L’hyper-ruralité en Gascogne D’après le rapport du Sénateur Alain BERTRAND sur la France entière

- Tederic Merger

Bassins de vie "hyper-ruraux"
Ceux du triangle gascon sont en vert vif.
B. = Bordeaux
T. = Toulouse
"Carte établie à partir de la typologie des campagnes françaises de la DATAR et prenant en compte l’accessibilité des services à la population".
BPE 2011, INRA, INSEE, CESAER, ODOMATRIX, UMR 1041...

D’après nos statisticiens, la Gascogne est donc concernée, mais moins massivement que l’Auvergne-Rouergue-Quercy-Limousin par exemple.
La carte indique les zones suivantes :
 Lanegran (Grande Lande)
 Pays de Lugues (pour ceux qui ne connaissent pas : les Landes autour de Houeillés ; cette commune a perdu plus de la moitié de sa population depuis un siècle)
Houeillès

 L’axe Condom-Mirande (autour de la vallée de la Baïse) et la Lomagne dite gersoise
 Le Vic-Bilh autour de Lembeye
 Une bonne partie du Comminges (avec Aure, Barousse...) et du Couserans, surtout en montagne mais pas seulement ; cette zone se prolonge à l’est vers le Pays de Foix et le Roussillon.
On devine que d’autres zones, voisines, qui ne sont pas peintes en vert par la carte, ne sont pas loin de "l’hyper-ruralité".

Ce sont des zones à faible densité de population.

Le Rapport Bertrand décrit ainsi la vie en territoire hyper-rural :
« 
 C’est d’abord la « culture de la reculade », de la défensive permanente, depuis les quelques centralités ou petites villes qui souffrent, jusqu’au « bourg centre », le plus souvent chef lieu de canton, qui voie [sic] ses commerces, services et entreprises s’amenuiser ou disparaître.
 C’est aussi accepter de voir les jeunes partir travailler et vivre ailleurs et accepter le spectacle de villages aux maisons fermées.
 C’est aussi le fait que le simple AVC... y est plus létal et laisse plus de séquelles qu’ailleurs.
 C’est aussi le distributeur bancaire, la station service ou la pharmacie les plus proches à 10, 20 ou 30 km, les études des enfants à 200 ou 300 km minimum, le carburant, les fruits et légumes, les matériaux, l’approvisionnement des entreprises beaucoup plus cher qu’ailleurs.
 C’est aussi une superposition de handicaps naturels, parfois d’altitude, de météorologie, de fertilité des sols... connus et acceptés comme tels, auxquels s’ajoutent des handicaps de précarisation « républicaine » : services publics et assimilés en voie de disparition, services aux personnes (comme en matière de santé ou de maladie) moins performants, l’absence de médecine spécialisée, d’hélicoptère de secours à l’année.
 C’est aussi savoir qu’entreprendre, créer, expérimenter sera plus difficile qu’ailleurs !
Parce que les bassins de consommation sont éloignés, les transports difficiles, les équipements nécessaires moins présents.
 C’est l’apprentissage de la réalité du « faible nombre aux grands effets » : peu d’habitants, peu de moyens, peu de services et commerces, et donc peu de priorité quand tout se décide au nombre : de passages, d’actes, d’habitants, de dossiers, d’abonnés, de clients, d’euros disponibles...
 C’est un enclavement croissant, avec des lignes de chemin de fer devenues inutilisables, l’absence de liaison aérienne, la téléphonie mobile chaotique et aléatoire, la 3G ou 4G chimériques, le téléphone fixe qui commence à ne plus fonctionner, du fait de l’abandon d’entretien des lignes, Internet et le très haut débit reléguant ces territoires en bons derniers de la classe France.
 ce sont aussi et heureusement des lieux paisibles et de caractère qui, hors de ce qui précède, pourraient apparaître comme le pays des merveilles ! »

[dernière phrase mise en gras par moi-même ; on pourrait peut-être rajouter
 ce sont aussi les lieux qui ont conservé le plus longtemps la Gascogne d’autrefois, sa langue, ses maisons, ses us et coutumes...]

Le rapport Bertrand constate aussi - rejoignant un souci souvent exprimé sur Gasconha.com, que
« En abandonnant les centre-bourgs au profit de constructions pavillonnaires en périphéries, ces communes [de l’espace hyper-rural], à rebours de l’idée reçue, organisent sans le mesurer la paupérisation future de leurs habitants et se privent d’une capacité d’accueil durable en matière d’habitat pouvant demain les aider à retrouver une réelle attractivité porteuse de la vie communale. »

D’où sa recommandation 4 : "Instaurer une politique énergique pour revitaliser l’habitat ancien des petites villes et centres bourgs de l’hyper-ruralité".

