du remplacement du gascon par le français en particulier.

Jean-Claude Juncker parle un français très châtié, dans sa syntaxe et son vocabulaire. Il a étudié le droit à Strasbourg, donc en français.
Il vient d’un pays de langue germanique, le Luxembourg, où le français est langue de culture et d’administration, sans que la langue locale soit méprisée, exclue, dévitalisée, comme ce serait le cas en France - mais c’est une autre question.

Ce qui m’intéresse avec le parler de Jean-Claude Juncker, c’est que sa langue d’origine (probablement sa langue maternelle) perce avec évidence dans son accent et sa prononciation, alors même qu’il maîtrise parfaitement le français.

Ce cas me confirme la chronologie du remplacement d’une langue par une autre :

 phase 1 : emprunt de mots à la langue invasive (comme le français le fait maintenant massivement à l’anglais) - mais la syntaxe, la conjugaison etc. ne sont pas affectées.
 phase 2 : adoption de la structure et du fonctionnement de la langue invasive : le changement de langue est acté ici ; mais la prononciation, l’accent d’origine - le son - demeurent, comme chez Jean-Claude Juncker.
 phase 3 : perte de l’accent et de la prononciation d’origine : c’est le stade final.

Bref, ce qui résiste le plus longtemps, c’est l’accent. En Gascogne, il résiste encore.

Grans de sau

  • C’est d’ailleurs probablement ce même accent qui résiste, par delà les siècles, qui explique qu’en parlant français, Sud-Landais et Béarnais possèdent un accent très similaire à l’accent qu’ont les Basques en parlant français.

    Qu’est-ce que cet accent tient du vieux passé aquitain ? Quelque chose d’une articulation probablement, de la difficulté à prononcer certains phonèmes, bref, des mutations à la base même du gascon.

    Il a existé une oreille qui parvenait à distinguer des accents, de façon subtile.

    Mon grand-père de Morlaàs, de la voisine Jeanne Laffargue (je cite le nom, car cela ancre un ancien pays disparu), ayant passé une partie de sa vie sur les bords de la Garonne, disait "qu’elle a l’accent d’Agen". Moi aussi, je décelais qu’elle ne parlait pas tout à fait en français comme les autres vieux, c’était plus mélodique, moins sec.

    De ma grand-mère paternelle, née à Bassillon, aux confins du Béarn et de la Rivière-Basse (la Bigorre pour simplifier), et qui avait, comme tous ces Béarnais des environs de Lembeye et Montaner, étudié à Vic-Bigorre, l’on disait d’elle en Béarn qu’elle avait "l’accent bigourdan".

    L’oreille de nos contemporains n’est plus habituée à ces différences très subtiles. Aussi probablement parce que ces nuances ont disparu. Mais je me souviendrai toute ma vie de la première fois que je suis allé à Toulouse dans mon enfance, ou alors de la deuxième fois : un cafetier, place de la Trinité, son accent, ses maniérismes, ma mère qui s’exclame "on croirait qu’il est de chez nous". Il devait être des Pyrénées.

  • Moi je le remarque bien tous les jours. Les Bordelais n’ont pas le même accent que nous et les Landais, vers Sanguinet, non plus.
    Les Bordelais c’est plus chantant et les Landais plus dur.

    Christian

  • L’acculturation par l’accent gagnait les nouveaux venus. Quand ils étaient installés depuis longtemps, cela donnait des déséquilibres, leur mélodie restant globalement française mais l’accentuation, surtout pour les finales, se rapprochant du gascon. Imitation spontanée ou désir plus ou moins conscient de se fondre ?

    Le français du Béarn me paraissait beau, avec ses différentes sortes de r, ses modulations, la rudesse hachée de l’expression paysanne (mais là c’est le mode de vie qui pesait) dont le flot tantôt monotone, tantôt sonore roulait sous les arcades, la diction calme et délicate des vieilles (Madame Baradat), le caquet des marchandes de volaille...
    Dans les Landes l’oreille notait un quelque chose de nasal, insolence d’une nature plus rude ? Subjectivité qui mêle la langue et le milieu et restitue une musique.
    Un rien de préciosité perçait dans la petite bourgeoisie francisée, mais l’accent restait cohérent. Seuls ceux qui s’efforçaient de parler à la française faisaient au son commun les injures de contretemps et de fausses notes. Des o mal ouverts, des o trop fermés, une nasalité contrainte, tout ce qu’il fallait pour se rendre un peu ridicule aux yeux des bons francisants, et des patoisants.

    La rééducation est venue par l’école, puis la radio et le film, et par la télévision normalisatrice. Les accents devinrent alors le poids du méridionalisme caricatural. Seuls les commentateurs du rugby remontaient un peu son image dans les années 1960.
    Et puis les vieux sont morts. L’accent reste quand même un marqueur de l’identité. pour combien de temps ?

    Assimilation rapide qui ne laissera rien subsister de l’accent, ni en quantité, ni en qualité puisque avec lui disparaissent des finesses auditives de l’expressivité qui formaient un code culturel, comme les cinq ou six façons de moduler adieu (selon qu’on accueille, salue, ou prend congé). L’implicite passait par les sons, valant discours.

    « Tout ça est refoulé, écrit C. Duneton. Au début du [vingtième] siècle, ce ne sont pas seulement des parlers qui meurent, mais un pays qui change de musique, de sonorités. Tout d’un coup, les gens s’interdisent, ou plutôt on leur interdit leur langue maternelle. » Phonologiquement, le linguiste Albert Dauzat fait état du « recul des sons indigènes » (Les patois, Paris, 1927, p. 78). Cela s’applique aussi au français tels qu’on le parle maintenant.

  • Je fais suite à Vincent : aux alentours de 2000, j’ai participé à un pèlerinage à Lourdes des retraités de ma paroisse de banlieue parisienne. À la sortie de la gare, un bus particulier nous attendait, avec une jeune femme pour nous accueillir.

    Dès ses premiers mots, j’ai cru entendre ma sœur, morte en 1997, qui avait toujours gardé la façon de parler français de notre petit milieu de Jurançon… Cela m’a fait un coup !


Un gran de sau ?

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