Wascons et goths Gérard Saint-Gaudens

J’ai lu ou relu récemment les deux tomes de "la Vasconie" de l’historien souletin Jean de Jaurgain qui écrivait avant 1900 et le livre que, 100 ans après, l’historienne des Goths,des Mérovingiens et des Carolingiens, Renée Mussot-Goulard prétendait consacrer aux Gascons ("Les Gascons", éd.Atlantica,2002).

Sur le plan factuel, l’histoire des Aquitains/Gascons des VIè au IXè siècle, aux prises avec les grandes puissances du moment, y est bien rappelée et ce livre est fort intéressant.
Reste qu’il me parait représenter à un autre niveau un hold-up historique un peu fort : se fondant sur un "anonyme de Ravenne" (en Italie) de la fin du VIIè siècle (voir pp 9 et 253), l’historienne reprend ce qui me parait un gigantesque anachronisme du "ravennate" qui voyait naitre une "Gascogne" dès le VIè siècle sur l’ensemble de ces territoires ; elle étend le nom de Gascogne à l’immense territoire entre Loire et Pyrénées (les Aquitaine première et seconde d’Auguste).
Ce tour de passe-passe lui permet de raconter, non l’histoire d’un peuple particulier appelé "Wascones" surtout présent au sud de la Garonne - qu’elle ne mentionne même pas à titre d’hypothèse - mais bien la résistance visigothe à la mainmise franque après que la victoire franque à Vouillé (511) les eût chassé de ces territoires.
Du reste, RMG ne mentionne rien d’autre que sa thèse assez partielle et partiale et jamais, même dans sa bibliographie, tous ceux qui écrivirent avant elle sur le Haut moyen âge aquitain et gascon.
Je ne sais si ce livre avait été beaucoup discuté à l’époque de sa parution ; j’ai trouvé toutefois une critique modérée mais claire et bien avisée dans un site basque (Ikerzaleak) sous la plume de Robert Elissondo ("avons-nous des ancêtres goths ?").
Derrière cette thèse outrancière, une question se profile tout de même :
qu’est-ce qui dans notre héritage génétique, culturel, linguistique mais aussi paysager et social, vient respectivemet des quelque 30 peuples "novempopulaniens" (considérés souvent comme "ibères" (les "Aquitains" de Jules César dans les Commentaires), des Goths (qui ont certes laissé leur empreinte) et des "Wascones" que tous s’accordent à voir venir de la zone cantabrique ?
Pour ma part, je subodore que l’influence des premiers nommés, pourtant occupants nombreux et établis de très longue date, a été au fil des temps très sous-estimés au bénéfice des "Wascones" et, avec Mme Mussot-Goulard (bien seule,il est vrai !) des Goths.

Grans de sau

  • Je pense, cher monsieur, que vous avez très mal compris cet ouvrage.
    Car au final, ce que dit Mme Mussot Goulard revient à peu de chose prêt à ce que vous avez l’air de penser.
    Certes elle souligne une influence gothique mais dit en même temps que les Wascones ne sont rien d’autre que la succession de peuples qui ont vécu à cet endroit et dont la grosse base sont les fameux aquitains.
    Elle soutient même que ces fameux Wascones ne venaient pas de l’autre coté des Pyrénées (comme la légende populaire voudrait nous le faire croire) mais tout simplement de notre coté à nous des Pyrénées et que c’était ce peuple formé d’une succession de cultures.
    Car si on doit considérer le peuple Vascon des romains comme étant les Wascones de Grégoire de Tour, alors il faudrait expliquer pourquoi ce peuple a réussi à rester à l’écart de tous les autres pendant 7 siècles à telle enseigne que personne, absolument personne, ne parle d’eux pendant ces 7 siècles.

