Esprit Gascon a mis ces jours-ci en ligne un article de Thomas Field, de l’université du Maryland à Baltimore.
Présent et passé de la langue de Gascogne
academia.edu
L’article est fouillé et bien informé à de rares détails près (par exemple, gasconha.com y est cité mais comme prônant l’appartenance du gascon à l’occitan, ce qui ne correspond pas vraiment à la réalité).
Je ne détaillerai pas les nombreux points évidemment satisfaisants de l’article (les peuples heureux n’ont pas d’histoire, dit-on !) mais seulement quelques affirmations me paraissant ambiguës voire contradictoires.
D’abord l’article pèche en ne mettant pas en regard une histoire de nos régions et de la langue (dans ses aspects sociaux et politiques entre autres, qu’il exclue explicitement de son analyse ) avec la réalité actuelle et les chances de sauver ou non le gascon.
Thomas Field veut maintenir son analyse de la relation gascon/occitan en synchronie (sous entendu, à l’époque actuelle) ce qui ne l’empêche pas d’affirmer dans la même phrase que la question langue /dialecte est « une question idéologique » alors qu’on voit mal comment celle-ci pourrait être séparée de l’ « histoire politique et sociale ».
Il ajoute que « les arguments basés sur l’existence ou non d’une Occitanie ou d’une Gascogne historique n’ont donc qu’une importance relative ».
Ce qui lui permet de ne pas s’interroger sur une des raisons vraisemblable de l’échec occitaniste à arrêter le déclin de la langue, à savoir l’identification à un territoire trop vaste et à une identité trop indéfinie pour susciter l’acquiescement des populations concernées.
Il en a pourtant vaguement conscience puisqu’il écrit en suivant que si « le mouvement occitaniste a réussi à implanter l’idée d’une langue occitane » (à mon avis surtout parmi les média), « la notion d’occitan est loin d’être claire pour les locuteurs ».On ne saurait mieux dire.
Cette constatation mitigée l’amène à suggérer (p 770) « une stratégie d’occitan régionalisé, comme « plus prometteuse en ce moment précis - la fameuse synchronie - de l’histoire du gascon », ce qui rappelle la position du linguiste Dominique Sumien, favorable à six normes régionales correspondant aux grands « dialectes » repérés par l’occitanisme, dont le gascon bien sûr.
Cette position pourrait du reste être acceptable à certaines conditions dans une optique confédérale de l’unité des langues d’oc ; il faudrait surtout que la norme « dialectale » soit avalisée par les forces vives, s’il en reste, des locuteurs dudit dialecte et non forgée en laboratoire de façon à minimiser les différences interdialectales en comptant sur des passerelles systématiques permettant facilement de passer d’un « dialecte » à l’autre (passerelles dont Field note bien qu’elles n’existent guère entre occitan et gascon, apportant ainsi de l’eau au moulin de la théorie d’une langue distincte).
Toutefois dans sa conclusion finale, Field semble en net retrait par rapport à cela puisqu’il trouve des avantages à une « langue occitane normée pouvant servir à l’intercompréhension et pour l’accueil de nouveaux locuteurs n’ayant pas d’enracinement local particulier et servant de base pour le prestige extérieur de la langue, le choix actuel, basé sur des modèles languedociens semblant bien conçu ». Et d’ajouter qu’ « il ne faut pas imposer cette norme là s’il n’y a pas d’utilité particulière mais (qu’)il faudrait l’enseigner comme une variété seconde dans les classes d’occitan en Gascogne ».
On ne peut qu’être inquiet si l’on a repéré que quelques paragraphes plus haut Field indiquait avec raison que « l’enjeu d’une norme est de taille car le prestige qui s’attache à une nouvelle norme a l’effet concomitant d’enlever une part de leur statut aux variétés linguistiques qu’il subsume » (subsume :qu’es aquò ?).
Bien entendu il pourrait rétorquer que cet occitan « secondaire » à enseigner en classes de Gascogne ne serait pas une « norme » mais alors, que serait-il d’autre ? Enseigne-t-on systématiquement le castillan comme complément à un cours de portugais ou l’allemand à un cours de néerlandais pour en étendre le prestige ? Ce qui n’interdit pas bien sûr un enseignement volontaire et optionnel de l’occitan, détaché de l’enseignement du gascon.
Enfin à propos de norme, Field s’interroge : « un gascon unifié serait-il plus heureux ? ».
A ses yeux le manque de profondeur de champ en particulier littéraire serait un frein à la réussite d’un tel gascon unifié, d’où la notion de prestige évoquée plus haut. Mais il ne s’interroge pas sur la notion de distance linguistique : si une telle distance se noterait entre cette norme gasconne et les différents parlers locaux, ne serait-elle pas évidemment beaucoup moindre que celle entre l’occitan normé et les différentes formes de langue d’oc, de Bayonne à Nice, surtout si ce gascon « unifié » savait être assez souple pour abriter des formes tant soit peu différentes ?
Field a le mérite en tous cas de remettre cette question au centre de nos réflexions tout comme Philippe Lartigue le faisait dans son interview très récente par Radio Pais (Per Sagòrra e Magòrra du 23 avril), à écouter ou ré-écouter si le podcast est encore disponible).
Sa conclusion dernière le montre curieusement pas tout à fait convaincu de l’efficacité durable (diachronique !) de sa proposition : « à long terme, si le gascon devait continuer à vivre, son identité et les stratégies pertinentes pourraient mener à d’autres décisions » en application de l’immense déraison gasconne » revendiquée par Bernard Manciet.
Je ne résiste pas au plaisir en guise de point final de citer ce résumé de l’article par un contributeur d’Esprit Gascon, un esprit gascon acerbe et plein d’humour malicieux : « pour sauver la langue tu deviens Occitan, mais on est pas sûr du résultat, mais c’est pas grave puisque tu es Occitan. Pour la Gascogne, c’est plus compliqué mais on cherche ... » .