Une lecture d’été : les albums de BD gasconnes de Perry Taylor : La culture et la société rurales en Gascogne vu par un dessinateur anglais devenu anglo-gascon

- Gerard Saint-Gaudens

Un publicitaire anglais établi depuis plus de quinze ans dans les confins du Vic Bilh et de l’Armagnac est devenu dessinateur, inspiré par « les gens de Gascogne qui l’ont accueilli comme l’un des leurs » dit la préface-remerciement de son troisième volume « Le selfie gascon ».
Et c’est vrai qu’il a su les croquer avec amusement et sympathie, tous ces paysans gascons de légende, détendus, drôles, souriants et flegmatiques (un point commun avec les Anglais,non ?), proches de leurs animaux domestiques ou d’élevage au point que Taylor les dessine souvent sous leurs traits, ceux du canard étant les plus fréquents et les mieux trouvés, sources de jeux de mots franco-anglais inépuisables, rarement anglo-gascons, certes, Perry Tayor semblant n’avoir de la langue qu’une connaissance superficielle (vu le caractère quasi confidentiel de son usage social, ce n’est guère étonnant !).
Quand même, une des pages d’un de ses albums montre bien un couple de touristes anglais, lexiques français à la main, écouter, un peu égarés, d’un côté la conversation gasconne de paysans d’âge mûr, béret en tête, et de l’autre les échanges sur smartphone de la jeune génération utilisant les raccourcis étranges du langage des textos.
Et de suivre nos Gascons dans leurs activités favorites : les courses au marché (en général pour les femmes, les hommes attendant plutôt dans la voiture !), les fréquents et lents déplacements dans d’improbables voitures hors d’âge, les longues tables, la dégustation des vins et armagnacs, plus activement aussi la chasse, le rugby, la course landaise mais aussi et surtout ne rien faire en sachant fort bien le faire.
Beaucoup d’affection là-dedans au fil des trois albums parus à ce jour *, des dessins fins et très drôles et, bien entendu, une vision idyllique un peu conventionnelle parfois, du genre « le bonheur est dans le Gers » avec un écho du monde d’Uderzo : « planète Gascogne, un petit coin de France qui résiste à la vie moderne ».
Bref, selon votre humeur, vous adorerez (souvent) ou vous agacerez (parfois) mais Perry Taylor, avec ses « Editions anglo-gascon » a bien mérité ses lettres de naturalisation gasconne, lui qui termine son premier album par un bel « Adishatz ».

Expositions des dessins de Perry Taylor cet été à Marciac ("jars in Marciac" oblige !) et au château de Lavardens

*Petites gasconneries, Bons moments, Le selfie gascon

Voir en ligne : www.perrytaylor.fr

Grans de sau

  • David McAninch, d’un séjour à Plaisance en Arribèro Bacho, a tiré un livre : "Duck Season : Eating, Drinking, and Other Misadventures in Gascony—France’s Last Best Place," (Saison du canard : manger, boire et autres mésaventures en Gascogne - le dernier meilleur endroit en France).
    On me dit d’Amérique qu’« il a une vraie révérence pour la Gascogne et les Gascons. Il parle d’issues comme la sortie des jeunes, la perte de la langue, et de l’histoire de la région. » Même si c’est un "foody" (centré sur la food* comme nous le sommes sur la langue)...
    Son livre n’est pas traduit en français.
    Ceux qui lisent l’anglais peuvent se faire une idée avec son article du New York Times Is Gascony the Most Delicious Corner of France ?.
    A cette question, il répond yes !
    En quelques mots, la Gascogne qu’il voit et qu’il aime (en fait principalement le Département du Gers, "The Gers") est :
     old fashioned (à la vieille mode)
     frozen in time (congelée à une époque antérieure)
     more deeply french (plus profondément française... que le reste de la France)
     unpretentious (non prétentieuse, pas m’as-tu-vu), notamment le Café des Sports à Lectoure !
    Elle est lieu de fraternité (en français dans le texte !).
    Les gascons sont de nature confiante : "Gascons’ trusting nature"

    S’ils le disent, il doit y avoir quelque chose...

    *parlem joen :-)

  • Ambigû, cet article du New York Times : la Gascogne semble s’y limiter au département du Gers et à sa proche périphérie (Aire sur Adour par exemple) et elle n’est que "hyper French" ; l’auteur ne semble pas avoir perçu ce qui y reste d’altérité par rapport à une province française ordinaire, il repère seulement ce qu’elle a maintenu alors que toutes les autres sont entrées (ou seraient entrées) dans un chemin de modernité qu’elle (la Gascogne) n’aurait pas (encore ?) suivi.
    Et bien que des touristes bien intentionnés soient une bonne chose pour nos pays, j’espère que cela ne nous prépare pas une invasion de néo-résidents new-yorkais façon "Une année en Provence" au succès mondial ou presque, comme on sait !