  • A Guilhem.
    Votre interpellation m’a conduit à relire une troisième fois l’intriguant livre de Mme M-G mais cette fois ,un crayon à la main.
    Je dois vous dire que je ne retire rien de ce que j’en avais écrit en janvier.
    Pour Mme M-G il est constamment implicite que ces Wascons sont des Goths et sans doute rien d’autre.
    Elle s’appuie sur une citation du VIIè siècle évoquant deux "géographes goths" du VIè siècle, sur l’existence des quels elle ne se penche pas alors qu’ils me semblent la clé de son hypothèse (jamais avouée comme telle).
    Il faut attendre la fin de l’ouvrage (p 254) pour qu’en deux paragraphes plus que sybillins, elle se demande enfin ce que sont Gascogne et Gascons.
    Quant à votre dernière phrase, je ne la comprends pas. Je ne vois pas ce qu’est "le peuple vascon des Romains" et par ailleurs nous sommes bien d’accord pour dire que si on ne s’est pas aperçu d’un peuple wascon sur le territoire de l’actuelle Gascogne pendant les 6 (plutôt que 7) premiers siècles de notre ère, c’est bien parce qu’ils venaient de l’autre côté des Pyrénées (par contre, les tribus novempopulaniennes et quelques tribus celtes, elles, étaient bien là !).
    Mme M-G écrit d’ailleurs que pour résister aux Mérovingiens, ces "Wascons" descendaient des Pyrénées, ce qui est curieux pour un peuple supposé réparti depuis longtemps entre Loire et Tage mais notre historienne n’en est pas davantage ébranlée dans ses certitudes.
    Encore une fois toutes les déductions et conclusions de ce livre, que je me permets de trouver hâtives et pas vraiment fondées ne sont pas exclusives d’observations utiles et de réelle finesse dans l’exploitation des sources écrites sollicitées .

  • Ce n’est pas à Guilhem que je souhaitais m’adresser mais à Guillaume, bien sûr.Que l’un et l’autre veuillent bien m’excuser .

  • Je tombe sur votre réflexion portant sur le livre de Mme Mussot-Goulard et je ne peux m’empêcher d’apporter une contribution - maladroite sans doute - à votre discussion avec "Guillaume"
    Si je me souviens bien de ma lecture, il y a une bonne dizaine d’années, et de mon irritation d’alors, mais je me livrerai à une relecture de cet ouvrage, l’auteur ne s’intéresse - c’est bien ce que vous notez, quoiqu’en usant d’une tournure qui m’a semblé un peu elliptique, qu’à l’élite goth, aux seigneurs et dominants. Le sous-titre est d’ailleurs clair : "une aristocratie régionale aux temps mérovingiens"). Le peuple goth, dont mes lectures ne me laissent pas le sentiment qu’il est resté uni bien longtemps et surtout sur notre territoire, est ignoré.

    Quant à la question Vascon-aquitain, elle me semble relativement claire, à la lecture de Michel Rouche notamment. Il semble bien que l’accord soit fait aujourd’hui pour admettre qu’avant la conquête romaine sont présents de part et d’autre des Pyrénées, bien implantés, des peuples apparentés ethniquement et linguistiquement autour d’une réalité historique relativement commune. Les Vascons constituent seulement un élément (En Navarre/ Aragon et non en Cantabrie, si je puis me permettre) de cet ensemble.
    On lit bien à partir du 5e siècle la mise en exergue de ce peuple qui porte une forme de reconquête de l’ensemble aquitain et, disons, bascoïde du pays basque actuel. L’attribution à l’ensemble "nord et sud" du terme qui devient générique et s’applique aux aquitains comme aux basques semble s’expliquer par le mouvement que l’ethnie dite vasconne aurait porté à ce moment-là et de façon durable pendant le haut-moyen-âge.

    Pour tout dire, j’ai le sentiment que la position de l’auteur relève - nonobstant son érudition - d’une prise de parti plus que de la volonté de rétablir une vérité historique.

    En espérant ne pas avoir écrit trop de sottises ni trop de banalités.

  • Des sottises, sûrement pas !
    Je crois que nous sommes bien d’accord pour une lecture de ces temps assez obscurs (il y a eu entre autres la grande et longue coupure des invasions normandes qui ont dû nous priver de bien des sources ) fondée sur des faits assez largement acceptés et en particulier la parenté linguistique entre gasconité et basquitude qui semble dire qu’avant que la plus grande part se mette à parler et déformer le latin en fonction de ses pratiques linguistiques antérieures tous ces peuples de part et d’autres des Pyérénées parlaient la même langue ; et qu’on est légitimement fondé à les appeler Wascones.
    Et que par conséquent les Wascones ne peuvent être identifiés à une aristocratie militaire et administrative gothe dépouillée ensuite de ses pouvoirs par les Francs après Vouillé.

