Entendre du poitevin-saintongeais : "Peulouc à Poulligna’ "

- Tederic Merger

Je suis pour les émotions sensorielles comme base de l’identité. Les paysages, l’accent, même le physique des gens parfois. L’exotisme comme la familiarité sont fondés sur cette matrice.

Aussi, je crois qu’il est important, avec toute l’amitié, parfois l’amour, que l’on peut avoir pour les Charentais, de faire entendre la langue de la contrée, de la Saintonge et d’une partie de l’Angoumois.

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Grans de sau

  • Ma sensation à moi, c’est celle d’une absolue absence de familiarité. Cet accent, ce parler, cette langue, ce n’est pas moi, ce n’est pas mon imaginaire sonore, tout cela m’est étranger.

    C’est aussi ça que j’éprouve dans mon interaction, encore aujourd’hui, avec les gens de l’Ouest, dont les Charentais, que je côtoie, régulièrement, par amitié, par nécessité professionnelle. Je reviendrai prochainement sur la réalité ethno-culturelle de Bordeaux.

    Je ne ressens pas tout ceci avec des Languedociens, déjà un peu plus avec des Provençaux. Ce n’est même pas une question d’accent, le mien par exemple, fidèle à une tradition béarnaise, est peu prononcé dans un contexte méridional. C’est une affaire de maniérismes, de prosodie, que je retrouvais chez les jeunes nanas charentaises que j’ai approchées (fort belles au demeurant).

    Il est entendu que ces sensations n’ont pas vocation aujourd’hui à dicter l’avenir de régions, mais je crois tout de même que ce ressenti chez moi est l’ultime avatar de la haine du franchimand, du gavache.

    Le sentiment de haine est laid, il n’y a pas à l’encourager, mais je veux faire état en toute honnêteté de certains réflexes qui sont les miens. Je ne peux pas nier une hostilité naturelle à l’endroit de l’accent d’oïl, particulièrement charentais, une détestation intuitive des maniérismes, à mon corps défendant.

    Je lutte évidemment contre ces préjugés instinctifs, mais je les crois profondément inscrits en moi, sans que j’en sache l’origine, même si avec le recul, j’ai le souvenir assez précis d’imitations de l’accent pointu par ma grand-mère avec un sentiment de moquerie teintée de haine.

    Je lis en ce moment les souvenirs d’enfance de Pierre Siré, ancien avocat bordelais, qui a passé sa jeunesse sur une île de l’estuaire de la Gironde avant la première guerre mondiale, lui qui était issu de la Saintonge par voie paternelle. Des anecdotes intéressantes, comme par exemple le bilinguisme des gens des îles (gascon-saintongeais), mais aussi des remarques dans le sens d’un sentiment d’infériorité des Saintongeais à l’endroit des gens d’oc, l’apprentissage du racisme.

    J’imagine la violence en plein XVème siècle, quand des migrants poitevins sont venus en plein Bazadais d’entre Dordogne et Garonne pour fonder des colonies agricoles.

  • Même le provençal, pourtant bien plus éloigné en km, est infiniment plus proche du gascon.
    C’est là qu’on perçoit la réalité de l’ensemble d’oc (surtout sud-occitan, du gascon au provençal).

    Mais pour ma part, je n’extrapole pas la différence lingüistique à d’autres domaines (culturel, comportemental, social...).

    Si la méga-région bordelaise se fait, avec une forte composante poitevine, et déjà maintenant qu’elle est en débat, des affirmations de sentiment épidermique de différence avec les "gavaches" s’expriment et s’exprimeront ici (sous une forme policée avec Vincent) et ailleurs (dans les forums de "Sud-Ouest" par exemple, dans le registre "j’aime pas... j’aime pas Bordeaux, j’aime pas les charentais...").
    Je pense qu’il faudra essayer de sublimer ces réactions en quelque chose de plus rationnel, plus humaniste, plus ouvert.
    Je lis ici et là que la sociabilité "sud-ouest" (parfois nommée gasconne) n’a rien de comparable avec celle de plus au nord ; ça m’intéresse, c’est à creuser, je demande à voir ; si c’est confirmé, ce peut être un argument pour une région gasconne* ; mais il faudra beaucoup travailler ce sujet, pour éviter les affirmations sans fondements.

    *Cet argument sociologique n’est pas recevable par notre élite technocratique française ; mais s’il se diffuse dans notre population à nous, nous ferons nombre, et l’élite sus-visée peut tenir compte des grands nombres.

  • Il faut évidemment sublimer ce sentiment de la différence, une méga-région bordelaise peut même être pour les Poitevins et les Saintongeais l’occasion d’un renouveau de leur culture, un peu comme à Bayonne les Gascons profitent du dynamisme basque (ce qui sous-entend donc un relatif meilleur dynamisme du fait d’oc en Aquitaine administrative, ce qui n’est pas faux, au moins en matière de politique culturelle).

    Maintenant, ma crainte est la suivante : cette méga-région bordelaise met en évidence la réalité de l’identité girondine contemporaine assimilée à Bordeaux, qui se traduit nettement par un rejet des départements sud-aquitains des choix de la métropole régionale, qui se teinte aussi de désintérêt pour la Gironde, qu’au fond on laisserait bien aux "nordistes".

    Si vous me lisez, vous aurez compris que le sort de Bordeaux m’importe peu : l’identité de cette ville - que j’aime - est cosmopolite depuis un siècle, aussi bien par l’attrait régional qu’elle exerce depuis les Trente Glorieuses que par son peuplement mondialisé contemporain. C’est la raison pour laquelle je cherche les formules juridiques pour acter ce fait.

    En revanche, je ne souhaite pas abandonner le Bazadais, le Buch, le Médoc voire l’Entre-deux-Mers. Vraiment pas. Parce que ce qui se joue actuellement avec cette méga-région bordelaise, c’est le sentiment de gasconnité, ou ce qu’il en reste, dans le département de la Gironde.

    La méga-région bordelaise arrive dans un contexte où le caractère "gascon" de nombreux pays girondins est contesté. Par la civilisation du pavillon qui a aliéné de nombreuses communes et attiré des populations d’ailleurs en France. Par l’omniprésence d’une identité bordelaise contemporaine qui se projette dans un Ouest atlantique.

    On me dira : à quoi bon se battre pour la gasconnité de contrées où en tout état de cause, le militantisme culturel local est atone et où le sentiment identitaire est brouillé ? Ne vaut-il mieux pas sauver ce qui peut l’être en "Sud-Aquitaine" ?

    Peut-être. Alors 64, 40 et 47, faisons sécession. On verra comment Bordeaux réagira quand elle aura perdu les côtes basque et landaise, sa vallée de la Garonne jusqu’à Agen et son bout de Pyrénées.

  • Les enregistrements des dialectes et parlers d’oïl qu’on peut écouter par Internet font entendre des langues très « francisées », à la limite du "français régional". A part quelques mots, on n’a pas trop de mal à comprendre : ce sont des expressions entières qui sont du français commun tout juste teinté d’accent. De même le "picard" n’est plus bien souvent que du français habillé par quelques équivalences connues (in pour en, k pour ch, ch pour k, g pour j...). Dans le domaine d’oïl on ne roule plus guère les -r-. Dauzat observait déjà cette usure des patois en 1927 (Les Patois, Paris). Les mouvements en faveur de leur "sauvetage" n’ont pas résisté à la grande guerre, pas plus que les études de dialectologie (idem).

    Les enregistrements anciens (1900-1960) de dialectes d’oïl (j’ai perdu le lien Internet) sonnent autrement : mélodie de phrase, intonation, longueur des syllabes, diphtongues voire triphtongues, et le vocabulaire préservé, c’est souvent beau. Mais le français scolaire a définitivement appauvri l’oreille francisée.

    C. Duneton a commenté l’acculturation massive qui a frappé tous les pays de France (Ouest-France, 16 novembre 1999) : le français « une fleur en pot, une langue qui n’a pas de racines, dans aucun terroir, nulle part », triomphe dans « un pays où quatre-cinquièmes des habitants ont dû changer de langue ». « Tout ça est refoulé. Au début du [vingtième] siècle, ce ne sont pas seulement des parlers qui meurent, mais un pays qui change de musique, de sonorités. Tout d’un coup, les gens s’interdisent, ou plutôt on leur interdit leur langue maternelle. » Phonologiquement, le linguiste Albert Dauzat fait état du « recul des sons indigènes » (Les patois, p. 78).