  • J’ai les même réticences que toi, Gérard.

    Si la Gascogne bénéficie seulement d’être restée à l’écart du "progrès", son charme ne durera pas !

    Une autre interprétation serait qu’une sagesse particulière aux gascons les aurait conduits à filtrer l’arrivée du "progrès". Mais je n’y crois pas.
    Mais on pourrait faire "de nécessité vertu" - et c’est un peu ce que font Perry Taylor et David McAninch : puisque des circonstances que la Gascogne n’a pas choisies se révèlent positives, continuons sur cette lancée, continuons à filtrer les applications du "progrès", mais cette fois en pleine conscience !

    Sur l’autre point, la Gascogne vue comme "hyperFrance" :
    Nous avons souvent, au contraire, sur ce site, mais aussi parce que c’est de l’eau au moulin gascon, souligné des exotismes de la Gascogne.
    Jules Ferry frappé par la différence de ce qui était au sud de la Garonne

    Jules Ferry décrivait un exotisme gascon - et implicitement basque, pour être honnête : « la petite frange du Sud de la Garonne qui est un peu une autre France, une quasi-Espagne, exubérante ».
    Le géographe Deffontaines apportait aussi de l’eau à notre moulin de la différence gasconne.
    Différences et frontière entre moyenne Garonne et Gascogne Commentaire d’un extrait de Deffontaines

    Bonnaud aussi, nous en avons reparlé récemment.
    Les pays gascons : Bonnaud cité par Braudel

    Mais ne soyons pas définitifs : il se peut que cette différence gasconne encore observée autour de 1900 soit déjà en partie le résultat d’un archaïsme qui aurait très tôt congelé la Gascogne. En tout cas c’est à examiner.

    Ayons aussi à l’esprit que l’hyperfrench de par le monde, c’est porter le béret, une baguette de pain à la main, une gauloise au bec, et peut-être un camembert dans le cabas. Boire un verre de rouge au bar, aussi.
    Comme la génération des madurs porte encore beaucoup le béret en Vasconie rurale, cette vision peut paraitre confirmée. Passons sur le camembert !
    Au bar, le rouge est déjà remplacé par le jaune, peut-être.

    Enfin, Gérard, tu évoques à la fin de ton gran de sau un danger qui est réel : que le charme de la Gascogne profonde soit rompu précisément par sa publicité de par le monde, par des articles ou des livres comme ceux de David McAninch, qui amèneraient des touristes ou des néo-résidents en masse, et modifieraient l’éco-système.
    J’ai eu cette pensée à Lectoure, ce dimanche d’été des Gasconnades, en observant la foule plutôt touristique, et les commerces du genre "Gascony estate agency"...
    Mais en même temps, c’était très supportable, voire satisfaisant : une nouvelle vie arrivait, une nouvelle âme émergeait peut-être, mais sans traumatisme, sans rompre le charme, sans "grand remplacement", respectueuse de l’esprit ancien... pour l’instant.
    C’est peut-être ce qu’a ressenti McAninch au Café des Sports, où il décrit déjà une clientèle mélangée, mais d’où la gent locale n’est pas exclue.
    Moi je ne suis pas allé dans ce café, mais je propose aux gasconhautes de nous y retrouver à l’occasion par exemple des Gasconnades 2019 !
    Gascounados de Leÿtouro : "Regain" é "Enta cantar" Gasconnades de Lectoure (2018)

  • Puisque je me trouve à habiter dans ce coin-là de Rivière Basse/Pardiac je me permets de commenter.

    Quant aux possibles attraits qui "amèneraient des touristes ou néo-résidents en masse et modifierait l’écosystème" ...
    ... la modification de l’écosystème a eu lieu, plus la peine de s’interroger ! Beaucoup de fermes sont vides sauf quelques semaines dans l’année ou bien rachetées par Britanniques, Belges, Irlandais, Hollandais, dernièrement j’ai pris en stop un Australien qui a acheté en bas du côteau. La nouvelle correspondante locale de presse est flamande ou hollandaise.

    Sur Marciac ou Plaisance un commerce sur deux à la louche est tenu par des personnes venues d’ailleurs. Des exemples en vrac : la coiffeuse vient des Hautes Alpes, la bistrotière est anglaise, l’épicière canadienne, la boulangère italo-gasconne, l’autre boulangère du nord de la France, la toubib de Bretagne, le fleuriste est du coin, le banquier et le restaurateur aussi, un tabac tenue par une fille du village, l’autre vient d’être repris par un couple de Français (d’oïl j’entends), la véto est catalane espagnole.