  • Une vue diamétralement opposée à celle de mme M-G mais assez audacieuse également : celle exposée dans le dernier numéro de Dossier pour la Science (janvier-mars 2014 ) par Théo Vennemann, professeur émérite à l’Université de Munich et Elisabeth Hamel, journaliste scienctifique bavaroise.
    Selon eux les Vascons auraient peuplé les Pyrénées il y a 20 000 ans avant de peupler la quasi totalité du continent européen ; leur reflux aurait laissé des origines communes vasconnes à presque tous les noms de montagnes et de rivière.
    G.Rohlfs, allemand lui aussi, s’était penché sur cette fréquence élevée de noms de rivières et d’éléments géographiques relevant d’une même origine préhistorique mais il me semble qu’il les attribuait plutôt à un peuplement antérieur aux Vascons.
    Toute cette genèse de nos pays n’a pas fini de faire couler de l’encre mais, grâce à Dossier pour la Science, les hypothèses de Mme M-G sont balayées au profit d !une question qui devrait faire gonfler de fierté tous les d’Artagnan que nous sommes : "le Vascon, première langue d’Europe ?".

  • Je crois qu’aujourd’hui, la génétique des populations a fait la preuve que les populations vasconnes n’ont pas l’ancienneté que certains secteurs nationalistes leur prêtent : les "Vascons" (Basques et proches parents : Gascons, Aragonais, Cantabres) sont, comme les autres, le fruit du métissage des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique et des fermiers du Néolithique en provenance du Levant.

    Les populations vasconnes ont même relativement plus d’héritage ancestral néolithique que les autres populations françaises, a fortiori que l’Europe du Nord, restée plus proche des chasseurs-cueilleurs.

    Nous sommes des "Atlanto-Méditerranéens" comme en avait eu l’intuition l’anthropologie physique aujourd’hui désuète. En quoi les "Vascons" se différencient-ils alors de leurs voisins ?

    D’abord, c’est tendanciel et de proche en proche, tout est affaire de continuum, sur la Garonne comme sur l’Èbre. Façon, on n’a pas assez d’échantillons. Mais ce qui se dessine, c’est que les populations vasconnes ont seulement évité la dernière migration, celles des Indo-Européens (qui dans les études génétiques se détecte par un apport d’une composante en provenance du Caucase, qui est nulle chez les Basques, alors qu’elle monte à 10% chez les Français de base, et une re-paléolithisation probable, à savoir que les Indo-Européens en provenance probable de la steppe ukrainienne, ont réintroduit des gènes du Paléolthique en des zones qui avaient été néolithisées, c’est le cas en Allemagne il semblerait).

    Bref, nous ne sommes pas si vieux, Lascaux et Altamira, la dame de Brassempouy également, ce n’est pas nous, enfin, disons que ce n’est qu’une part de notre arbre généalogique (de l’ordre de 60% selon certains calculateurs), celle qui a été envahie par les fermiers qui ont mis en valeur les terres, introduit notre régime alimentaire et également la langue basque.

  • je n’ai lu qu’hier soir l’article suivant celui sur "le Vascon,première langue d’Europe ?" dans la revue que je mentionnais en mars,consacrée à l’évolution des langues .L’auteur est une biologiste et linguiste allemande,Ruth Berger auteur d’un livre sur le sujet non encore traduit en français.Elle va dans le sens indiqué par Vincent ci-dessus avec quand même une certaine ambiguité quand elle écrit successivement que :

     les Basques seraient sans doute de ces peuples de la"civilisation rubannée " venus de la zone danubienne au néolihique ,repoussant les chasseurs-cueilleurs autochtones devant eux ,

     et que d’après une étude d paléogénétique de chercheurs d’Oxford en 2005(Helen Chandler) l’ADN des chasseurs sud européens ressemblerait à celui des Basques,des Galiciens et des Catalans.Ce qui va sans doute aussi d’ailleurs dans le sens d’un métissage et de celui d’une immigration du sud est de l’Europe concernant bien d’autres peuples que les paléo-basques.Mais ça doit pouvoir se discuter.L’article est à lire dans son intégralité:n’étant en rien spécialiste de ces thèmes je ne voudrais pas trahir la pensée de Mme Berger !