    N. B. : Ce qui hérisse beaucoup les anciens c’est la prononciation française des noms (père pour peyre, morsan pour morcens, merci à la S.N.C.F.).

    Les attitudes envers les communautés voisines sont parfois peu amènes, tantôt ouvertes tantôt fermées, dans les deux sens, et reposent sur un fond d’expérience très ancien.
    De nos jours la perte du sens différentiel atteint toutes les perceptions et les représentations. L’antagonisme et les échanges qui accompagnent la conscience de soi étaient un signe de vitalité, tandis que l’atomisation actuelle ne laissera subsister que la haine de chacun contre chacun.

    C’est le moment de citer une fois encore le voyageur venu du Poitou Aimeri Picaud (XIIe s.) dans son Guide du pèlerin de Saint Jacques de Compostelle :
    "De là (la Saintonge), après avoir traversé un bras de mer et la Garonne, on arrive dans le Bordelais où le vin est excellent, le poisson abondant mais le langage rude. Les Saintongeais ont déjà un parler rude mais celui des Bordelais l’est davantage. Puis, pour traverser les landes bordelaises, il faut trois jours de marche à des gens déjà fatigués. C’est un pays désolé où l’on manque de tout. (...)
    Les Gascons sont légers en paroles, bavards, moqueurs, débauchés, ivrognes, gourmands, mal vêtus de haillons et dépourvus d’argent. (...)
    Puis aux alentours des ports de Cize, se trouve le Pays basque, dont la langue est barbare..."

    Mais Les uns et les autres, en ce temps-là, étaient vivants.

  • Je suis allé en Picardie ce printemps, en Santerre. J’avais énormément de mal à comprendre le picard quand il était parlé avec la conscience de parler picard et non un français régional. La langue m’était absolument inaccessible, tout comme peut l’être le wallon, ce qui tend à prouver que les sonorités du monde d’oïl n’ont pas partout disparu.

    D’autres extraits de saintongeais, plus ou moins typé :

    "Un Saintongeais, Jacques Hermand dit Simounet"

    "Beurchut : La cigale et l’feurmit"

    "Les histoires vraies à Nono en version sous titrée (patois charentais), trop drôle !"

  • Je constate 2 visions du "sud-ouest" :
     Ceux qui coupent la Gascogne linguistique des pays gavaches (sensu lato)
     Ceux (dont moi) qui voient une transition douce, avec une Basse-Guyenne mi-gasconne mi-gavache. Ce serait cocasse d’imaginer un Entre-2-Mers avec des maisons landaises et des gens parlant un gascon du sud ! Par exemple, pour parler de langue, nombreux sont les mots, par ici, qui nous séparent du reste de la Gascogne linguistique : jau, jabros, balòt, planèsa, grumilha, quenar, astora, conilhar, cagolha, javassar, shèira, sagrunada, cossarda, tiche, cendrilha, caborna/cabornut, et j’en passe et bien des meilleures.

    Bon, c’était juste pour le plaisir de contredire les gens.

  • Pas du tout, Gaby, je suis parfaitement d’accord avec toi sur le caractère de transition de ce que tu appelles la "Basse-Guyenne", au confluent de la Garonne et de la Dordogne, là où toutes les influences régionales viennent converger : gasconne proprement dite, mais aussi limousine et picto-saintongeaise.

    Les régions de transition sont passionnantes et intrigantes. Mais si elles sont de transition, c’est qu’il existe de part et d’autres des régions identitairement mieux définies. Au Sud de cette "Basse-Guyenne", il y a des pays très gasconnants, le Bazadais, les landes de Bordeaux, Buch, tout du moins anciennement. Au Nord, des pays de l’Ouest français, la Saintonge, l’Aunis, une grosse partie de l’Angoumois. Et puis à l’Est, le Massif Central dont le Périgord est une première approche.

    Mais là où je crois être assez iconoclaste c’est ce que je reconnais largement que Bordeaux est le point de rencontre le plus absolu de ces différentes réalités régionales, dans son peuplement, dans ses trajectoires individuelles. C’est la ville du grand métissage régional, du brassage des origines.

    Je suis tout à fait en faveur d’une reconnaissance de cette destinée bordelaise, tout comme Bruxelles est autre chose que la Flandre, que Bilbao n’est pas réductible au seul fait basque. Bordeaux est une ville que nous avons en commun qui offre ses services à des centaines de kilomètres à la ronde.

    En revanche, pas de compromis sur le caractère gascon de contrées comme le Médoc ou le Bazadais, où, pour ma part, je suis partisan d’une vraie reconquête sentimentale.

  • Il est rare qu’il n’y ait pas de zones de transition entre langues et dialectes d’une même famille : entre francien et picard, lorrain roman et champenois, c’est patent. On constate de larges zones de transition et d’interférences entre langues germaniques ou entre langues italiques. Les isoglosses des linguistes ne suivent pas toujours les frontières administratives. Ce qui fait le gascon c’est au fond sa résistance à l’intégration gallo-romane.
    Quand à Saintonge, Aunis et Angoumois, c’est un pays de belle architecture qui annonce ou rappelle le Bordelais (ça dépend d’où l’on vient).

    Bordeaux n’a pas (du moins dans son histoire récente) la tradition d’autonomie des villes hanséatiques comme Brême ou Hambourg, ni de cités-Etats comme Bâle ou tant de villes italiennes. Un statut administratif spécial est-il possible en France pour cette sorte de villes ? Cela éviterait qu’elle ne dévorent les territoires voisins.

    N. B. : le parler flamand de Bruxelles-Marolles a permis à Hergé de forger la devise d’Ottokar : eih bennek, eih blavek.

  • Je vais sur les sites de presse locale. En Charente (16), l’action du sénateur Boutant est largement soutenue.

    L’argumentation est souvent très caricaturale sur les commentaires aux articles. On fait mention que l’on a un fils qui fait ses études à Bordeaux.

    On parle obsessionnellement de la grande Aquitaine d’Aliénor (qui était poitevine au passage, ce qui la fout mal quand les Charentais usent de cet argument pour rejeter le Poitou).

    Certaines personnes utilisent des arguments un peu nouilles : sur les cartes météo, les Charentes sont dans le SO. Angoulême est dite "balcon du Sud-Ouest". Un intervenant, sans rire, après l’éloge de la lumière d’Angoulême, dit que l’on y voit les Pyrénées.

    Il y a les économistes. Le Cognac et le Bordeaux, main dans la main. Surtout dans les bourses de la CCI de Bordeaux mais soit. Les géographes qui expliquent que la constitution d’une grande façade atlantique sera un plus. Mouais, si ce sont des retraités qui viennent s’installer, merci le dynamisme ...

    Jamais l’on ne parle évidemment des compétences des régions. On leur dit que bon, pourquoi pas les Charentes en Aquitaine, mais on pourrait tout de même penser à réunifier le bassin de la Garonne en préalable : que nenni ! Vous partagez plus avec nous qu’avec Toulouse, Toulouse ne veut pas de vous, Toulouse c’est le vrai Sud, Toulouse veut bouffer Bordeaux, vous êtes de mauvais Aquitains si vous jouez le jeu de Toulouse, nous on veut aider Bordeaux.

    On leur dit que culturellement, ce sont quand même des gens de l’Ouest : absolument pas ! Ils parlent l’oc ! Ils en sont persuadés. Ce ne sont pas de fins connaisseurs du domaine limousin qui connaissent la Charente limousine, non, non, on parle l’oc à La Rochelle, et ça s’arrête au Poitou, sur le seuil du même nom. D’ailleurs, c’est aussi là que la lumière change, on entre dans le Sud-Ouest, c’est le bassin aquitain !

    Ils nous l’assurent, ils aiment les Pyrénées, les Landes, les châteaux de la Dordogne, ils sentent que c’est chez eux, ils veulent nous rejoindre. Et pourtant, il faut leur dire que non.

  • Bordeaux n’a pas dans son histoire récente une tradition d’autonomie mais la CUB depuis sa constitution est une ébauche de prise en main par l’agglo bordelaise de ses problématiques, fatalement distinctes de celles de son département d’origine.

    En tout état de cause, la sociologie de la ville fait qu’elle est absolument mûre pour s’affirmer comme une collectivité distincte.

  • Je me suis rendu compte qu’en fait, l’architecture rurale du Poitou ne se différenciait pas terriblement de celle des Charentes : il y a une architecture de la façade atlantique du Médoc à la Vendée (petites maisons basses, longères, ...). Ce que nous savons clairement, c’est que pareil type de maison s’est substitué récemment en Médoc, contrée acculturée.

