Le préfet Grimaud dans les Landes (1955-1957) Un missionnaire du "progrès" dans une contrée "archaïque"

- Tederic Merger

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Dans Maurice Grimaud préfet des Landes (1955-1957) ou « un préfet aux champs » de Bernard Lachaise, on a la vision d’un missionnaire du progrès qui arrive dans une contrée archaïque :
« Grimaud doit apprendre à connaître la culture et l’identité landaises, ce qu’il a, selon ses écrits, eu quelques difficultés à faire. Quand Grimaud arrive dans le département, la population landaise est majoritairement rurale. Les urbains ne représentent que 17 % de la population totale contre 53,4 % en France. Les deux communes principales, Mont-de-Marsan et Dax, ont respectivement 17 120 et 14 557 habitants, ce qui fait d’elles des villes modestes. Le portrait que dresse Grimaud des Landais, ouvertement ou à mi-mots, n’est pas élogieux et pourrait se résumer à « querelleurs », « rétrécis », « passéistes » et « oisifs »… Dans ses souvenirs, il décrit ainsi « deux populations (…) l’une de belle aisance (…), heureux propriétaires (…) classe oisive (…) et l’autre mélangée plus active »

« Grimaud ne cesse de souligner un état d’esprit landais peu tourné vers le dynamisme. À propos d’un grand projet économique, il décrit ainsi la réaction des élus départementaux : « le conseil général (…) m’écoutait avec l’aimable courtoisie gasconne mais, manifestement, il ne voyait pas bien pourquoi je tenais à me mettre (et à leur mettre) tout ce train de soucis sur les bras » et il y voit un comportement ancien, rappelant que s’il fallait depuis Mont-de-Marsan aller prendre le train à Bordeaux, c’est parce que « les aïeuls de mes administrés, plus soucieux de préserver leur quiétude que d’épouser le progrès, s’étaient farouchement opposés au passage de la voie ferrée au chef-lieu du département" [1] ». »

On notera quand même avec plaisir "l’aimable courtoisie gasconne" des notables, qui doivent être adoucis par leur sort d’"heureux propriétaires".

« Au temps du préfet Grimaud, l’économie du département des Landes est dominée par l’agriculture (58 % des actifs dans le secteur primaire et 20 % seulement dans l’industrie) mais elle est très contrastée, juxtaposant tradition, voire archaïsme, et modernité. »

Michel Morisot, stagiaire de l’ENA, le souligne dans le rapport que le préfet lui a commandé :
« Au point de vue économique, le département des Landes présente la curieuse caractéristique d’être en même temps un territoire "sous-développé" pour toute la zone forestière et de détenir un nombre appréciable de records de productions (…). De nombreuses industries vivent de la forêt, les unes archaïques et en déclin (…), d’autres en plein essor et pourvues d’un équipement capable de rivaliser avec les meilleures firmes étrangères (…). Le phénomène le plus frappant en matière agricole, c’est le décalage qui existe entre la masse des cultivateurs qui refusent de modifier leur méthode ancestrale de culture et l’audace de certains « pionniers » qui se maintiennent à la pointe de l’expérimentation en matière agricole. C’est ainsi qu’on peut voir, côte à côte, des métayers ramasser le maïs à la main et les toutes dernières machines américaines qui s’enfoncent dans des champs de maïs hybrides »

Le "progrès", c’est à la fois la technocratie française, mais aussi l’intégration européenne :
« en octobre 1956, Grimaud explique devant l’Assemblée générale des limonadiers, hôteliers et restaurateurs de Dax « les perspectives nouvelles d’une intégration européenne qui se réalisera par la force des choses et qui sera une entité économique. »

Grimaud lance une société d’économie mixte, la SALG (Société d’aménagement des Landes de Gascogne) sous l’égide du conseil général qu’il a préalablement réussi à convaincre par « une ruse » : « il amène, en avion, les élus à Nîmes pour y passer une journée et leur montrer « un exemple de réussite d’aménagement du territoire, le grand œuvre de Philippe Lamour dans le Bas-Rhône-Languedoc », ce qui lui permet d’obtenir, au retour, un vote unanime du conseil général »

On devine que quelques bons repas et une ambiance de voyage touristique ont fait bon effet.

Cette société d’aménagement va notamment oeuvrer à la remise en culture des "milliers d’hectares de la forêt landaise laissés à l’abandon après de fréquents et redoutables incendies".

Notes

[1On a là une allusion au fait que Mont de Marsan n’est pas sur une grande ligne ferroviaire. Mais Mont de Marsan avait et a toujours une gare qui permet aux voyageurs de retrouver la grande ligne Bordeaux-Dax à Morcenx.
Le préfet Grimaud manifeste ici une tendance qui n’est pas surprenante à centraliser le département à son chef-lieu, de même qu’on centralise la France à Paris.
Et Mont de Marsan était quand même un noeud ferroviaire, et l’est resté pour les marchandises au delà de l’époque du préfet Grimaud.

Grans de sau

  • Cette époque fut une charnière décisive entre un modèle agricole et rural ancien et l’enchainement qui parut alors bénéfique et dont nous nous demandons aujourd’hui s’il ne fut pas fatal : mécanisation, endettement, élargissement indéfini des surfaces, bref passage à une agriculture plus ou moins totalement intensive et productiviste, avec en face un certain soutien des prix, une PAC servant de matelas mais aussi d’anésthésiant, guidant gentiment la grande majorité des paysans vers la sortie.
    Curieusement c’est aussi l’époque où disparaissaient quasiment des espèces autochtones : le MAG de SO de samedi dernier 3 février évoquait celle de la race du mouton landais. Eux-mêmes témoins d’un autre temps, adaptés qu’ils étaient à l’économie agro-pastorale d’avant la monoculture du pin, ils étaient 250 000 au XIXè siècle mais quasi éteints en 1960 avant qu’un regain ne se manifeste (ils sont aujourd’hui 3000).
    Comme on note un certain regain* ici où là d’agriculteurs, passant au travers du filet et retrouvant bien des traits du modèle ancien alors que le matelas-anesthésiant amorce sa propre disparition...
    *inconsciemment j’emploie ici le titre du film de Pagnol ; on en rêvait déjà dans les années 30 ! Un peu trop tôt sans doute.


Un gran de sau ?

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