  • 1) La thèse (de M. Gimbutas) sur l’origine des Indo-Européens (trois vagues de ’kourganisation’) ne tient pas. La culture des Kourganes postulée ne présente pas une continuité dans le temps, la coupure se situant au stade Sredny-Stog II. Après ce terminus, on admet que la vaste ’zone interactive’ de la culture des steppes nord-pontiques (diversement nommée par les archéologues ’tombes à ocre’ Ockergrab-, Yamna, etc.) a été le centre de diffusion d’une partie des PIE, ce "groupe du S.-E." d’où sont issus les ancêtres linguistiques des Grecs, Arméniens et Indo-Aryens, dont les Scythes (sur les regroupements dialectaux de l’IE, voir V. I. Georgiev et E. Hamp).

    2) S’agissant des PIE, il convient de ne pas confondre les derniers "foyers de dispersion" et le "lieu de formation de l’ethnie" : on passe du Paléolithique supérieur au Néolithique, il faut périodiser les données.
    De plus, on n’oubliera pas que le fait indo-européen ne se réduit pas à une langue mais implique une religion, un art poétique, des structures mythiques, un droit, qui ont permis le comparatisme (Benveniste, Dumézil, Polomé et al.) .

    3) L’individualisation des PIE en Europe à partir de certains groupes du Paléolithique supérieur fait suite à la néolithisation qui a débuté en Europe du S.-E. et aux mouvements de population du nord vers le sud consécutifs à la fin de la dernière glaciation (cultures d’Ertebölle et voisines). L’horizon culturel des ’Vases en entonnoir’ (TRBK) fournissant un candidat idoine à la stabilisation ethnique des PIE.
    Pour les périodes plus récentes (IIIe M) on admet généralement le caractère IE de 3 aires culturelles post-néolithiques, expansionnistes : Poterie cordée ; Yamna ; Complexe balkano-danubien (Baden).
    L’hypothèse "causasienne" d’Ivanov-Gamkrelidze est un quasi-fantasme qui n’a convaincu personne, pas plus que les arguties d’un C. Renfrew.

    4) L’Aquitaine et l’Hispanie ont connu les agriculteurs récents (’cardial’ dit-on, ’rubanné’ est plus surprenant mais possible) mais cela n’a pas dû bouleverser trop l’existence des chasseurs-cueilleurs indigènes.

    5) L’événement majeur du Cuprolithique fut l’indo-européanisation de ces régions par l’expansion du Campaniforme vers la façade atlantique, favorisée par la crise des sociétés agricoles dites mégalithiques.

  • 6) Les noms de rivière IE ont été bien étudiés par W. P. Schmid et al.
    La paucité des documents engagés dans le reconstruction des langues pré- et proto-historiques, mis à part l’indo-européen qui offre prise à la reconstruction, doit engager à ne pas faire trop confiance aux "nouvelles interprétations" qui sont souvent des coups sans lendemain.

    7) J’ai la certitude, et je ne suis pas le seul, que nombre de chercheurs, très spécialisés et ignorants de tout ce qui n’est pas leur discipline, réduisent l’histoire à leurs modèles sans se préoccuper d’une vue d’ensemble. Il manque une interdisciplinarité solide et des esprits suffisamment larges pour la mener. Or, seule la confrontation des modèles (historiques, linguistiques, mythologiques, génétiques, ethnologiques) permettra d’établir un tableau suffisamment juste du premier peuplement de l’Europe.
    (Cloisonnement, effondrement de la culture générale au profit des techniques brutes, manque de crédits et de volonté, indifférence, effondrement du savoir, blocages de toute sorte sont constants, quand on ne truque pas les résultats comme le firent Cavalli-Sforza et Ammerman).