    Et puis il y a l’architecture classique urbaine. Elle s’est étendue, depuis Bordeaux, jusqu’aux Charentes. La pierre est différente (blonde pour le Bordelais, blanche pour la Saintonge).

    C’est clairement là un fait marquant de l’influence bordelaise. L’architecture urbaine en Poitou, tout en restant majoritairement classique, et "méridionale" (tuiles canal, ...) fait état d’influences de la Touraine et des pays du centre de la France (toitures hautes, ...). Une visite de Poitiers est éclairante à ce propos.

    Enfin, il y a l’architecture romane des églises : le foyer de diffusion de ce style sont le Poitou et la Saintonge. Le style est connu en Périgord et Bordelais sous des formes de moindre qualité, c’est une marque éclairante en tout cas des divisions épiscopales. Le style vieux à clocher-mur simple reste prédominant néanmoins, aussi bien en Périgord qu’en Bordelais.

  • L’irrédentisme charentais est insupportable :

    http://www.sudouest.fr/2014/07/16/une-region-bancale-le-ps-entend-la-voix-de-la-charente-1616058-882.php

    Les arguments sont d’une nullité profonde. On fait du vin dans les Charentes, comme dans le Bordelais en gros.

  • Pour entendre un texte en poitevin-saintongeais un peu plus "acache", écoutez un de mes textes (vidéo en ligne). Pour cela allez sur ce site :
    http://p126.phpnet.org/aurendezvousdeslangues/
    C’est l’expo "Au rendez-vous des langues de CAP sciences à Bordeaux"
    Pour trouvez mes vidéos, ouvrez d’abord la porte d’entrée de l’expo virtuelle, puis montez l’escalier et cliquez sur la porte. ensuite cliquez sur le petit garçon avec un béret. Vous tombez alors sur "L’Aquitaine et ses langues aujourd’hui". Vous cliquez sur le livre ouvert, puis vous cliquez sur "la production littéraire", puis à droite vous cliquez sur l’icone "flèche" où est indiqué "I tesserai la tèle de tés mots"... Vous verrez ma tête, et m’entendrez... lire dans ma langue -poitevin du sud-ouest Vienne et nord-ouest Charente- (traduction en français en sous titrage). Eric NOWAK

  • Dans l’article de Sud-Ouest donné en lien par Vincent P. :

    "On a pu également prouver qu’à la sortie de la Guerre de Cent ans, la moitié de la population bordelaise était d’origine saintongeaise ou charentaise."

    Qu’es acò ?
    Comment a-t-on pu le prouver ? A ma connaissance, jusqu’à la sortie de la guerre de cent ans, Bordeaux était une ville indépendante du royaume de France, et qui "parlait gascon à tous les étages". Il y avait sans doute eu un courant permanent d’immigration venant de Saintonge et Angoumois, mais de là à dire qu’elle constituait "la moitié" !
    De plus, la période de la guerre de cent ans a pu aussi être le moment d’un changement de la population de Saintonge et Angoumois ; le passage de parlers d’oc à parlers d’oïl reste mystérieux.
    Les immigrants saintongeais ou angoumois à Bordeaux étaient peut-être "d’oc"...
    Donc, tout ça est très compliqué, les historiens ont du pain sur la planche ; ils devraient se nourrir aussi d’éléments lingüistiques (étude des parlers poitevins-saintongeais, de la toponymie, des noms de famille), de tests ADN sur des membres de familles à implantation ancienne, tant en Bordelais qu’en Saintonge-Angoumois, pour voir si le cousinage est massif...

  • Les indications comme quoi la population angoumoisino-saintongeaise constituait la moitié des habitants du Bordelais provient des articles du 19ème siècle sur la Petite Gavacherie qui estimaient l’apport gavache dans le repeuplement du Bordelais après la guerre de Cent Ans.

    J’entends remettre en contexte ces faits.

     Tout d’abord, le phénomène des migrations des pays plus pauvres à la démographie galopante vers les régions riches est très ancien, notamment dans le Sud-Ouest. Les migrations des gens du Limousin et d’Auvergne en Périgord, Agenais et Quercy sont ainsi notablement attestées, et semblent même massives en certains endroits.

    Il en va de même des migrations des gens de l’espace contenu entre Loire et Gironde, vers les rives de la Dordogne, attirés par les travaux agricoles et la richesse des terres. A l’intérieur de cet espace, la migration de ceux qui deviendront les Vendéens modernes vers le Sud est également un fait constant, voire de plus au Nord (c’est le récit d’Élie Vinet de Barbezieux qui explique que son grand-père venait de près de Nantes et était venu relever une ferme à l’abandon en Saintonge).

     Il convient de séparer le Bordelais du Bazadais dans l’analyse du phénomène migratoire gavache.

    Le Bazadais d’entre Dordogne et Garonne, autour de Monségur, a connu une expérience notable de colonisation agricole à partir du XVème siècle : c’est la Petite Gavacherie.

    Néanmoins, dans la mesure où Monségur était restée une ville de langue gasconne, dans la mesure aussi où la micro-toponymie de la Petite Gavacherie est avant toute chose mêlée, il est loisible de penser qu’il y a plutôt eu cohabitation de deux communautés linguistiques.

    Le Bordelais de l’Entre-deux-Mers a connu des épisodes de migrations gavaches, encouragés par l’abbaye de la Sauve-Majeure. Il n’en restait pas grand chose à l’époque récente, des patronymes, des lieux-dits mais il semble clair que l’élément gascon était resté dominant, de telle sorte qu’il a absorbé les migrants, comme cela se fait à toute époque, en tout lieu.

    Le Bordelais des frontières avec la Saintonge relève probablement d’un autre phénomène, celui d’une avancée de populations frontalières par alliances matrimoniales.

    En tout état de cause, des toponymes du Nord-Gironde comme Porchères, Chamadelle ou Coutras montrent clairement que le Bordelais antique s’étendait en ses marges sur des terres qui à date très précoce, sans que l’on sache si l’on parlait un dialecte limousin ou d’oïl, palatisaient le groupe ca- initial ou supprimaient le s implosif, des traits notablement nordiques.

    La région de Saint-Ciers-sur-Gironde, autour du marais, appelée Vitrezay, semble, en fonction des cartes anciennes, avoir pu relever de la Saintonge proprement dite. En tout état de cause, le nombre important d’hagiotoponymes laisse penser que la région a été mise en valeur tardivement, et l’absence totale de toponymes gascons fossilisés laisse penser que ce fut par des populations saintongeaises.

    Il en va différemment du Blayais qui pour moi est très énigmatique, aussi bien par son parler gabay qui ne palatisait pas, que par sa microtoponymie gasconne très typée (il y a même des cas de h gascon !). Une vraie étude sur cette contrée se doit d’être menée.

     Pour ce qui est de l’estimation en elle-même, elle ne repose sur aucune étude sérieuse. Il est absolument douteux que des pays comme le Buch, les Graves, la lande bordelaise, la lande bazadaise aient connu des phénomènes massifs migratoires.

    Les rives de la Dordogne, où le gascon est chez lui, sont en revanche assez clairement un lieu de métissage. De même l’Entre-deux-Mers, mais ce métissage, à mon sens, ne se distingue pas de celui de l’Agenais ou du Quercy : j’insiste, c’est ce vaste phénomène des migrations du Massif Central et du Poitou vers les terres riches du Sud-Ouest (à ce propos, je pense intimement que certaines caractéristiques phonétiques du guyennais de l’Agenais ont été induites par ces migrations, tout comme le gascon a été abâtardi dans ses caractéristiques les plus notables en Entre-deux-Mers).

    La Bordeaux post-médiévale ne laisse pas paraître un apport saintongeais important autant que je sache, il est même assez inexistant, Bordeaux étant avant tout la destination des migrants du bassin de la Garonne (jusqu’au Rouergue). En tout cas, Bordeaux est restée gasconnante dans son bas peuple jusqu’il y a au moins un siècle, (et d’ailleurs raciste à l’endroit des population d’oïl) tandis que son élite, certes, était plus cosmopolite. Cela va changer au 19ème siècle.

    Pour ce qui est du Médoc, pas d’études, la toponymie ne montre que peu d’influences saintongeaises ou poitevines, mais l’exemple d’un Pey Berland, au patronyme ambigu concentré dans l’Ouest de la France peut laisser supposer que les migrations avaient lieu (mais il peut s’agir aussi d’un patronyme local : après tout, le patronyme le plus commun en Bordelais est ... Bernard).