    Prenons un échantillon "qualitatif" : je loue sur un hameau de 7 maisons. Deux sont habitées uniquement aux beaux jours, venant d’autres coins de France pour les vacances (parler très "pointu" et plaque auto exogène). Une est habitée à l’année par un retraité venu d’ailleurs mais on dirait qu’elle est close. Une est habitée par une dame venue là passer sa retraite. La mienne est partagée entre trois locataires - actifs et célibataires, tous trois en situation précaire, un d’une commune proche, deux horo biengüts (un Caussenard et un Ossalois). La ferme en dessous est exploitée par un couple de "parisiens" qui est venu changer de vie et à repris une exploitation. Ce sont les seuls qui ont des enfants. Une seule est habitée par une femme de souche à l’année, célibataire sans enfants.
    Deux constructions sont "en sommeil", l’une était une épicerie, l’autre un garage auto. J’habite la maison de famille d’un vieux qui est descendu s’installer à 500 m. Ici ce n’est plus à la famille ç’a été racheté par un gars des alentours qui la loue pour faire des ronds.

    Ehun bam ataw ?

    Le pic de circulation annuel devant ma maison c’est cette semaine de marteru... j’habite à côté de la petite église et du cimetière !!

    Enfin bref j’ai beau n’être natif que de 80km à vol d’oiseau, c’est un vrai contraste avec la montagne/le piémont. La population s’est davantage transformée (et vidée sutout !) il me semble.

    Pour l’anecdote, un an et demi que je suis là, j’ai entendu parler patois une fois. Même les vieux parlent français entre eux !

  • David McAninch n’a pas apparemment pas vu ce que tu as vu, Artiaque (et ce que je vois plus ou moins).
    Une explication partielle : il a sans doute plus de mal que toi à distinguer les "horo biengüts" dès lors qu’ils sont francophones : d’une part, un étranger ne capte pas si vite la différence d’accent ; d’autre part, les gascons étant selon lui "hyper-french", les français venus d’ailleurs sont seulement un peu moins "hyper" !

    Maintenant, prenons un exemple concret : puisqu’il se centre beaucoup sur la cuisine gasconne du canard... est-ce que cette population renouvelée peut la recevoir et la transmettre à son tour ?
    Et peut-il sortir de tout ça une nouvelle société rurale, gasconne d’adoption ?

  • Ric dou piaou a composé une "ode" aux cocosates du Born qui pourrait s’appliquer aussi aussi à la situation du Gers (et d’ailleurs) :

    https://www.youtube.com/watch?v=PbT2ovkvuN4&feature=youtu.be

  • Dans Sud Ouest du samedi 3 novembre, un entretien avec Jérémy Frérot (chanteur, ex du duo Frérot Delavéga) qui vient de donner un concert à Arcachon, sa ville natale, ai-je compris.

    Le journaliste lui demande si "le Bassin dont il parle si souvent, ne lui manque pas". Réponse : "c’est un paradis sur terre. Cela peut être un piège aussi pour les enfants notamment. La culture ne sert à rien, la curiosité non plus... Dans les cours d’école ici, les enfants ne disent pas "je veux être avocat ou pompier" , ils disent "je veux rester là". Il faut en partir pour mieux revenir...".

    Bien des choses là-dedans : du vrai (une certaine inertie culturelle sous des cieux trop cléments) mais de quoi nous faire bondir aussi : "pas de culture ni de curiosité "... ce qui est finalement un autre poncif, bien exagéré et qui révèle bien que seul le lointain a du prestige dans notre société occidentale actuelle alors que le proche est méprisé, voire méprisable... A ce compte là, il faudrait que nous partions TOUS pour que certains d’entre nous reviennent (culturellement enfin enrichis, on suppose !), peut-être.
    Comment pérenniser une société et une culture avec de telles maximes ? Alors qu’on note aussi, chez les jeunes, le désir de rester et sans doute pas seulement parce qu’il fait beau et qu’on peut pratiquer le surf, non ?

    • D’abord, content de lire que le Pays de Buch (alias "le Bassin") est encore un paradis sur terre ! On sait que les paradis sur terre, devenant trop attractifs, peuvent perdre leur qualité de paradis...