La décentralisation des dernières décennies n’a pas arrangé les choses : les possibilités de libre administration qu’elle offre sont difficilement utilisables par les zones hyper-rurales, qui n’ont ni la taille ni les ressources suffisantes. Les mécanismes d’aide ne sont pas pensés pour elles, l’inflation des normes complique les choses.
Pour ce qui est de la taille et donc des moyens, le rapport Bertrand recommande des intercommunalités qui aient "la taille critique nécessaire (de l’ordre de 20 000 habitants)", et aussi la création de "communes nouvelles" (résultant de la fusion de communes). Il y a là aussi un point déjà abordé sur Gasconha.com, avec une discussion animée.
Il avance aussi l’idée de règles et normes assouplies pour les zones hyper-rurales, et de possibilités supplémentaires d’expérimentation, puis de pérennisation des expériences réussies.

Le constat et les pistes d’action ci-dessus ne sont en rien spécifiques à la Gascogne.
Mais celle-ci est plus concernée que d’autres, parce qu’elle (sur)vit surtout dans ces espaces hyper-ruraux.
C’est donc un sujet pour nous. Et j’ai rappelé récemment que Robert Castagnon, de la revue "Gascogne" (ex "La Talanquère") l’avait également à coeur :
« La désertification de nos campagnes n’est pas une fatalité de l’histoire. »

Voir en ligne : HYPER-RURALITĒ - Rapport établi par M. Alain BERTRAND, Sénateur de Lozère

Grans de sau

  • Beaucoup de constatations fortes et de bon sens et de recommandations utiles dans ce rapport.
    Par exemple celle-ci qui va dans le sens de ce que dénonce constamment gasconha.com : « en abandonnant les centre-bourgs au profit de constructions pavillonnaires en périphéries, ces
    communes, à rebours de l’idée reçue, organisent sans le mesurer la paupérisation future de leurs habitants et se privent d’une capacité d’accueil durable en matière d’habitat pouvant demain les aider à retrouver une réelle attractivité ».

    Toutefois,deux caractéristiques me frappent l’une par son absence totale et l’autre par son omniprésence.
    Toutes deux limitent fortement la portée des bonnes intentions de ce rapport.
    1)Une absence invraisemblable :celle concernant l’emploi agricole alors qu’on parle de territoires hyper-ruraux ,plus de la moitié de ces 43% du territoire à très faible densité où la terre agricole est en principe abondante et peu chère et où l’on trouve « une part de l’emploi agricole élevée voire parfois très élevée ».Sauf que s’y ajoute le fait que « plus du quart des habitants y a plus de 65 ans »,deux réalités à mettre en face l’une de l’autre.Ce qui revient à dire que cette dominante de l’emploi agricole est perçue comme un simple héritage du passé,voire un frein au développement du territoire.A aucun moment n’est évoqué le fait qu’une forte majorité des exploitations agricoles n’aura pas de repreneur et jamais le rapporteur ne semble s’intéresser à la raison et aux conséquences de ce phénomène.Une relance de l’emploi agricole n’est donc en aucune façon perçue comme un élément majeur de redynamisation des territoires.Et donc jamais ,parmi les mesures préconisées,souvent de grand bon sens pourtant,ne figure des stimulations à la reprise , à la conversion , à la création de ces exploitations agricoles. Cette absence est criante.En fait le rapport semble ne voir d’avenir à ces territoires que dans une complémentarité avec les métropoles,histoire d’y accueillir leur trop plein de populations mal intégrées ou de profiter de « lieux paisibles et de caractères », de « pays des merveilles » même pour en faire de purs terrains de détente et de rêve des habitants des métropoles .Ce qui me rappelle un mot de Bernard Manciet autrefois interrogé par l’Express(je crois) : « autrefois nous étions des paysans,aujourd’hui nous ne sommes plus perçus que comme des gardiens de l’environnement ; c’est un peu fort ! ».

    2) L’autre caractéritique de ce rapport est la place quasi unique qu’y prend l’Etat central dont toute revivification est semblée devoir venir.A aucun moment n’est mentionné le rôle potentiel des régions ;certes avec des monstres type Nouvelle Aquitaine ,on n’est peut-être pas loin de la réalité mais tout de même elles devraient jouer un rôle,plus près du terrain que l’Etat central et ses bureaux parisiens.Non que celui-ci soit par nature nocif mais tout de même est-il réaliste de croire que « tout porteur de projet pourra recourir au pôle national hyper-ruralité » même à travers un échelon local ? Est-il crédible de suggérer en ces temps d’économie budgétaire et de rétraction -certes drastique et excessive- des services publics « la création d’un ou plusieurs corps attractifs de la fonction publique dédiés aux territoires hyper-ruraux par détachement (tout de même !) des agents de la fonction publique de l’Etat et territoriale » ?A l’extrême on suggère la décentralisation d’une partie du Conseil d’Etat à Digne ou Aurillac(bonne blague !),plus imaginable en tout cas que la relance de l’emploi agricole …
    Malgré toutes ses qualités,ce rapport ,essentiellement préoccupé par l’affaiblissement du « signal républicain »(curieuse expression),fleure bien le jacobinisme le plus traditionnel.