    Nous disposons d’une étude génétique très imparfaite sur l’ADN mitochondrial de Médoquins de l’époque mérovingienne :

    http://secherbernard.blog.free.fr/index.php?post/2013/09/23/Tests-d-ADN-ancien-sur-les-restes-humains-d-une-n%C3%A9cropole-m%C3%A9rovingienne-de-Gironde

     Le 19ème siècle a tout changé, notamment via les moyens de transport. C’est l’époque des grandes migrations corréziennes sur la vallée de la Dordogne jusqu’en Médoc, c’est l’afflux des populations saintongeaises à Bordeaux (mais dans un contexte de grandes migrations : c’est aussi l’époque où un tiers de la ville est espagnole).

    C’est le siècle du melting-pot interrégional : la Gironde a vraiment été le "déversoir" du surplus démographique de nombreuses autres régions. Le Buch par exemple a connu d’importantes migrations landaises. L’Entre-deux-Mers et le Nord-Gironde des migrations périgourdines assez notables (l’étude des patronymes est édifiante).

    Il faut ajouter bien évidemment les désastres de 14-18 et l’apport des migrations italiennes.

    Il n’y a que le Bazadais autour de Bazas qui somme toute a conservé un vieux fonds ethnique, non-soumis à la révolution industrielle. Ce qui explique d’ailleurs sa meilleure conservation du gascon quant dans les années 60, les enquêteurs de l’ALG viennent sur place.

    Conclusion :

    Le phénomène des migrations en Bordelais est intéressant, fascinant, parce qu’il en est resté quelque chose avec la Petit Gavacherie (qui n’existe plus d’ailleurs : au passage, toutes les personnes qui en étaient originaires et que j’ai connues avaient l’accent du SO ! De l’existence d’un français régional non-réductible au seul substrat d’oc ...) mais il faut le mettre en balance avec un phénomène plus vaste qui a touché toutes les régions riches.

    Toute évaluation de ce phénomène est impossible en l’absence d’études correctes sur la question, qui n’ont pas été menées depuis le 19ème siècle et les articles des érudits. Cette étude réclamerait de solides connaissances, linguistiques, historiques, génétiques même.

  • Toujours très intéressant et très juste ce que dit notre ami Vincent.P.
    Quelques précisions ; au sujet de la gavacherie, la présence de l’accent d’oc est normale : ils ont appris le français... du bordelais avec son accent. C’est pareil dans les portions gabayes du centre et sud Blayais : centre du canton de Blaye, nord du canton de Bourg : le gabaye a disparu et les gens parlent français avec un accent du sud. On m’a dit la même chose pour le sud du nord libournais : le gabaye a disparu et les gens parlent français avec un accent du sud. Mais attention, le gavache n’a pas disparu de l’enclave de Monségur depuis si longtemps qu’on le dit !!! Alors qu’on le disait déjà disparu, Jacques Boisgontiers a fait des enquêtes dans les années 1990 dans la gavacherie de Monségur où il l’a encore rencontrée. Bien, rencontré : contre toute attente. Des éléments seront j’espère publiés bientôt.

    Au sujet du recul occitan dans le sud du pays gabaye du Nord Gironde, recul récent, je viens de publier dans les Cahiers du Vitrezay une étude sur l’oc de Saint-Laurent-d’arce où je fait ressortir ce que disait De Tourtoulon et Bringuier. Plus que des alliances matrimoniales (mais il en cite une et ses conséquences) il voit l’arrivée de travailleurs agricoles d’oïl : de pauvres gens qui , ouvriers "immigrés", finissent par être majoritaires sur les bordures d’oc du sud Blayais et du centre Cubzagais... Au nord du Pays Gabaye (Saint-Ciers-sur-Gironde et alentours... ) le poitevin-saintongeais est implanté depuis longtemps comme le dit Vincent, et il est toujours là bien parlé... dommage que je ne puisse pas poster un enregistrement de 2010... Entre sud et nord Blayais on a une zone où le gabaye est là depuis moins longtemps qu’au nord, toponymie gasconne bien présente, mais où il est implanté depuis bien longtemps avant les migrations ouvrières agricoles constatées en sud Blayais et Cubzaguais au 19èùme.. là le gabay semble avoir disparu...

    Enfin pour ce qui est des migrations saintongeaises ou poitevines-saintongeaises... A Bordeaux la moitié de population serait saintongeaise au sortir de la guerre de cent ans ? Et ce serai prouvé ?... pure bêtise comme vous vous en doutez. Et dans le reste du domaine ? le mieux serait de dire qu’on n’en sait trop rien et qu’on ne sait pas si le changement de langue lui est lié. On a même des lieux ou c’est prouvé que le changement de langue n’est pas lié à un flux migratoire (exemple en sud Vienne au 13 ème siècle car le sud Poitou a aussi connu ce changement linguistique...Saint-Amant-de-Boixe au 19ème... Saint-Eutrope au 19ème... ) Une autre fois je posterai ce que j’écrivais à ce sujet en 2010 dans mon bouquin "Histoire et géographie des parlers poitevins et saintongeais"...

  • ANNEXE n°4 :
    La désoccitanisation de l’entre Loire et Gironde

    Nous avons déjà vu, au chapitre n°2, que dès 1844, à une époque où nombre d’autres auteurs se perdaient en conjectures, J.H. Michon, dans sa Statistique monumentale de la Charente, citait la charte de 1260 du mas de Verlène de Saint-Médard près Barbezieux (ouest de la Charente, actuellement en zone saintongeaise), rédigée en occitan, comme un indice du passé occitan de la Charente.
    Ceci fut remis en cause par Anatole Boucherie en 1873 dans Le dialecte poitevin au XIIIème siècle (paru auparavant en 1871-1872 dans le Bulletin de la Société Archéologique de La Charente) de la manière suivante : « Je ne m’explique cette anomalie qu’en supposant que le scribe qui a rédigé cette pièce était un Marchois ou un Limousin.  »
    En 1940, dans Les noms de lieux en Charente et les anciennes limites de la langue d’oc (paru dans Bulletins et Mémoires de la Société Archéologique de la Charente) Henri Mallet remarque que la limite nord des toponymes en –ac (Jonzac, Jarnac, Cognac…) passe par une ligne La Tremblade-Matha. Il en tire les conclusions suivantes : « Ainsi donc, dans une bande de territoire de 70 km environ de hauteur et de 100 km environ d’ouest en est, entre les deux frontières que nous venons de définir [limite nord des toponymes en –ac au nord, limite nord des parlers occitans au sud], se trouve cette anomalie que les habitants ont pour langage un français très pur ou un patois qui se rattache à la langue d’oïl. Leurs caractères ethniques les apparentent de très près aux populations du Poitou, tandis que les bourgs et les principaux villages de la contrée où ils résident ont reçu et continuent à porter des noms qui relèvent sans conteste de la langue d’oc. Il faut conclure assurément que les habitants de la région charentaise, à l’époque lointaine où les noms de lieux se sont fixés par l’écriture, n’avaient pas même langage (ni sans doute même caractères ethniques) que leurs successeurs d’aujourd’hui, qu’ils étaient à ce moment de langue d’oc et se rattachaient, non à l’ethnographie poitevine, mais à leurs voisins du sud : les gascons. »

