Au nom de la langue Une lecture du livre de Serge Javaloyès

- Gerard Saint-Gaudens

Le livre de Serge Javaloyès est un ouvrage défensif comme les fortifications de d’autes còps, une défense très ciblée…
Il veut essentiellement démontrer que le combat des béarnistes contre l’occitanisme est infondé.
La thèse majeure des béarnistes est en effet que béarnais et gascon n’est (ne sont) pas la(les) même(s) langue(s) que l’occitan tel qu’il est promu en pays gascon par les mouvements occitanistes et donc que chercher à imposer celui-ci est une imposture au demeurant vouée à l’échec quand il s’agit de sauver la langue .
Javaloyès n’a pas de mal, au long de 294 pages (en fait en gros deux fois moins car le livre est en version bilingue), à démontrer que cette thèse est fausse pour l’essentiel, du moins en ce qui concerne l’identité de la langue, pas le degré d’efficacité de la méthode occitaniste. La langue est la même, à la graphie près (ce gros caillou dans nos souliers !). Enfin presque puisqu’il faut compter avec la chasse occitaniste immiséricordieuse aux « francismes » et son corollaire, l’emploi d’archaismes oubliés depuis de longs siècles, comme le pan-occitan « senher » au lieu de « moussu » ou de « meste », quelques tics de langage genre « se bolegar » et autres qui commencent parfois à ressembler à un début de novlangue. Mais peu de choses finalement. Des détails, certes mais qui amènent les vieux locuteurs natifs, empêtrés au demeurant dans le complexe de la non-transmission familiale, à rejeter la langue souvent prononcée à la française, entendue dans la bouche de jeunes élèves des calendretes et classes bilingues comme de l’ « occitan ».
La où la logique de Javaloyès en est défaut, c’est quand il hésite entre les enseignements des grands ancêtres appelés à la rescousse - Palay et les fondateurs de l’occitanisme (alors tous d’accord, n’est-ce pas ?) et ceux des grands linguistes dont il cite plusieurs ,Rohlfs, Sauzet, Massoure, voire de son lucide préfacier Jean-Pierre Cavaillé.
Quand celui-ci, cité par Javaloyès, reconnait avec les linguistes en question, que les dialectes occitans et le gascon ne sont pas dérivés d’une forme originelle commune (ce qu’écrivaient naguère étourdiment Palay et bon nombre d’occitanistes), cela ne conduit pas Javaloyès à s’interroger sur la question de savoir à partir de quel point des formes linguistiques ne dérivant pas d’une même langue originelle (un supposé proto-occitan commun) et ayant développé leur logique propre parallèlement pendant un bon millénaire ne peuvent plus être considérées comme la même langue. Et surtout s’interroger sur les conséquences pratiques de cette dualité originelle en matière d’enseignement et de pratique de la langue.
D’autant que cette absence de réflexion entraine naturellement la non-mise en cause du caractère inopérant des mythes occitanistes, l’Occitanie et le peuple occitan en premier lieu, lorsqu’il s’agit de rendre à une population une conscience collective à peu près disparue. Notre auteur, bon écrivain gascon au demeurant, ne semble pas voir là une belle occasion de remettre l’occitanisme sur ses pieds, retrouvant l’esprit d’un Pierre Bec ou d’un Ismael Girard, un occitanisme fonctionnel au service d’entités réelles à peu près conservées dans la,mémoire des peuples, telles la Gascogne ou le Béarn à travers la reconnaissance inéquivoque de la spécificité linguistique gasconne , spécificité que la large zone de contact en pays garonnais n’abolit pas.

L’autre débat, supposé du moins, entre béarnistes et occitanistes du côté desquels se range Javaloyès, apparait très vite derrière le débat grapho-linguistique ; c’est celui qui opposerait tenants d’une identité fermée et hérauts d’une identité ouverte.
Michel Feltin-Palas, bien connu des lecteurs de notre site, a très bien montré les limites d’une telle opposition dans un article de l’Express du 4 juin 2017, retransmis ces jours-ci pas un contributeur du groupe Esprit Gascon
https://www.lexpress.fr/culture/livre/bearnais-contre-occitans-la-nouvelle-bataille-d-hernani_1914286.html

J’y réfère nos lecteurs et n’ai rien à y ajouter sauf pour noter que la recherche presque irraisonnée d’une ouverture indéfinie pourrait bien être liée chez nos occitanistes et Javaloyès en premier lieu à un complexe provincial jamais évacué. Comme pour se faire pardonner d’écrire (fort bien dans son cas) dans une langue ultra-minoritaire et ignorée à ce titre par les média et l’inteligentsia parisiens (Manciet ne fut qu’une exception tardive), il faudrait s’affirmer comme « un umble escrivan bearnès, gascon e enfin occitan puishque la literatura a per tòca, si s’i escad solide, de parlar au monde sancer » (affirmation tirée, non de son livre mais d’un échange postérieur avec l’auteur de ces lignes).
Que la langue gasconne soit une langue d’oc et appartienne au sens large au monde occitano-catalan (il faudrait dire occitano-gascono-catalan), qui le nierait ? Mais un écrivain breton se reconnaissant de la grande famille celtique et voulant s’adresser lui aussi au monde entier (quel écrivain ne le souhaite pas plus ou moins ?) aurait-il l’idée de se dire « écrivain breton, brittonique et celte » à temps et à contre-temps au risque d’enfoncer des portes ouvertes ?
Ce dont il s’agit c’est d’entamer une saine réflexion sur les modalités de coopération entre défenseurs des langues sœurs pour les sauver s’il en est encore temps. Ce qui n’invalide pas les efforts des enseignants des calendretes gasconnes et autres.
Ancien président de la Fédération des calendretes, Javaloyès reçoit certainement très mal les reproches en bonne part injustifiés qui sont faits à leurs enseignants. Mais ces efforts auraient probablement eu un autre résultat sur le terrain si un effort préalable de remise en cause avait été réalisé au plan des principes de base de l’occitanisme.
Occasion manquée ; peut-être y en aura-t-il d’autres bien que le temps nous soit tragiquement compté.

Un gran de sau ?

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