      Ensuite, "partir pour mieux revenir ?"
      Les voyages forment la jeunesse etc.
      Sans que ce soit une obligation, il me parait normal que les jeunes découvrent le vaste monde. Mais que la plupart puissent revenir s’ils le souhaitent ! Et les jeunes bougès (du Pays de Buch) le souhaiteront pour la plupart, semble-t-il ; j’espère que les jeunes armagnacais et autres aussi.

      Or, depuis longtemps, et encore maintenant, les jeunes gascons ne reviennent pas autant qu’ils le souhaitent, parce qu’ils ne trouveraient pas de "boulot" de retour au pays. Alors, ce n’est plus découvrir le monde, c’est s’exiler pour raison économique !

      Mais un jeune qui ne partirait jamais ne serait pas pour autant un demeuré !
      Notre Gascogne devrait avoir les moyens de donner à tous ses enfants le bagage nécessaire pour la vie. Là, il est question de refuser le centralisme culturel.
      En plus, à l’heure d’Internet, on a accès à la connaissance, et au vaste monde, depuis le plus petit village.

  • Je reviens sur l’ensemble de ce fil de discussion "Perry Taylor et David McAninch".
    Pour être dans le ton, je dirai que nous sommes ici dans le fil #Gascony (Hashtag Gascony) ; il existe sur Twitter.
    Nous devons jouer avec ça : cette Gascogne idéalisée et touristique, un peu convenue aussi, nous savons l’observer avec distance, mais elle plait à nos élus ! Et même, elle peut (r)amener à la Gascogne ceux (élus ou non) qui l’ont perdue ou qui s’y installent sans la connaitre.

    A nous d’utiliser le fil #Gascony pour interpeller nos élus quand ils s’apprêtent à défigurer nos paysages visuels, sonores, graphiques : ceux qui viennent de loin pour prendre un bain gascon ne viendront plus si la Gascogne se dégasconnise. Ils n’achèteront plus gascon...
    On peut aussi sortir d’une attitude purement défensive, et faire des propositions imaginatives, dans le droit fil #Gascony.

    Bien entendu, parallèlement, nous avons des fils (hius) #Gascougno, #Gasconha, #Vasconia...

  • Ce fil #Gascony m’amène naturellement au livre "A Summer in Gascony".

    A Summer in Gascony
    L’été vécu par Martin Calder à Péguilhan (Comenge), comme jeune stagiaire dans une ferme-auberge.

    Le Blog deu Joan en a déjà fait une courte présentation, en gascon : Gasconha vista per Martin Calder
    Une amie nord-américaine, amie aussi de la Gascogne par mon intermédiaire, vient de me l’envoyer, et j’ai commencé à le dévorer.
    Je ne tarderai pas à vous le commenter plus longuement.
    Il ne semble pas avoir été traduit en français alors qu’il semble l’avoir été en polonais (Lato w Gaskonii) !

  • ça y est, j’ai fini "A Summer in Gascony" de Martin Calder.
    Je remercie Wendy qui me l’a envoyé depuis les Etats Unis (et je lui enverrai un lien vers le présent gran de sau pour qu’elle lise mon remerciement et le commentaire qui suit).

    Mon angoisse, c’est que la Gascogne ait charmé Martin Calder non pas... parce qu’elle est gasconne, mais seulement parce qu’elle a été peu modifiée par l’urbanisation ; dans ce dernier cas, n’importe quelle contrée restée rurale - il doit bien s’en trouver d’autres en France et ailleurs - aurait exercé un charme presque identique sur lui, et ça ne fait pas du tout les affaires d’un promoteur de la Gascogne comme moi !
    Bon, il va falloir plus qu’un gran de sau pour régler cette question : un article, une série d’articles, l’instauration d’un débat sur les réseaux sociaux ? C’est l’attractivité gasconne qu’il faut disséquer...
    Je me borne pour l’instant à vous livrer deux phrases à la fin du livre :
    « The smell of the soil, the colour of the earth, the shape of the hills, the golden sunshine, the warmth of the people, the noise of the bandas - all of them were condensed in the Madiran. Rich, full, fruity and mellow, the wine expressed my love for Gascony. »
    Ma traduction :
    L’odeur du sol, la couleur de la terre, la forme des collines, la brillance dorée du soleil, la chaleur des gens, le bruit des bandas - tout cela était condensé dans le Madiran. Riche, plein, fruité et moelleux (?), le vin exprimait mon amour pour la Gascogne.
    (pour expliquer le contexte : une bouteille de Madiran joue un peu pour Martin le rôle d’une madeleine de Proust, et d’ailleurs le décide à écrire ce livre)
    PS : les bandas font quand même mieux que du bruit !


Un gran de sau ?

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