    8) La génétique est un guide sûr pour ce qu’elle envisage mais elle n’identifie pas nécessairement les petits groupes qui s’imposent par la domination d’une élite (’elite dominance’). Le rôle politique et administratif des Goths a certainement été plus fort que leur impact génétique.

    9) L’Europe paléolithique a vécu plusieurs glaciations qui ont brassé sa population (sapiens) et l’ont amenée a opter pour des comportements culturels communs (précocement traduits dans l’"idéologie" de l’art comme l’a montré entre autres E. Anati). La "césure du cuprolithique" fut l’occasion d’une redistribution.

    10) Il n’y avait pas de "Vascons" il y a vingt-mille ans, pas plus que de "Celtes" il y a trois mille ans. Le maniement irréfléchi des ethnonymes montre un manque de sérieux de la part de la revue ou des rédacteurs. Les ancêtres des Vascons hypothétiques (Proto-Vascons, Proto-Aquitains, par convention) étaient pourtant bien là, génétiquement, dans les sociétés-bandes du Paléolithique supérieur, comme ceux des autres ethnies desquelles sortiront un jour les peuples de l’Europe antique. Pourquoj ne pas parler simplement de Vieux-Européens ?

    N. B. : La Dame de Brassempouy n’a rien de particulièrement vascon. Elle est magdalénienne et la civilisation qu’elle reflète est celle de la première Europe.

    11) Pour l’étude du S.-O. européen, nous avons la chance d’avoir des marqueurs linguistiques et toponymiques qui indiquent un substrat, et une langue témoin qui permet une explication d’ensemble : si le basque n’existait pas ou n’avait laissé aucune trace écrite, il resterait encore à rendre compte des traits partagés par une partie du roman d’Hispanie et celui d’Aquitaine. On aboutirait alors à l’hypothèse vraisemblable d’un peuple sous-jacent. Avec le basque, nous possédons un atout supplémentaire pour interpréter cette communauté.

    12) Si les Uascones ne sont pas mentionnés, c’est sans doute qu’ile étaient vus comme des ’Romani’ parmi les autres. S’ils avaient gardé la langue aquitaine, on les aurait identifiés plus nettement. Mais du jour que des Uascones ont menacé les confins (et les textes ne révèlent pas une invasion massive), on les a perçus autrement. La généralisation du nom a suivi, qu’il s’agisse de la réactualisation d’un vieil ethnonyme connu et conservé en bas-latin ou d’un emploi de ’Uasconia’ selon le principe pars pro toto.

    On devrait pouvoir admettre que les Gascons sont un peuple roman "aquitano-pyrénéen", héritier d ’une assez longue histoire culturelle et humaine. Que deviendra ce ’stock’ ?

  • Brillant ! Merci PJM . Ton érudition en la matière passe de loin mes modestes connaissances mais même à mon niveau on doit pouvoir en tirer quelque chose en relisant tout ça à tête reposée !

  • 13 - Tant que le triangle aquitain et la péninsule hispanique étaient en paix, se romanisaient et se christianisaient, les débordements des Uascones (localisés comme ’nomen’ au Ier siècle avant J.-C. entre Ebre et Pyrénées) étaient contenus. La chronique les enregistre à l’occasion des troubles du haut Moyen Âge, quand l’ordre établi se défait.

    14- Un ethnique ’Uascones’ avait-il subsisté parmi les populations romanisées de l’Aquitaine ? C’est possible, d’autant que la langue aquitaine n’avait pas reculé partout en même temps (bien que sans statut protecteur). Ce qui est sûr c’est que l’"aquitain", nom que l’on peut donner aux parlers préromans apparentés au (proto)basque, est le substrat identifiable des parlers romans d’entre Èbre et Garonne, avec un peu de celtique.

    15- L’appellation ’Novempopulania’ était administrative, ’Vasconia’ a un fondement ethnique mais a pu être généralisée (par les administrateurs) à un vaste territoire. Pour des historiens étrangers, à plus forte raison des compilateurs, une désignation globale traduisant une prépondérance politique ou un accident historique suffisait. La différence avec Burgundia ou Lombardia, c’est que la substance humaine de la Uasconia était en continuité avec les ’Wascones’.

