Leçons d’une interaction Un soir d’été à Garlin

- Vincent P.

Sur la route vers le Béarn depuis Bordeaux sur l’A65, voilà qu’il me prend de sortir à Garlin : le temps a soudain viré au beau (l’on retrouve les journées étés d’avant, après la canicule de juin : couvertes en journée, presque fraiches en soirée), le pic du Midi d’Ossau domine les maïs, et cela fait bien une décennie que je ne suis pas passé par le centre-ville de ce chef-lieu de canton déchu, qui m’a toujours semblé être la petite ville béarnaise la plus abimée. Mes souvenirs seront confirmés, mais j’y reviendrai plus tard dans l’année, photos à l’appui.

En rentrant vers ma voiture, je suis abordé par un homme, probablement jeune sexagénaire, entouré d’autres personnes. Une discussion s’entame, relativement cordiale, une fois que j’ai rassuré mon interlocuteur sur mes intentions des plus aimables (oui, je prends des photos de Garlin, non, ce n’est pas pour organiser un casse). Quelques mots de béarnais glissés dans la conversation aident.

J’ai pu constater que l’on fait la promotion pour les fêtes dans la ville, qui se déroulent le dernier week-end de juillet. Dans la devanture de tel magasin, des costumes de hestayres avec foulard rouge, partout des panonceaux explicitant le programme (bandas, toros et chants basques). Sans jamais que je ne connaisse le statut de mon interlocuteur, je m’aventure à demander si cela "marche" encore les fêtes de village.

Même écho qu’ailleurs, cela fonctionne de moins en moins, l’on m’a même suggéré que cela était tendu financièrement. Cela rejoint donc des observations faites depuis un moment : la jeunesse préfère désormais les grands événements festifs, les fêtes de Bayonne, Garorock, etc, plutôt que les fêtes de village qu’elle délaisse.

Et les courses landaises ? Mon interlocuteur me confirme qu’elles attirent de moins en moins de monde. "Je n’y vois plus les bérets." Comprendre : les arènes sont délaissées. Et la personne de m’expliquer qu’elle pense que le spectacle doit se renouveler : les formes de la course landaise ne sont pas adaptées au public contemporain, l’on s’y ennuie. Le risque ? Le sort des quilles de 9, nous en convenons tous les deux.

J’étends alors la démonstration à toutes les autres manifestations culturelles du monde ancien, et exprime le profond ennui qui fut le mien lors d’une session de chasse dans une palombière il y a quelques années : j’en revins dans la plus parfaite incompréhension de ce qui faisait la fièvre bleue. Il n’est pas d’accord, il a lui-même une palombière vers Lembeye, le but, c’est se retrouver entre amis, entre chasseurs. Je le comprends aisément, mais l’on voit bien que la chasse, alors, comme art, sport, aptitude, ce que l’on veut, est secondaire par rapport à la convivialité masculine à l’ombre des arbres. Convivialité que l’on peut parfaitement trouver (de manière plus mixte) lors une randonnée, ou alors pendant un trail (justement, l’on faisait également la pub d’un trail à venir dans les environs de Garlin : les trentenaires contemporains sont atteints de stravisme, la maladie de la performance sur Strava).

Courses landaises, palombes, l’on en vient à la langue : e parlatz patoés ? Nous sommes une génération en Béarn qui dit désormais spontanément occitan. Et oui, mon interlocuteur parle "occitan", sans pourtant qu’il ne troque le français pour l’occitan. Il raconte le plaisir qu’il eut à Arzacq à voir les jeunes parler la langue en Calandreta, une fois qu’il s’y rendit, sans en dire le motif. Mais une jeune fille sur le banc l’interrompt : elle aussi a appris l’occitan, au collège, mais il ne s’agissait que de quelques heures par semaine. C’est à peine si elle a encore un accent en français. Je demande à la vieille dame assise à côté si elle parle "patois" également : non, non, dit-elle, "je suis de Bordeaux".

L’interlocuteur principal poursuit : au Pays Basque, les jeunes parlent le basque, eux. C’est tout à fait vrai, dans le Pays Basque intérieur, il n’est pas rare d’entendre de jeunes enfants parler en basque. Et de continuer assez classiquement en Béarn sur le fait que les Basques ont tout piqué aux Béarnais, le béret, et tutti quanti. On connaît l’antienne. Ne pourrions-nous pas cependant nous inspirer d’eux pour la fierté locale et le sentiment identitaire ?

C’est au fond ce qui m’a le plus marqué : l’on se désole de la déperdition identitaire, et elle est franchement réelle dans ce coin de Béarn, mais sans analyser les ressorts du dynamisme basque que l’on jalouse. Je fais rire aisément en suggérant que 40 ans de bombinettes ont fait leur effet, mais je le pense à moitié : nous avons très longuement discuté ici même des raisons du dynamisme basque.

Ce qui était net, c’est que Garlin hier soir se présentait comme une petite ville moribonde, assez laide, qui a démoli largement son patrimoine, et ne sait pas mettre en valeur ce qui subsiste (le PVC règne). Une ville où les artères s’appellent Gambetta ou Jean Moulin. Une ville où le peu d’identité qui subsiste est un mélange de franchouillardisme rural et d’espagnoleries.

"Vous trouvez normal vous qu’on laisse pousser l’herbe comme ça sur la place ?"