    Un dernier point :je n’ai pas bien compris les critères précis permettant de dessiner la carte de ces territoires hyper-ruraux à partir des 43% à faible densité du territoire français.Dans l’environnement gascon ,pour parler de ce qui nous touche de près,la montagne basque y figure par exemple (Soule et Basse-Navarre) mais pas les vallées pyrénéennes du Barétous,d’Aspe et d’Osssau, bref la moitié ouest de la circonscription de Jean Lassalle (tiens au fait,que pense-t-il de ce rapport ?) mais pas la partie est… Qui peut nous éclairer là-dessus ?

  • Gerard,

    Sur ton point 1) (l’absence de l’emploi agricole comme solution) :
    Le rapport ne donne aucune explication.
    Je vais essayer d’en donner une : l’agriculture moderne ne pouvant être selon le modèle dominant que très mécanisée et sur de grandes exploitations, elle ne peut pas fixer beaucoup de population, et surtout pas maintenir les exploitations anciennes.

    Quant à la fonction de ressourcement que les espaces hyper-ruraux peuvent offrir aux habitants des métropoles régionales, je cite cette phrase savoureuse :
    « Si un cadre supérieur, ingénieur ou chercheur contribuant au PIB national grâce à son activité métropolitaine, évite le burn-out en profitant régulièrement de ses vacances et week-ends dans l’hyper-ruralité voisine, comment ne pas considérer que celle-ci participe directement au résultat économique que l’on affecte comptablement à la métropole où se trouve son bureau ? »
    J’en déduis une mesure à prendre : mettre à disposition des espaces hyper-ruraux des hélicoptères qui serviront à transporter les cadres supérieurs métropolitains victimes d’AVC pendant leur ressourcement au pays des merveilles... accessoirement, ces hélicos serviront aussi aux autochtones...
    Hé hé, voilà un moyen de motiver les décideurs métropolitains pour qu’ils ne négligent pas le système de santé hyper-rural !

    Sur ton point 2) (le recours au seul Etat central, et pas aux Régions ni aux départements) :
    Le rapport explique sa défiance envers les Régions et les départements :
     « les collectivités territoriales se sont développées en reproduisant à leur échelle le modèle globalisant et centralisateur de l’Etat. Ce faisant, elles ont renforcé le pouvoir et les atouts des métropoles, capitales régionales et grandes villes, au détriment du reste du territoire »
     « la décentralisation, répartie entre les différents échelons de collectivités et couplée au principe constitutionnel de libre administration, a conduit, contrairement aux Etats fédéraux, à trop souvent mettre en concurrence les collectivités et les territoires entre eux, parfois avec la complicité même de l’Etat, au lieu de les rendre complémentaire »
    Il est remarquable que le Rapport imagine que l’Etat central puisse s’amender, mais pas les Régions ni les Départements !
    Tropisme jacobin, comme tu l’imagines...

    Quant aux critères d’établissement de la carte des zones hyper-rurales :
    Je ne les ai pas directement, mais la densité de population n’en est qu’un parmi d’autres ; "l’accessibilité des services à la population" en est un autre.

  • Nous sommes bien d’accord sur tout cela,malheureusement !

    Le troisième point(critères précis de détermination de cette hyper-ruralité) serait bien à creuser ;quid de la Grande Lande par exemple ?

  • Une caractéristique importante des zones hyper-rurales est aussi, à l’âge du pétrole, la dépendance absolue à l’automobile. D’où leur participation au mouvement des gilets jaunes !

    Je fais ci-dessous l’essai d’un ancrage de commentaire Facebook*.

    * Facebook nous dit de cette fonction d’ancrage : « Pour certains ça paraîtra sûrement “gadget”, mais ça pourrait se révéler être un petit plus qui changera la vie de nombreux webzines et sites web ! » A ver, comme on dit en espagnol... Endé bése (ende véser), comme aurait dit ma grand mère...

    Bon, la suite, pour ceux qui ne vont pas sur Facebook :
    Dans les campagnes que je fréquente à temps partiel, et qui ne sont pas réductibles à une périphérie métropolitaine (Bordeaux est à 120 km...), l’habitat est totalement dispersé : les centre-villes et centre-bourgs ont été désertés, pas parce qu’ils sont trop chers, mais parce qu’ils ne sont pas adaptés à l’automobile.
    De plus, quelqu’un qui ferait le choix de s’installer dans un centre-bourg ou centre-ville aurait encore quelques services sous la main, à pied ou à vélo, mais *pas tous* : même les pharmacies et les nouvelles maisons de santé ont tendance à s’installer en périphérie, et comment font les vieux qui habitent encore dans le centre ancien et qui n’ont pas de voiture ?
    Tout déplacement se fait en voiture : aller acheter le pain, voir le médecin, visiter les amis et les proches, chercher les champignons... la voiture est comme un prolongement du corps.
    Lavetz...
    On ne sort pas de l’âge du pétrole comme on change de... smartphone !
    L’augmentation du prix du carburant peut accélérer le changement des habitudes, mais sans plus : il faudra une mutation qui s’étalera sur des décennies : relocalisation des activités et des habitations, diffusion d’automobiles plus économes... un vélo ou tricycle à assistance électrique est par exemple une forme d’automobile partielle et économe...


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