    16- Quel était le statut des Uascones dans l’Empire romain, quelle était leur fonction ? Je fais un rapprochement avec les autres peuples de l’Empire qui se trouveaint dans la même position dans les régions de seuil : garder les passages des Pyrénées, comme d’autres gardaient le littoral (Francs du Limes, Bretons d’Armorique, auxiliaires de toutes nationalités) ? L’interruption de cette fonction quasi contractuelle à la fin de l’Empire expliquerait l’"arrivée" des Vascons au nord : débordement spontané ou sollicité, voire prise en main avec l’assentiment des autorités ?

    17- L’Anonyme de Ravenne compile des documents plus anciens (dont des ’Gothorum phylosophi’, IV, 40 ss). Ce n’est ni César, ni Tacite.
    Franz Staar, "Ostrogothic Geographers...", dans Viator, Medieval and Renaissance Studies, XVIII, 1987, p. 30-31 :
    "From the divergence of all these arguments (universitaires concernant les sources germaniques de l’Anonyme de Ravenne), it is obvious that, as yet, no critically secured method of separating the information of the three Gothic authors from the rest of Anonymous’s material have been established. (...) From the text of the Ravenna cosmography itself one cannot conclude that Athanarides used the term Guasconia (IV.40.496) and Heldebald the term Spanoguasconia." L’auteur émet en outre l’idée que des réfugiés fuyant les Arabo-musulmans venus d’Hispanie auraient trouvé plus naturellement refuge dans le royaume franc qu’à Ravenne, menacée par la querelle avec Byzance.
    En somme : la désignation de la Guasconia du nord comme ’patria’ des anciens Vascons n’est pas assurée. L’Anonyme mêle aussi la grande Aquitaine ligérienne à des listes de cités antiques. Il faut trier.

    18- Quand l’ordre impérial s’efface, les groupes ethniques reprennent leur logique propre de "longue durée". Comme l’écrit L. Fleuriot des fédérés ’Brittones’, "En défendant cet Empire, les Bretons se défendent de plus en plus eux-mêmes et la montée des périls change leur volonté de puissance en simple volonté de survivre."

    19- L’"arrivée" des Vascons au nord n’a pas laissé de trace archéologique. Le texte indigné de Grégoire de Tours montre surtout le désagrément des Francs devant un concurrent inattendu. Etablir un duché à Bordeaux n’était pas la plus mauvaise façon de canaliser les ambitions vasconnes. L’appui de certains ecclésiastiques (débarrassés de l’hérésie arienne) a dû être décisif : bien employés, les nouveaux venus pouvaient être un facteur de stabilité dans un monde troublé qui ne connaissait plus la ’Pax Romana’ depuis plusieurs siècles.

    20- Il faut penser ces dynamiques de peuples dans le système global de l’Empire finissant. Elles aboutissent à la mise en place des ’nationes’ médiévales qui n’ont guère changé de place jusqu’à l’aube du XXe s.

    21- De toute façon, ce ne sont pas ces Wascones qui ont déterminé la toponymie locale, ni la forme du roman de Gascogne jusqu’au delà de Bordeaux et de Marmande, et cela suffit à ruiner l’idée des fameuses "migrations vasconnes".
    L’aire gasconne est le vestige d’un territoire aquitano-pyrénéen et cantabrique qui sera peu à peu segmenté et démembré.
    (Ce territoire figure l’aire de déploiement maximal d’une culture faite de réseaux claniques assez mobiles (éleveurs, chasseurs) jusqu’à la stabilisation romaine.)

    On peut consulter librement G. Pépin : "Genèse et évolution du peuple gascon du haut Moyen Âge au XVIIe siècle", sur :
    http://ml.revues.org/287

  • 22- Aucune langue n’est plus ancienne qu’une autre. Le latin est de l’indo-européen transformé, comme les langues qui en sont issues. C’est cette constante qui permet l’approche ’diachronique’ (i.e. dans un système prévisible) des langues, alors que l’approche historique est aléatoire.