    Mais ce faisant, Henri Mallet, s’il a le mérite de mettre en évidence le passé occitan du sud et du centre des Charentes, fait tout de même plusieurs bévues.
    D’abord l’affirmation d’Henri Mallet selon laquelle la zone des toponymes en -ac concerne uniquement le sud et le centre des Charentes jusqu’à une ligne passant par La Tremblade-Matha puis se confondant « avec la ligne qui séparait l’ancien diocèse de Poitiers de ceux d’Angoulême et de Limoges » est erronée puisque Jacques Pignon, en 1960, dans sa thèse L’évolution phonétique des parlers du Poitou, montre que ces toponymes en -ac se retrouvent également dans le sud-est du Poitou, jusqu’en Mellois, Civraisien, Montmorillonnais, régions de Poitiers et de Chauvigny ; et dans la portion poitevine de la Charente-Maritime (région d’Aulnay)1. On les retrouve également en Charente poitevine (Ruffecois : comme Henri Mallet l’avait signalé croyant voir là une exception), comme dans l’est du Niortais2. Cette aire poitevine est en continuité avec l’aire saintongeaise qu’elle prolonge au nord-est. On peut donc penser que l’ancienne zone occitane couvrait non seulement le sud et le centre des deux Charentes, mais également le sud-est du Poitou3. Jacques Pignon, suppose, avec arguments à l’appui (maintien de traits occitans archaïques dans les parlers du sud-est poitevin et de la majeure partie des Charente), que cette zone occitane ancienne, dépassant d’ailleurs légèrement la zone en -ac, devait en gros concerner tout le territoire au sud d’une ligne passant par Rochefort, est de Niort, Poitiers, et nord de Chauvigny. Son recul aurait selon lui commencé au XIIème siècle pour se poursuivre au cours des siècles suivants et même jusqu’au XXème comme on a pu le constater dans certains petits secteurs périphériques.
    Notons en outre qu’on a également mis en évidence l’existence de toponymes en -ac dans le sud du département de la Vendée4 (bas Poitou), ce qui laisserait supposer que l’extension de l’ancienne zone occitane ne se limiterait peut-être pas uniquement au sud-est du Poitou, mais aurait pu aussi concerner sa partie sud-ouest (sud Vendée)… C’est d’ailleurs ce qu’affirme le linguiste vendéen Pierre Gauthier (professeur honoraire de l’Université de Nantes) lorsqu’il dit à propos de l’occitan qu’il « occupait à l’origine des positions beaucoup plus septentrionales en Poitou, sur une ligne Poitiers, Niort, Fontenay-le-Comte.  » 4bis
    En 1966, dans sa thèse sur les parlers du Centre-Ouest de la Vendée, François de la Chaussée va encore plus loin lorsqu’il écrit : « On constate ainsi que, en gros, un tiers des mots de ce vocabulaire [celui du centre-ouest de la Vendée] se retrouve dans la partie méridionale de la France, en pays occitan. […]. Il faut se garder de tirer trop de conclusions d’un examen du vocabulaire, car le vocabulaire se prête à tous les emprunts. Il n’en va pas de même de la morphologie ; on peut donc, sans trop de risque, en s’appuyant surtout sur les restes occitans dans les flexions, et en en rapprochant les concordances lexicales avec le Midi, avancer l’hypothèse qu’un substrat d’oc, remontant à la grande Aquitaine, a été recouvert par un parler d’oïl dans le centre-ouest de la Vendée. »5
    Pierre Bonnaud, dans son article A propos d’une thèse de dialectologie : Les problèmes de peuplement du centre de la France (paru dans la revue Norois, n°61, Janvier Février 1969) nous schématise la zone de recul de l’occitan entre Loire et Gironde, en le replaçant dans le cadre général du recul de l’occitan dans la Fance médiane.
    Dans la citation donnée tout en haut de cette annexe, l’affirmation d’Henri Mallet selon laquelle les saintongeais d’autrefois se rattachaient à l’ethnographie occitane gasconne est là encore erronée. En effet (cf. là encore les travaux de Jacques Pignon) c’est (sauf exceptions dans l’extrême sud : Monségur et peut-être sud Blayais, nord Bourgeais…) à l’ethnographie occitane limousine qu’ils se rattachaient, comme leurs voisins du sud-est poitevin, et comme le prouve le substrat occitan tant en poitevin qu’en saintongeais, substrat occitan qui est nord occitan (de type limousin-auvergnat) et non occitan gascon. Ce que Pierre Bonnaud nous confirme dans l’article précédemment cité (paru dans la revue Norois en 1969) : « La thèse de Jacques Pignon montre l’étroite parenté du Limousin avec l’ancien poitevin-saintongeais ».

  • Pierre Bonnaud s’attache en outre dans le même article (Norois, 1969) à tenter de trouver une explication au fait que l’Ouest poitevin (bocage du nord des Deux-Sèvres et du Choletais, pays de Retz, bas-Poitou=Vendée) ne semblent pas avoir été occitans autrefois (sauf peut-être le sud Vendée) alors qu’ils possèdent actuellement d’assez nombreux traits occitans (mais moins nombreux que ceux du Sud-Est poitevin). C’est ce que montre la carte ci-dessus reproduite issue de l’article de Pierre Bonnaud en question, où l’on voit que c’est le Poitou tout entier, et non simplement sa partie sud orientale, qui est situé au dessous de la « ligne Von Wartburg » (Von Wartburg : Les origines des peuples romans, 1941) censée représentée la limite ancienne de la zone d’oc. En résumé, selon Pierre Bonnaud, Est Poitou et Saintonge étaient autrefois d’oc, alors qu’à la même époque l’Ouest poitevin (bocage du nord des Deux-Sèvres et du Choletais, pays de Retz, bas-Poitou=Vendée) aurait été encore de langue celtique. Il se base sur l’hypothèse de Falc’hun (François Falch’ un, Histoire de la langue bretonne d’après la géographie linguistique, 1951 et 1963) sur le maintient du gaulois dans les zones reculées (dont la Bretagne où l’élément breton venu d’outre-atlantique n’aurait pas supplanté des parlers issus du latin mais se serait immiscé en terre encore celtisante) pour dire que l’Ouest poitevin (sud du massif armoricain en prolongement donc de la Bretagne celtisante) aurait pu lui aussi maintenir longtemps une langue celtique « gauloise ». La romanisation de l’Est poitevin et de la Saintonge se serait faite en oc, alors que celle de l’Ouest poitevin se serait faite à une époque plus tardive (après disparition tardive de la langue celtique s’attardant longtemps en ce secteur) et aurait subit de plein fouet l’influence grandissante de l’oïl : « […] à la lumière des idées de Falc’hun sur la persistance du Gaulois, dans les régions les plus isolées, jusqu’au IXème siècle, il nous semble qu’on pourrait admettre que le Sud du Massif armoricain a été dans ce cas, et que la romanisation n’y triompha qu’à l’époque où, au Nord (poussée politique des Contes Angevins précédant celle des Plantagenêts, action de défricheurs et d’abbayes), et à l’Ouest (développements de la vie maritime et des échanges, influence de Nantes, de la Rochelle [Jacques Pignon – dans Mélanges de linguistique offerts à A.Dauzat, 1951- parle de poche française très précoce à son sujet], le français dialectal de l’Ouest était en expension.  » Quand aux traits occitans de l’Ouest poitevin, ils pourraient venir du fait qu’avant cette romanisation influencée par l’Oïl, « les populations vendéennes pouvaient déjà être bilingue, des noyaux plus ou moins occitanisés pouvaient y exister »…
    Jacques Pignon pensait lui que le caractère moins occitan des parlers de l’ouest poitevin par rapport à ceux du sud-est pouvait être du à une différence ancienne de peuplement entre ces deux parties du Poitou… « En définitive, l’hypothèse qui paraît s’imposer est celle de l’existence très ancienne d’un peuplement différent au nord et au sud du Poitou. Des habitudes articulatoires divergentes, héritées d’un passé lointain, expliqueraient l’opposition ultérieure oc-oïl. Le fait que la ligne de partage ne passait point par la limite sud de la civitas (qui est aussi celle du diocèse), mais séparait le Sud-est, à l’intérieur de cette cité, du Nord et de l’Ouest, montre le caractère ancien de cette division. Les évolutions [suit une liste d’évolutions phonétiques propres aux parlers du Nord et de l’Ouest du Poitou] ne sont pas dues à des influences septentrionales, mais à l’existence de tendances profondes communes aux populations d’outre-Loire et à celles du nord et de l’ouest du Poitou. Ces populations ont parlé le latin imposé par la conquête romaine avec leurs habitudes articulatoires, qui n’étaient pas celles des groupes plus méridionaux. Toutefois, la longue appartenance à l’Aquitaine des populations de caractère septentrional qui étaient situées au sud de la Loire a fait que, jusqu’à ce fleuve, ont pu s’étendre et se conserver longtemps des types grammaticaux et lexicaux qui sont propres au gallo-roman du Midi. […] Il semble qu’on soit en droit de proposer cette hypothèse : le peuplement du plateau du Mellois et des brandes du sud et de l’est de l’actuel département de la Vienne, aux abords du Massif Central, a été très anciennement différent de celui du reste du Poitou.
     » Or justement une hypothèse à peu près semblable se fait jour actuellement dans les ouvrages traitant de la préhistoire du Poitou. Dans l’ouvrage de J. Combes et al., (Histoire du Poitou et des Pays Charentais, 2001), José de Soto’ouest du Poitou n’aurait été donné aux Pictons qu’après la conquête romaine, et ne leur aurait pas appartenu auparavant, occupé qu’il était par un autre peuple : les Ambilâtres…. C’est ce que remarque là encore Pierre Bonnaud , qui, dans l’analyse qu’il fait (publiée dans : Groupe de Souvigny, Regards sur le Centre-Ouest, numéro spécial de Medioromanie : Etudes sur la France médiane, n°5, 2006) de l’ouvrage de J. Combes et al., (Histoire du Poitou et des Pays Charentais, 2001) écrit : « José Gomez de Soto considère, à l’encontre de ce qu’on tenait pour acquis jusqu’à présent, que le territoire de la Vendée et du NO des Deux-Sèvres […] ne faisait pas partie de la cité des Pictons mais était le lot des “Ambilâtres”. » Hypothèse que Pierre bonnaud critique aussitôt, en montrant l’imprécision qui régne autour des Ambilâtres (on ne sait rien de précis quand à leur localisation exacte, ni même s’ils étaient présents en Poitou…), puis en précisant en outre « Mais tout le contexte historique connu de la Gaule pré-romaine me paraît inciter à se demander si ce peuple quelque peu fantomatique ne serait pas en réalité une dénomination transmise par les Gaulois d’une concentration de population littorale autochtone soumise mais laissée quelque peu autonome. […] (v. les doutes sur la celtitude des Vénètes, auxquels Kruta voit les Ambiliati [Ambilâtres] alliés contre César, tandis que plusieurs peuples gaulois, dont les Pictons, soutenaient la campagne de celui-ci). »

