Hêtre et toponymie en Gironde et Lot-et-Garonne Une relique du Tardiglaciaire

- Gaby

Le hêtre est une essence rare dans le Bassin aquitain, car il nécessite une atmosphère fraîche et humide pour se développer optimalement, et d’autre part il supporte mal le traitement en taillis fréquent dans notre région.

(photo prise à Semens)

Il est cependant présent dans divers refuges ayant un microclimat submontagnard, principalement :
 la fascinante hêtraie des gorges du Ciron (vers Préchac et Bernos-Beaulac), avec sa végétation très particulière, qui serait la seule zone en Europe occidentale restée boisée pendant la dernière glaciation car âgée au moins de 40 000 ans ;
 les bois des vallées encaissées des Côtes de Bordeaux (réseaux hydrographiques du Gaillardon, de l’Artolie, de l’Euille, du Galouchey...) : vallée de la Boye, Madirac, bois d’Artolie à Paillet, bois de Labarie, ancienne forêt royale de Créon... ‒ ça fait 6-7 ans que je me penche sur la question, ayant des hêtres à 250 m de chez moi ;
 les bois des vallées encaissées du Bazadais similaires à ceux des Côtes de Bordeaux ;
 la forêt du Mas-d’Agenais, au relief pourtant faible, mais où le hêtre a peut-être été préservé par des pratiques de gestion particulières.

La végétation de la période tardiglaciaire a pu se maintenir dans ces zones fraîches, humides, ombragées.

Mais il a aussi été observé dans l’est de l’Entre-deux-Mers, dans le Haut Agenais, dans le Bergeracois... Par contre, il est strictement absent du Médoc, du Blayais et quasiment du Libournais.

Il est aussi bien présent sur les versants des cours d’eau landais (Douze, Estampon...) notamment vers Roquefort, ainsi que dans l’Armagnac, mais je n’en traiterai pas ici car il s’agit d’avancées de l’aire pyrénéenne du hêtre, celui-ci devenant commun au sud de l’Adour. De même, dans le Périgord, il n’est pas rare à l’est d’une ligne Angoulême / Villefranche-du-Périgord.

Parfois, la toponymie (sans oublier de considérer en parallèle la topographie) peut permettre de trouver des hêtraies, c’était le cas lorsque j’ai découvert le bois du Haya.

Il existe en effet un certain nombre de toponymes liés au hêtre dans le secteur qui m’intéresse, les voici :

hau
HAUX (commune) : cette commune fait partie d’une zone où le hêtre est toujours présent ! La toponyme est très ancien, car en gascon moderne de Gironde on employait des mots dérivés de hai.

haian
QUARTIER DU HAYAN (Donzac) : dans le vallon de la Boye ; le hêtre est présent plus en aval car le lieu, que j’ai déjà exploré quelquefois, est exploité en taillis.

hajar / haiar (collectif)
BOIS DU HAYA (St-Pierre-d’Aurillac) : il s’agit bien d’une belle hêtraie.
AYAS / BOIS DU HAYAS (Soulignac / Escoussans) : bois où se trouve la palombière du fameux Jacques Gaye, grand maître de la confrérie des paloumayres de l’Entre-deux-Mers et spécialiste de la culture de la Benauge. Il m’a dit qu’il n’y a pas de hêtre actuellement.
LE HAJA (Gans) : bois dans un vallon encaissé, à voir.

haget / haiet / faget / faiet (collectif)
LE HAGET (Langon) : non loin du vallon du Grusson ; douteux.
LE HAGET (Moncrabeau) : LE HAJET sur la carte de Cassini ; embouchure d’un petit vallon, aujourd’hui largement déboisé. Il est probable que le hêtre ait disparu depuis longtemps. A moins que ce soit tout bêtement un patronyme.
LE HAGET (Ste-Maure-de-Peyriac) : peut-être dans le vallon boisé en contrebas, à voir.
RIEUFLAGET (St-Antoine-du-Queyret) : c’est RIEU FAGET sur la carte de Cassini ; aux sources du Despondé, un ruisseau encaissé. À voir ; ce serait intéressant de trouver du hêtre (bien caché !) dans le nord de l’Entre-deux-Mers où il n’est plus connu.
MOULIN DE FAYET (Montussan / Beychac-et-Caillau) : vers la Poste ; ?
AYET (Tonneins) : HAYET sur la carte de Cassini ; je n’ai jamais cru à la signification de « hêtraie ». En effet, la configuration n’est absolument pas propice au hêtre, que ce soit dans la ribère ou sur les pentes chaudes des pechs. Je crois que c’est simplement le patronyme Hayet qui s’est fixé là.

haieda / fageda (collectif)
LA HAIE (Baurech) : comme on voit LA HAIDE sur la carte de Cassini, c’est fort possible que ce soit un haieda déformé, d’autant plus que le hêtre existe encore plus en aval ; par contre, le toponyme Fayard à proximité est une coïncidence (c’est un patronyme), puisqu’on ne dit pas « fayard » chez nous.
MOULIN DE LA FAGEDE (Cambes, 1435...) : était situé près de l’église de Cambes. Peut-être le même que celui de « Lafayeda ».
MOULIN DE LAFAYEDE (Quinsac, XIe/XIIIe) : correspond plus ou moins au moulin de Demptos ; vallon plus ou moins encaissé.
MOULIN DE LAFAYEDA (St-Caprais-de-Bordeaux ?, XIe/XIIIe) : secteur avec des vallons boisés encaissés, à voir.

hajòt / faiòta (diminutif, à partir d’un collectif ?)
LE HAGEOT (Cardan) : au-dessus du ruisseau de Mansin, boisé et un peu encaissé ; j’avais prospecté il y a quelques années, pas de hêtres (bois morcelés, taillis...).
LA FAYOTTE (Les Salles-de-Castillon) : au confluent de deux vallons boisés (le Coudot et le ruisseau de la Gueyraude), ancien prieuré méconnu. À voir.

haja / faia (collectif)
LA HAGE (St-Aubin-de-Branne) : pas impossible car il y a un vallon court mais encaissé, à voir.
LA HAGE / LAHAGE (Lagupie) : sur une crête entre deux ruisseaux encaissés et boisés (la Régane et la Rossignole) ; un début de prospection il y a quelques années n’avait rien donné, à continuer.
AUTAFAYA (Targon, 1480).
HAUTEFAYE (La Sauve) : j’avais noté ce toponyme comme étant l’ancien nom de « Colinneau ». En effet, le ruisseau de Colinneau est boisé et encaissé, à voir. Très étonnant : je découvre que le patronyme Hautefaye est originaire de l’Entre-deux-Mers bordelais, ou du moins il s’y est implanté.

N.B. : « Au Ayan » noté dans Balloux (2019) semble être une erreur !

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