Ce fut probablement là ma réponse qui fut la moins comprise, tant l’assemblée ria d’incompréhension : évidemment que j’aime ces herbes folles, c’est peut-être le seul endroit où Garlin conserve un peu de patine. Un peu de jus béarnais, un peu de bordel, un peu d’authenticité dans un environnement "pavillonnarisé". Apparemment, j’étais le seul à le penser.


Garlin

Vos commentaires

  • Le 20 juillet à 23:00, par Tederic MERGER Leçons d’une interaction

    « что делать ? » (Que har / que faire ?) question que Lénine a posée sans lui donner de réponses satisfaisantes... Mais lui voulait émanciper les ouvriers, alors que nous, dans notre combat gascon, sommes plus "interclassistes".

    « Ne pourrions-nous pas cependant nous inspirer d’eux [des basques] pour la fierté locale et le sentiment identitaire ? » écris-tu, Vincent...
    Quiò... on devrait y arriver... mais on n’y arrive guère.
    Depuis longtemps, je suis admiratif du dynamisme basque, et dans quelque virade au Pays basque espagnol dans ma jeunesse, j’achetais le journal abertzale Egin (Faire, justement). J’aimais bien la façon dont il insérait des articlòts en basque, sans les traduire, je crois, dans un contenu majoritairement en castillan pour que les gens l’achètent...
    J’ai toujours eu cet exemple en tête pour Gasconha.com.

    « la jeunesse préfère désormais les grands événements festifs » écris-tu aussi.
    Oui, aussi les Fêtes de la Madeleine au Moun où j’étais mercredi, et qui me laissent songeur (dans un sens positif !)...
    Hèstes dou Moun / Hèstas deu Mont 2025

    Quelqu’un de ma génération ne peut guère influencer directement les jeunes.
    Ce que je/nous pouvons encore tenter, c’est de placer quelques ressources là où certains jeunes sauront les trouver...

    Il y a aussi des tendances de fond qui nous dépassent : par exemple, la facilitation des déplacements grâce à l’automobile a tout changé : il y a un siècle, en 1925, les jeunes faisaient la fête dans leur village ou les villages voisins.

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  • Le 23 juillet à 14:58, par Tederic MERGER Leçons d’une interaction

    Sur le site municipal de Garlin, le mot du maire ANDRÉ LANUSSE-CAZALÉ se termine comme suit :
    « Garlin a de nombreux atouts, ce site doit nous convaincre que Vivre à Garlin est une chance. »

    N’étant pas de Garlin, ce n’est pas à moi de dire si je suis convaincu.
    Totun...
    esberit = éveillé
     Je vois qu’il y a à Garlin des Esberits*, et c’est déjà une chance !

    Esprit Bastide

     Ensuite, c’est une bastide.

     Et puis, c’est une porte du Béarn, le logo de la ville le dit.
    Oui, mais je comprends que le Béarn est moins porteur que le Pays basque...
    Mais justement, s’il faut renforcer le Béarn, dont Garlin est une porte, voici un défi passionnant dont Garlin peut prendre sa part !

     Garlin est sur l’autoroute "de Gascogne", mais surtout, me concernant, sur la ligne de bus Agen-Pau : pour moi, arrivée possible à Garlin à 11h01, pour un départ le soir à 18h18. 7 heures de découverte sont donc possibles !
    J’ai déjà failli y aller... je raconterai l’anecdote prochainement ici...

    * Une banda.

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  • Le 23 juillet à 17:37, par Vincent P. Leçons d’une interaction

    Nous attendons avec impatience ton reportage à Garlin même si 8h de temps sur place, c’est probablement plus que de temps raisonnable !

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  • Le 26 juillet à 16:33, par Tederic MERGER Leçons d’une interaction

    Aujourd’hui, c’est le samedi des fêtes à Garlin, dont Vincent avait vu les affiches : ouverture du chapiteau avec la banda "Los Esberits", novillada, nuit avec "Itturi Lagunak*"...

    Pas assez (que me faut-il ?) pour que je tente un voyage qui est pour moi une expédition (aller-retour en vélo+bus) !
    La fois où j’ai failli y aller, c’est que l’IBG (Institut Béarnais et Gascon) y organisait un colloque ("Gascogne singulière et plurielle").
    COLLOQUE GASCOGNE à GARLIN (17.11.2018)

    C’était en novembre 2018.
    J’avais fait un montage compliqué (quel maillon de la chaîne allait casser ?) : des amis américains qui revenaient à leur hôtel d’Arcangues (Pays basque) devaient me déposer à Garlin, ou plutôt à Barcelonne du Gers où j’avais réservé un AirBNB ; je comptais sur la ligne de bus Agen-Pau pour faire Barcelonne-Garlin et retour.
    Et j’avais aussi réservé un covoiturage Blablacar pour le retour, entre Aire et Bordeaux.
    Patatras, au dernier moment, l’IBG a annulé le colloque : les gilets jaunes bloquaient les routes !

    * Il y a une erreur, comme souvent sur les affichages de noms gascons, mais cette fois ci c’est sur un nom basque :
    C’est Iturri Lagunak*, « Choeur d’hommes créé le 30 juillet 2012. Nous chantons des airs populaires et festifs basques, français, espagnols, gascons et bien plus encore !!! ».
    *traduction : les Amis de la source.
    Je n’arrivais pas à voir où ils sont basés, si c’est au Pays basque ou en Gascogne...
    Sud-Ouest donne une réponse :
    « Si le nom basque du chœur Iturri Lagunak cache son origine landaise, sa traduction renvoie aux « Amis des sources », clin d’œil aux premières interprétations de ses fondateurs au Camping des sources, dans une station thermale des Landes. »

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