Le vote Jean Lassalle Un OVNI politique gascon ?

- Vincent P.

Le 1er tour de l’élection présidentielle est toujours intéressant à analyser d’un point de vue de la politique locale et je vous épargnerai toute analyse nationale, ce n’est pas là l’objet de Gasconha.com. Reste que dans le Sud-Ouest, rien de nouveau.

Le RN est en tête partout où dominent les thématiques sociales bien connues (effondrement économique depuis les années 80, périurbanisation pavillonnaire via l’étalement urbain, mélancolie des classes moyennes "blanches" héliotropes, évaporation quasi définitive de toute culture locale enracinée). C’est la vallée de la Garonne, repoussoir des pôles boboïsants Bordeaux et Toulouse, qui poursuit sa conquête, dans le détail, du nord des Landes ou du sud de la Haute-Garonne. La contrée gasconne la plus RN est sans contestation possible le Médoc et les marges du Nord-Gironde.

C’est en somme la Gilet-Jaunie, parfaitement identifiée, sur laquelle il n’y a plus grand chose à dire, sauf à se répéter quant à la responsabilité des maires qui ont créé cette situation de contrainte spatiale : dis-moi où tu habites, je te dirai pour qui tu votes. La Gironde, à ce titre, est parfaitement caricaturale, un vrai cas d’école, une contrée à moyen terme ingouvernable, terriblement polarisée géographiquement.

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Ce n’est pas le moindre des paradoxes, mais c’est le candidat autoproclamé desdits maires, si coupables à nos yeux, qui constitue l’OVNI politique le plus passionnant à analyser, d’autant qu’il dit beaucoup sur la Gascogne.

Jean Lassalle est pourtant ce que Gasconha.com appelle depuis de nombreuses années un archéo-jacobin : tout son combat politique est ancré dans la nostalgie des années gaulliennes, la puissance du municipalisme, la foi dans l’État central (la grève de la faim comme ultime SOS). Ses positions sur la décentralisation sont ambigües : contre les grandes régions et les grandes intercommunalités (il a raison), mais en vérité contre l’idée même de région et d’intercommunalité. Il a eu des paroles malheureuses sur la langue basque, mais il a su s’allier avec les nationalistes corses depuis quelques années.

Cependant, je n’entends pas étudier le personnage Lassalle dans le détail, c’est le vote Lassalle qui nous occupe. Indéniablement, il dessine un grand Sud-Ouest sentimental, sur le bassin de la Garonne et de la Dordogne, avec une forte assise gasconne.

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Dans la boucle de Garonne, le vote Lassalle est loin d’être anodin dans le Pays Basque intérieur et en Béarn montagnard. La côte basque et l’agglomération paloise sont sans surprise plutôt sur un positionnement de vote "bobo", semblable aux grandes métropoles.

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Le vote Lassalle est assez clairement un proxy, chez les Basques, de vote nationaliste : l’on retrouve le même phénomène dans les suffrages exprimés en Corse. Sur tout le département, Jean Lassalle est à 12%, ce qui est considérable pour un candidat mineur dans une élection nationale.

Dans les Landes, marquées par la progression du RN (c’est un clair effet de tache d’huile de la métropole bordelaise), le vote Lassalle est en tête dans quelques communes du Gabardan, ce qui n’est pas anodin.

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Mais évidemment, le candidat en tête, si cela est stupéfiant quand il s’agit d’un candidat mineur, n’en reste pas moins une donnée insuffisante, étant entendu que sur d’aussi petites communes au corps électoral petit, il suffit de quelques votes pour que tel ou tel candidat se trouve en tête.

Il convient de regarder la carte électorale dessinée par le premier tour en fonction de la globalité des votes, et des tendances par bloc. C’est le travail fait par François Hublet sur Twitter :

https://twitter.com/FHublet/status/1514374041938894848

Le vote Jean Lassalle va de pair avec un vote de droite classique (LR) ou néo-classique (Zemmour, si on le classe comme étant une résurgence du RPR : cela peut faire débat) : il y a alors cohérence globale du vote Jean Lassalle, c’est un vote probablement conservateur, en tout cas "ancré", mais qui pour autant ne s’est pas porté sur Pécresse ou Zemmour, pour des raisons qu’il convient d’analyser.

La distribution par "cluster" montre que les zones où le vote Lassalle n’est pas anodin sont rurales et vont alors au-delà de la petite Gascogne (64 + 65 + 32 +40) : le Massif Central (de langue d’oc) est comme un miroir, la vallée de la Garonne et les agglomérations de Bordeaux et Toulouse venant couper ces mondes périphériques.

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L’analyse socio-économique est aisée : la petite Gascogne comme le Massif Central sont des zones marquées par les thématiques rurales, l’épuisement d’un modèle (les Trente Glorieuses), un relatif archaïsme (malgré la volonté des maires de désenclaver). Mais cependant, ce n’est pas suffisant : des régions rurales qui sont dans la difficulté, il y en a partout en France, hors le monde post-industriel et les métropoles.

C’est là qu’il convient probablement de revenir au personnage Lassalle pour comprendre les ressorts de la séduction qu’il a exercée sur cet électorat rural : je postule un sentiment d’identification comme inconscient à un physique, un accent, une prosodie. Autrement dit, avoir une apparence "gasconne", cela paye encore (resterait à connaître l’âge des électeurs, mais il peut être plus jeune qu’on ne le croit).