    23- Le néolithique européen n’implique pas un changement de population. Une vision diffusionniste faisait avancer de pair ce nouveau modèle économique et « la civilisation ». Or, le Néolithique européen montre dès ses premières phases des expressions culturelles différenciées. L’émergence de systèmes culturels distincts dans des contextes écologiques diversifiés ne suppose pas les amples migrations en provenance du Sud-Est, d’Anatolie et au-delà, souvent postulées. L’apport de techniques externes, telles l’élevage, l’agriculture, la terre cuite, par des groupes restreints suffisent à provoquer la modification des populations qui les empruntent, en particulier quand elles sont nombreuses et disposent de ressources abondantes comme c’était le cas en Méditerranée et en Europe du Nord.
    À partir des années 1960, à la suite des nouvelles datations, en particulier par le Carbone 14 recalibré par la dendrochronologie et la thermoluminescence, le Néolithique européen apparaît comme le résultat d’une évolution propre. Ainsi se trouvent affirmées « la précocité, la vigueur et l’originalité de certains traits culturels européens » (J. Guilaine), y compris ceux des cultures mégalithiques atlantiques ou méditerranéennes. Il devint impossible de mettre en concordance les premiers niveaux du site de « Troie » et le Bronze ancien de l’Egée avec les complexes cuprolithiques des Balkans.

    24- On a largement usé, et C. Renfrew le premier, de l’interprétation d’un gradient génétique européen en provenance d’Anatolie, repéré par L. Cavalli-Sforza et A. Ammerman, pour appuyer l’idée d’une intrusion massive d’agriculteurs anatoliens ou proche-orientaux en Europe. Ces conclusions ont été infirmées par les travaux de Bryan Sykes sur l’ADN mithochondrial. Transmis par la mère, invariable mais conservant les traces de mutations qui permettent d’évaluer la distance temporelle entre les groupes porteurs, cet ADN a permis entre autres d’élucider les origines des Polynésiens et des indigènes de la zone Sahul et les apparentements de l’ « homme des glaces ». Comparant l’ADN des restes fossiles et celui des populations modernes, Sykes et son équipe ont montré la stabilité génétique globale des Européens de part et d’autre du Néolithique. Sur les sept groupes majeurs identifiés par Sykes, six étaient déjà en place au Paléolithique supérieur ; le septième (17 % de l’ensemble) correspond à l’arrivée néolithique de groupes venus du nord du Proche-Orient, dont la distribution en deux branches correspond, pour le lieu et la date, évaluée en fonction du nombre des mutations observées, au trajet des porteurs de l’agriculture dans les Balkans (Rubané linéaire) et aux navigateurs de Méditerranée (Cardial), a été apporté par l’article collectif, dont l’un des auteurs est L. Cavalli-Sforza, « Le portrait génétique de l’Homo Sapiens paléolithique chez les Européens modernes », paru dans la revue Science en novembre 2000 : les conclusions de B. Sykes à partir de l’ADN mithochondrial sont corroborées par l’étude du chromosome masculin, Y, des populations européennes.

    Ces découvertes infirment l’hypothèse du « front d’avancée » ou de la « vague de peuplement massive » agricole. Ce qui signifie entre autres que l’indo-européanisation de l’Europe ne s’explique pas ainsi mais qu’il faut chercher les premiers locuteurs de l’indo-européen dits Proto-Indo-Europeans (PIE), aussi bien que ceux du proto-basque, dans le fond paléolithique et mésolithique européen. L’économie néolithique aurait joué un rôle stimulateur.