  • Mais une autre question restait en suspend : Quel phénomène a pu entraîner la substitution linguistique d’Oc en Oïl entre Loire et Gironde ?
    Henri Mallet, là encore en 1940 dans Les noms de lieux en Charente et les anciennes limites de la langue d’oc, écrit : « C’est donc au XIVème ou au XVème siècle qu’il faut placer l’évolution si remarquable du caractère du langage dans le bassin charentais. Un tel changement ne peut s’être produit qu’à la suite d’évènements importants et dont l’histoire doit avoir gardé trace. Quel est donc le bouleversement qui s’est produit dans nos régions entre 1300 et 1500 ? La réponse est immédiate : c’est la guerre de Cent ans. […] il convient de repeupler le pays, de le remettre en cultures, de le défricher à nouveau […]. D’où viennent ces nouveaux habitants ? D’un peu partout certes, du Limousin, du Périgord, mais aussi, en très grande proportion, du Poitou et surtout du bas Poitou. Dès ce temps, un courant régulier, qui s’est prolongé jusqu’à nos jours, amène les Vendéens de Pouzauges, de Luçon, de Fontenay vers les contrées de la Charente.  »
    Jacques Pignon critique cette hypothèse, en 1960, là encore dans sa thèse L’évolution phonétique des parlers du Poitou, où il écrit : « Comme le rappelle Millardet (Linguistique et dialectologie romanes p. 127), on a pu penser qu’en Saintonge “une ancienne population de langue méridionale a été remplacée par un peuplement venu du domaine linguistique d’oïl et les membres de ce peuplement ont adopté les noms de lieux habités qu’ils trouvaient dans le pays.” H. Malet (Bull. de la soc. Arch. Et hist. De la Charente, année 1940, p. 146-152) estime qu’après la guerre de cent ans de nombreux poitevins (venant surtout du Bas-Poitou (Vendée actuelle) se seraient installés en Angoumois et en Saintonge, provinces qui avaient été dévastées et dépeuplées. Ces considérations sont “de fantaisie et sans valeur” écrit F. Lot (Rom. T. 70 (1948), p. 22, n.1). Aucun document en effet n’atteste un pareil mouvement collectif à cette époque. Rien ne permet de supposer qu’à la fin du moyen âge les “Vendéens” allaient en grand nombre s’établir en Saintonge, comme ils le font effectivement depuis la fin du XIXème siècle. De toute manière, les faits que nous avons étudiés au sud-est du Poitou ne sauraient s’expliquer par une substitution de population ou par une invasion massive de gens venus du nord ou de l’ouest de la province dans une zone qui a toujours été plus pauvre. Comme nous l’avons vu, c’est le cheminement plus ou moins rapide, - dépendant de facteurs politiques et économiques –, des parlers poitevins septentrionaux et du français qui a déterminé, depuis la fin du XIIème siècle, dans la partie méridionale de notre domaine [sud-est du Poitou], la disparition de l’a occitan. »
    Dès 1926 André-Louis Terracher, dans son article La rencontre des langues entre Loire et Dordogne (paru dans dans : Le Centre-Ouest de la France, encyclopédie régionale illustrée) présentait cela en écrivant, au sujet de la substitution de l’oc par l’oïl dans les Charentes : « L’hypothèse d’un changement total de population dans plus de la moitié d’un département, et dans une région très anciennement peuplée, ne s’appuie, à ma connaissance, sur aucun document historique […]. L’hypothèse d’une substitution linguistique paraît a priori préférable, les changements de langue étant chose courante. » Et il en précisait le déroulement : « les voies de pénétration et de propagation qu’ont suivies dans le Centre-Ouest les langues non locales paraissent avoir été diversement orientées : d’ouest en est en Aunis, Saintonge et Angoumois, du nord au sud en Poitou, - ce qui est la direction même des vallées et des routes. C’est en Aunis, dans la région maritime et commerçante de l’estuaire de la Charente, que l’influence du français s’affirme d’abord, dès les premières chartes médiévales ; c’est en remontant la vallée de la Charente ou en suivant les routes transversales de l’Angoumois que la langue d’oïl refoule la langue d’oc, plus vite et avec une direction plus nette que sur les plateaux du sud de la Charente. Au contraire, le Marais et le Bocage vendéens restent beaucoup plus réfractaires aux influences septentrionales qui pourraient venir de Nantes que ne le sont le nord des Deux-Sèvres et de la Vienne, où les anciennes routes longitudinales d’Angers à Poitiers et de Tours à Poitiers, ainsi que les vallées de la Vienne et de ses affluents, ont largement ouvert le seuil du Poitou à l’invasion des parlers du nord de la Loire : c’est par là que se continue à l’époque moderne l’assimilation linguistique que les rapports historiques du Poitou et de la couronne de France avaient très anciennement réalisée dans les documents émanés de la chancellerie des comtes de Poitiers.  »
    Pour ce qui est du recul occitan moderne (fin XIXème, XXème) on a déjà pu remarquer, à la suite des travaux d’André-Louis Terracher, que le recul occitan de la fin du XIXème et du début du XXème siècle en Charente, dans la protubérance occitane limousine de Saint-Amant-de-Boixe, ne se fait pas par changement de population. J’ai déjà signalé (chapitre n° 2) que, la population autochtone restant sur place, on passe d’une génération à l’autre de l’occitan limousin au saintongeais ou au poitevin, par un phénomène de substitution linguistique motivé par la plus grande proximité linguistique du saintongeais et du poitevin par rapport au français. Un phénomène analogue à celui observé au XXème siècle dans le sud-est du Poitou, dans les communes de Coulonges (limite Vienne/Haute-Vienne/Indre) ou de Pleuville (limite Vienne/Charente), comme je l’ai là aussi signalé (chapitre n° 6).
    Le phénomène de substitution linguistique sans changement de population est donc bel et bien une réalité observable aux XIXème et XXème siècles, et ce tant en domaine poitevin qu’en domaine saintongeais…
    Même pour l’enclave saintongeaise de Monségur (déjà évoqué au chapitre n°1), à cheval sur la Gironde et le Lot-et-Garonne (dont le changement linguistique d’oc en oïl serait selon certains auteurs du à une migration saintongeaise et poitevine datant du XVe siècle ou du XVIe siècle) les choses ne sont pas claires car les documents montrent plutôt une infiltration progressive commencée très tôt (dès le XIIIe siècle ou même avant) et provenant de multiples régions.
    Alors quel est le mécanisme qui a présidé à la désoccitanisation de la Saintonge et du pays gabaye ? Simple substitution linguistique ou changement de population ? Les deux ont-ils joué ? A des époques et/ou dans des lieux différents ? Ou conjointement ?
    François Julien-Labruyère, en 2007, dans l’encyclopédie régionale Haute Saintonge (p. 151), fait l’analyse suivante : « On a longtemps cru que la Haute-Saintonge [Saintonge méridionale] avait linguistiquement basculé au moment de la reconquête qui suit la guerre de Cent Ans. […] Les choses ne sont pas aussi simples : même si l’ancrage du haut-saintongeais dans la langue d’oïl s’est confirmé à cette époque, […] il est clair que ce changement n’est guère dû à des transferts de population car, comme l’a montré Jean Glénisson pour Clérac, la grande majorité des preneurs de baillettes venait des environs proches, souvent même des régions d’oc ! »
    D’ailleurs Jean Glénisson, lors du 2ème colloque gabay-gavache tenu en 1987 organisé par les Archives départementales de la Gironde, après un échange entre intervenants sur le repeuplement de la Saintonge et des pays gabayes et gavaches, déclarait : « ce sont les Limousins qui ont repeuplé la Saintonge6 », donc des gens de pays d’oc…