Nous nous inquiétons beaucoup de savoir si le monde gascon peut encore séduire, ses oripeaux, les sonorités de sa langue (par exemple dans le cas de l’adressage). Le vote Lassalle, peu importe le programme politique du personnage, montre qu’il y a de la place pour une expression publique de cet univers, qu’elle séduit également les autres populations du monde d’oc rural.

J’irais plus loin : le vote Lassalle montre qu’il y aurait même une possibilité pour une expression partisane régionaliste gasconne voire occitane, qui sur une plateforme de défense de la ruralité, relativement équidistante dans le spectre politique, pourrait faire passer ses idées comme force d’appoint de majorités. Ce que les Basques et les Corses ont fait, avec des décennies d’avance : le chantier est trop vaste pour nous, nous sommes condamnés à conjecturer.

Grans de sau

  • Bien vu tout ça, je pense, sauf sur un point:le vote RN. Ce que dépeint Vincent s’appliquait au vote FN, disons jusqu’à 2017. Aujourd’hui le vote RN est devenu le vote majoritaire de la ruralité : l’ensemble des communes de moins de 1000 habitants ont donné une légère majorité à MLP alors que c’est l’inverse partout ailleurs.
    En Gascogne méridionale cette réalité est partiellement altérée par le vote de sympathie, tant sociale qu’ethnique, pour Jean Lassalle. Les ruraux ont compris qu’ils étaient aussi devenus part de la France périphérique alors que jusqu’à il y a peu ils constituaient le coeur de l’identité rêvée du pays (déjà plus réelle depuis longtemps, du reste).

    Voir dans SO de ce jour l’article sur les 88 communes landaises, dont Tartas, qui ont basculé de Macron à MLP (en 2017, seules 4 communes l’avaient placée en tête).

  • Vincent, il faut, je pense, expliquer pourquoi les maires sont « si coupables à nos yeux » !
    Lesquels, maires, et coupables de quoi ?
    Je pense que tu pointes l’attitude générale des maires ruraux et péri-urbains de créer des lotissements pour accueillir des habitants qui travaillent ailleurs et dépendent totalement de la voiture (je viens d’entendre à la télé que les zones où Marine Le Pen a bien progressé sont surtout "celles où les gens dépendent de la voiture").

    Mais était-il possible ou facile que ces maires résistassent (!) à la tentation de faire plaisir aux propriétaires de terrain potentiellement à bâtir, ou, plus bellement - mais dans les communes les plus petites - de remplir leurs écoles ?

  • Bonjour les amis.

    Pour avoir participé à une vingtaine de samedis festifs gilets jauniens à Bordeaux et pour avoir beaucoup parlé avec bon nombre de manifestants, j’en ai conclu ce qui suit. Beaucoup des ces gens venaient des marges médoquines, bazadaises, libournaises, blayaises (etc.) avec le plaisir à peine dissimulé de venir troubler le samedi des bobos. Certains avaient été chassés de la ville par la gentrification, les loyers et l’immobilier devenus inabordables. Donc, double punition puisqu’ils doivent subir les embouteillages quotidiens pour aller travailler. Et, cerise sur le gâteau, le mépris de la bourgeoisie (de droite comme de gauche), les macronistes pour résumer et simplifier un peu, qui les insulte et les méprise (les pue-de-la-gueule, qui roulent au diesel, fument des clopes, complotistes, fachos, antisémites, homophobes, bas-du-front etc.). On a vu et entendu, pendant cette période, dans les médias notamment, un mépris de classe qui s’est exprimé sans aucune retenue et avec des accents de haine que je n’avais jamais observés auparavant (jusqu’à un Luc Ferry qui proposait qu’on tire sur la foule. Déclaration inouïe qui traduit en fait une grande peur). Et ce torrent d’insultes, ce mépris s’est encore exprimé sans vergogne pendant la période COVID et entre les deux tours de la présidentielle. Jamais un président de la Vème République n’aura autant fracturé le pays comme Emmanuel Macron, lequel suscite une haine que même Sarkozy n’avait pas réussi à autant cristalliser et personnifier. Les tensions sociales sont extrêmement fortes et je pense que nous pouvons être assez inquiets pour les mois et les années à venir. Le climat est détestable à bien des points de vue et, encore une fois, je ne me rappelle pas avoir vu cela, à aucun moment de mes 57 années de vie (disons les 40 où j’ai plus ou moins eu la conscience de ce qui se passait).
    Pour les Landes, mon département, qui a voté massivement PS pendant des décennies, Henri Emmanuelli n’est mort que depuis 5 ans, voir 88 communes voter pour Le Pen est vraiment une grande nouveauté. Même ma commune, avec sa mairesse MODEM très ouvertement pro-Macron, donne 45% à Le Pen. Sanguinet, théoriquement ultra macroniste avec son maire et son député Fabien Lainé, lui donne quasiment 50%.
    Mathématiquement Emmanuel Macron a gagné mais, si j’étais lui, je ne fanfaronnerai pas outre mesure et je ferai preuve d’un peu de modestie. En est-il capable ou bien jettera-t-il encore de l’huile sur le feu ?