  • 25- L’archéologue, le préhistorien, travaillent sur des vestiges, le linguiste aussi (même si les grands dialectes de l’indo-européen sont encore vivants, et qu’on atteint aussi au discours, en particulier par la mythologie. Les procédures des linguistes, correctement appliquées, sont tout aussi sûres que celles des préhistoriens.). Le premier doit dater au mieux des témoins matériels et retrouver ainsi une histoire la plus complète possible. Le second enquête sur des témoignages immatériels qui l’amènent à poser des « locuteurs » dont il ne recherche pas, en principe, les traces matérielles.
    Malgré des progrès incessants au cours des deux derniers siècles, les résultats des deux disciplines, avec leurs nombreuses spécialisations, sont donc cloisonnés. Le linguiste et le mythologue sont aussi, à leur manière, des préhistoriens, des protohistoriens et des archéologues, mot étymologiquement approprié.
    Les deux enquêtes se croisent donc, mais leur rencontre reste problématique. Il y a à cela des causes intrinsèques. Le préhistorien, si aucun témoignage formel ne le lui permet, se refuse par principe à mettre un nom ethnique sur les cultures anonymes qu’il étudie, bien qu’il admette l’existence de « populations » qui les ont produites. Le linguiste n’envisage pas nécessairement la réalité de ce qu’il reconstruit, bien qu’il opère très souvent en diachronie, ne serait-ce que pour l’étude des langues modernes (du latin au français, etc.) et n’ignore pas l’évolution sémantique.
    D’autres raisons, conjoncturelles, semblent éloigner les disciplines. De nombreux archéologues envisagent avant tout l’histoire humaine en général, telle qu’elle se manifeste en particulier dans le progrès technique. Plus qu’à celle des cultures ils s’attachent à l’histoire des civilisations, voire de la civilisation en soi. C’est plutôt l’attitude de l’archéologie « sociale », voire de ce que d’aucuns ont appelé ’world archaeology’. Il n’y a pourtant là rien d’incompatible, bien au contraire, avec l’affinement des hypothèses régionales. De la même façon, la grammaire comparée et la reconstruction seraient impensables sans la linguistique générale, qui leur doit une bonne part de son développement.
    Le linguiste, de son côté, peut aussi réduire sa réflexion aux faits de langue en eux-même, se vouloir grammairien strict et se cantonner à une conception fermée de sa discipline. Il n’échappera pas cependant, même s’il se refuse à emprunter cette direction, aux sollicitations de la reconstruction culturelle liées au sens.

    26- Le Magdalénien (15000 – 8000), né d’une souche hispano-aquitaine, voit le plein développement de l’art pariétal. Les artistes recherchent alors les grottes les plus reculées. De cet art des grottes se dégage une sorte d’ « unité linguistique » (D. Vialou, Dictionnaire de le Préhistoire, Paris, 1999, p. 419), mais son éclatement en vastes régions ethnoculturelles est aujourd’hui mis en valeur. Les différences entre art magdalénien et art paléolithique prémagdalénien « témoigent de ruptures, d’autonomies ethno-culturelles se détachant les une des autres sur le fond écologique et économique des ultimes millénaires du Tardiglaciaire » (ibid., p. 418). Des courants d’idées se repèrent, tels que le surgissement des profils féminins de la fin du Magdalénien qui traduit, de la Moravie à l’Aquitaine, « un flux idéologique et stylistique entièrement nouveau » (ibid.).
    Les vastes réseaux de diffusion d’objets du Magdalénien supposent des rapports suivis entre populations, avec toutes les conséquences sociales, contractuelles ou conflictuelles, qui accompagnent ce genre de contacts.
    Pour ces époques et le type de sociétés qu’elle supposent, il est impossible de dissocier les expression matérielles de la culture de leur expression linguistique, et surtout pas de leur discours mythique, narratif, fondement des systèmes de pensée. En précisant les limites des faciès régionaux, les relations privilégiées entre groupes, les influences, etc., l’archéologie préhistorique aidera à discerner, à titre de modèles hypothétiques, ce qui pourrait relever de complexus linguistiques majeurs, comme elle le fait des provinces stylistiques ou sémantiques. Si l’équation d’une langue et d’une culture archéologique ne peut être établie ex abrupto (ni refusée a priori), la filière qui va de l’univers spirituel, pensé et parlé, au monde concret, voulu et construit, est certaine.

  • ’Journal d’un bourgeois de Paris’ :
    fin 1415, Paris est gardé par "des gens étrangers" du parti Armagnac ou Orléans
    "TOUS MAUVAIS ET SANS PITIÉ".

    Continuons !

  • Je signale, par Pierre-Yves Demars, chercheur à l’université de Bordeaux, cette présentation très claire du peuplement paléolithique de l’Europe, qui nous intéresse notamment pour le Tardiglaciaire :

    http://mappemonde.mgm.fr/num11/articles/art06306.html


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