  • Gustave Vallée pense quand à lui que cette désoccitanisation de l’entre Loire et Gironde pourrait avoir été beaucoup plus précoce, antérieure même à la reconstruction agraire de l’après guerre de cent ans : « La civilisation du Nord va remplacer dans les provinces de l’Ouest la civilisation méridionale. C’est la francisation qui s’exerce à la fois sur la langue et sur l’art. Au XIème siècle, les provinces de l’Ouest (Saintonge, Angoumois, Poitou) appartiennent à la civilisation du Midi de la France. Cette région d’Aquitaine, avec Poitiers, Angoulême, Saintes, est un centre d’art roman. Et l’art roman est né dans le centre et dans le Midi. Et la langue parlée est sinon la langue d’oc, du moins un dialecte beaucoup plus voisin par ses caractères phonétiques de “l’oc” que de “l’oïl” et apparenté de très près au limousin (noms en ac). On peut citer des troubadours provençaux des provinces de l’Ouest [c’est-à-dire des écrivains d’oc originaires d’entre Loire et Gironde] : Guillaume IX, comte de Poitiers [Vienne] (fin du XIème siècle et commencement du XIIème) ; Rigaud de Barbezieux [Charente] (fin du XIIème siècle) ; Savary de Mauléon [limite Deux-Sèvres-Vendée : fin XIIème début XIIIème], Jaufré Rudel [de Blaye en actuelle Gironde saintongeaise : XIIème siècle], Renaud de Pons [en Charente-Maritime : fin XIIème début XIIIème siècle]. Les cours d’Angoulême, de Barbezieux et de Chalais sont des foyers de poésie de langue d’Oc. Or, au XIIIème siècle, la civilisation de l’Ouest est changée et pénétrée d’éléments venus du nord. A côté de l’architecture romane s’introduit l’art ogival du Nord, à Poitiers, Bordeaux, Saintes. La langue d’Oc a disparu ou est tout au moins en train de disparaître. Le texte de Brunetto Latini (deuxième moitié du XIIIème siècle) en est une preuve. Poitou et Saintonge “font partie, dit-il, de la droite France qui va jusqu’à Bordele et au fleuve de la Gironde”. En effet, le dialecte du Nord qui n’atteignait pas le Poitou, forme désormais une pointe très accentuée vers le Midi jusqu’à Coutras et jusqu’à Blaye8, s’aventurant en dehors de son domaine propre, comme l’allemand le long de la vallée de l’Adige au-delà du Brenner. En voici l’explication : Les langues et les courants de civilisation suivent les routes : routes naturelles et routes établies par les hommes. Il s’est produit à travers le seuil du Poitou une poussée de civilisation septentrionale, favorisée par la centralisation capétienne. Cette poussée, partie de l’Ile de France et rayonnant dans toutes les directions par voies naturelles a refoulé vers le Sud la langue d’oc et établi, à côté de l’architecture romane, l’art ogival. Même il est curieux de remarquer que la pointe de “l’oïl” vers Blaye suit le parcours du chemin de Saint-Jacques par Poitiers-Saint-Jean-d’Angély et en reproduit la direction générale de façon saisissante. Il y a donc lieu de présumer que c’est cette route qui a servi au Moyen-Age de voie à la diffusion vers le Sud-Ouest du langage du nord. A remarquer d’ailleurs que cette route était plus fréquentée dans le sens Nord-Sud, de Paris vers Compostelle, que dans le sens opposé. Ce changement de civilisation qui s’est exercé le long de cette route est-il dû seulement à une poussée linguistique et artistique ? Où est-il dû en partie à une poussée ethnique ? Y a-t-il eu déplacement des gens du Nord vers le midi ?9 »


    1. Quelques exemples : Montmorillonnais (Cognac, Lussac, Persac, Moussac, Nérignac, Torsac...), Région de Chauvigny (Boussac, Dizac, Flassac…), Région de Poitiers (Poizac, Pouzac…), Civraisien (Azac, Blanzac, Bonnezac,, Lizac, Azac, Loubersac, Moussac, Passac, Pouillac, Torsac, Torsillac), Mellois (Bagnac, Bessac, Moissac, Panessac, Périssac, Pillac, Sallignac). Jacques Duguet me fait remarquer que deux des toponymes en –ac signalés par Pignon (Le Tillac en Montmorillonnais, Le Breuillac en Civraisien et en Mellois) sont peut-être d’une tout autre origine. Le Breuillac pouvant être à l’origine Le Breuillat (le petit breuil) avec addition d’un c final, de même que Le Tillac pouvait être à l’origine Le Tillat (le petit tilleul).
    2. Ruffecois (Condac, Bernac, Bioussac Poursac, Aunac…), Niortais (Bessac).
    3. Ceci implique une partition linguistique ancienne du Poitou, qui a laissé des traces dans les parlers actuels, avec une triple conséquence (si on fait abstraction de la superposition de limites sommes toutes récentes, dues à des diphtongaisons secondaires) : 1/ une certaine différenciation des parlers du sud-est du Poitou (sud Deux-Sèvres et sud-Vienne) par rapport au Poitou occidental (Vendée) ou septentrional (nord Deux-Sèvres et nord Vienne), 2/ une proximité linguistique particulière des parlers saintongeais avec les parlers poitevins du sud Deux-Sèvres et du sud Vienne (passé occitan commun oblige), 3/ une proximité linguistique particulière des parlers aunisiens (nord-ouest de la Charente-Maritime) avec ceux du Poitou occidental (Vendée).
    4. En sud Vendée : Le grand Bouillac, Le petit Bouillac, Brillac, Brissac, Pouzac, Le grand Pouzac, Le petit Pouzac ; (d’après : Pierre Gauthier, Guy Perraudeau, Langue et littérature : La langue régionale : D’où vient le poitevin-saintongeais ?, dans : Vendée, Encyclopédie Bonneton, 2003.)
    4 bis. Dans l’étude qu’il signe en 2002 en introduction dà son édition du Rolea (recueil de textes anonymes en poitevin du XVIIème siècle).
    5. De la Chaussée François, Les parlers du Centre-Ouest de la Vendée, 1966. [Thèse]. Cité dans : Collectif (Atelier régional U.P.C.P.), Le parlange à l’école, 1982.
    6. Intervention de Jean Glenisson, transcrite par Jean Cavignac (assurant le secrétaraiat) dans les actes du Colloque gabay-gavache, 2ème réunion tenue à Blaye le 22 Mars 1987, sous la conduite de Jean Valette conservateur en chef des archives de la région Aquitaine, Directeur des services d’archives de la Gironde.
    7. Gustave Vallée est un historien charentais mort à Angoulême en 1956. Né en 1887 en Poitou à Châtellerault, il a laissé plusieurs œuvres en poitevin du Châtelleraudais, qui sont d’intéressants et rares témoignages sur cette variété septentrionale de poitevin quasi inexistante dans la littérature d’expression poitevine (Bourruche : Ine histouère du Carroué ; In gars d’Thuré à la Saint-Raaqu’ ; Avé les pom-pom… Avé les pompiers… ; La compagnie du Souleille ; parus dans Le Glaneur Châtelleraudais de 1936 à 1938).
    8. Notons toutefois que la remarque de Gustave Vallée, concernant l’avancée d’oïl jusqu’à Blaye, si elle est vrai pour l’époque où il écrit – XXème siècle – comme elle l’est aussi comme nous l’avons vu pour les XIXème et XVIIIème siècles, n’est en rien prouvée pour l’époque de Brunetto Latini –XIIIème siècle – dont l’affirmation, si elle est grosso-modo vraie aujourd’hui, ne peut être prise qu’avec extrême prudence pour son époque.
    9. Gustave Vallée, Autour d’une route : de Paris à Bordeaux des origines à 1798, dans Etudes locales de la Charente, n°31, mai 1923.

  • Dans la dernière citation prendre avec des pincettes "Le texte de Brunetto Latini (deuxième moitié du XIIIème siècle) en est une preuve. Poitou et Saintonge “font partie, dit-il, de la droite France qui va jusqu’à Bordele et au fleuve de la Gironde”." Ne pas prendre au pied de la lettre évidemment, c’est une vision de loin, ça ne veut pas dire que l’auteur pensait que l’oïl allait jusqu’à Bordeaux (ni au Bordelais peut-être très très large...) inclusivement... Ca donne une indication générale...
    Cette hypothèse de Gustave Vallée de désoccitanisation très précoce me parait très séduisante. En effet si pour Saint-Amant de Boixe ou le sud du Montmorillonnais on observe une désoccitanisation au 19ème, si pour le reste du sud Vienne Pignon pense à une désocitanisation après la première partie du 12ème, il est toute une partie centrale (sud du centre et de l’ouest Poitou, nord de l’ouest Charente) où ne comprend pas qu’il y ait pu avoir une désoccitanisation au 13ème alors qu’on a des textes en poitevin-saintongeais très tôt.
    En effet si au 13ème on a des textes comme la "Chronique de turpin" et "Tote l’histoire de france" que soit dit au passage les xaintongistes attribuent à tord au "saintongeais", ou encore "les coutumes de Charroux", et qui sont des textes de langue dite "mixte" (mais provennent déjà de régions assez méridionalo-orientales des Charentes ou orientalo-méridionales du Poitou), dès le 14ème on en a montrant véritablement que le poitevin-saintongeais est constitué : "Coutumier d’Oléron" "Terrier du Grand fief d’Aunis"... et je pense qu’on en a avant (dans mon bouquin sur les prénoms j’ai trouvé des phrases datant semble-t-il de bien avant, mais ce serait à vérifier). Difficile qu’elle ai pu se constituer et s’écrire si vite notre langue poitevine-saintongeaise...
    Je continue, mais maintenanten marchand sur des œufs et quitte à dire peut-être quelques bêtises. Je crois que Terracher était d’accord avec Gustave Vallée, mais je n’ai pas retrouvé sa citation. Si j’ai bien compris je crois que c’est Terracher qui pensait que les toponymes en "ac" se seraient fixés à une époque bien antérieure à ce qu’on croit, c’est à dire à une époque d’une sorte de "proto-occitan". Et qu’à l’émergence des langues romanes, dont l’occitan sous ses différentes formes, le français et le poitevin-saintongeais... et bien notre région d’entre Loire et Gironde, dans sa partie centrale aurait déjà été d’oïl gardant une toponymie en "ac" beaucoup plus ancienne. A vérifier (déjà en retrouvant la citation en question).
    Eric NOWAK

  • Plusieurs réflexions aux propos très intéressants d’Eric Nowak :

     Je pense qu’une partie de l’école française sous-estime l’importance des migrations, aussi bien parce qu’elles sont souvent mal documentées que du fait qu’elles collent assez à des conceptions profondes de diffusion culturelle fréquentes dans l’idéologie universitaire française.

    On retrouve ces thématiques dans les débats préhistoriques (même si ces dernières années, assez clairement, on sait désormais que ce sont les migrations qui ont fait le peuplement européen), voire en histoire antique (après tout, la guerre des Gaules est causée par la volonté des Helvètes d’aller coloniser la Saintonge actuelle).

    Bref, les mouvements des Vendéens vers la Saintonge depuis le 19ème siècle (phénomène attesté que m’ont confirmé des amis saintongeais, avec même chez l’une d’elle comme un dégoût de descendre pour partie de migrants vendéens : réaction étrange qui m’a longtemps intrigué) peuvent tout à fait n’être que l’avatar moderne de vieilles migrations historiques, tout comme la migration des Limousins en Gironde par le train au fond ne faisait que reprendre les voies de communication de leurs ancêtres scieurs de long.

    Je pense, pour ma part, qu’une vraie étude sur les terriers médiévaux et autres documents est nécessaire, tout comme l’on s’est rendu compte que le phénomène gavache en Bordelais et Bazadais avait été favorisé par la Sauve et les établissements ecclésiastiques.

     Pour les toponymes en -ac, à mon sens, il faut aussi démêler ce qui relève de la tradition écrite de la tradition orale. Il faut bien avoir en tête que le suffixe -ac, maintenu à l’écrit, n’est plus prononcé -ak depuis des siècles probablement en Limousin par exemple, où il est -at, voire -a.

    Car le débat sur les toponymes en -ac ne peut pas passer sous silence la question morphologique du changement en oïl : la mutation -ac final en -ay et autres variantes est-elle à ce point consubstantielle de l’oïl qu’on ne puisse imaginer qu’un dialecte d’oïl ait connu dans un stade ancien une autre solution, commune avec l’oc ?

    Je n’ai pas la solution car je ne maîtrise pas cet aspect de la linguistique romane, en tout état de cause, il me semble que c’est faire grand cas d’un archaïsme. Le maintien dans de nombreux lieux-dits de Saintonge et Angoumois du suffixe féminin -ade me semble autrement plus intéressant : quelle carte ce phénomène dessine-t-il ?

     Je suis d’accord pour introduire les éléments architecturaux dans le débat : l’art roman saintongeais est indubitablement un art du Nord (qui s’oppose au clocher-mur des pays du Massif Central et de Gascogne) et sa diffusion me semble primordiale pour identifier les influences nordiques, d’autant plus que ce sont là des influences précoces (XIème siècle souvent).

    La diffusion de ce style en Gironde et Dordogne est également très intéressante, en ce que cet art se différencie des modèles saintongeais (plus richement sculptés), mais aussi en ce qu’il dit des influences extérieures (le Médoc se différencie ainsi des autres pays landais).

    A rebours, le maintien jusqu’aux confins de Nantes de la maison rurale à toiture plate et à tuiles canal me semble un élément important (mais qui touche plus à l’unité des pays entre Gironde et Loire, mise à mal par la méconnaissance contemporaine).

  • La thèse de F. Falc’hun sur la survie du "gaulois" n’est pas recevable. A ce sujet, voir notamment du Pr. Kenneth H. Jackson : A historical Phonology of Breton, Dublin (DIAS), 1967. L’apport de F. Falc’hun fut avant tout ses études sur la phonologie du breton moderne. Le reste n’a pas convaincu (L. Fleuriot, Les origines de la Bretagne, Paris, 1980).
    Le "celtique" ne peut intervenir comme un facteur déterminant dans la démonstration.

  • Pour répondre à Vincent P. :
    Bien sur que c’est une hypothèse que ces migrations vendéennes des années 1900 1910 puis des années 1920 ou 30 puis des années 1950 ou 60, puissent être la poursuite d’un mouvement inscrit dans l’histoire longue. Je suis moi même issu d’un migrant vendéen installé en Charente à la révolution... preuve que ces migrations sont anciennes... Mais il faudrait prouver effectivement avec les terriers. Justement il est des études passionnantes en Libournais en ce moment qui semblent montrer une migration ancienne, plus ancienne même que prévu... à suivre... d’autant qu’à ce que j’ai compris qu’ils arrivent à retrouver les gens à leur arrivée, puis ensuite où est alors mentionné leur lieu de naissance...
    Pour la toponymie. Je parle toujours de "ac" car c’est le symbole pris par les charentais de leur différence avec le Poitou... alors qu’on sait maintenant que les toponymes en ac remontent jusq’à la moitié en gros de la Vienne, des deux-Sèvres et de la Vendée... tout le bassin calcaire aquitain de ces départements en fait... Mais il y a une multitudes d’autres toponymes de type oc qui remontent jusqu’à cette ligne ou aux environs (il y a un faisceau). Et comme par hasard c’est jusqu’à cette ligne que remonte (avec un faisceau serré au milieu de la Vienne puis s’ouvrant en Deux-Sèvres) tout un tas de marqueurs occitans dans la langue poitevine-saintongeaise moderne... Pas de doute il y a quelque chose.
    P.S. : passage de "ac" à "ay" en fait de "a" à "é" puisqu’on prononce "a" et "é", analogue ou associé à ce que j’ai compris aux autres passages de "a" latin (conservé en occitan) à "é", comme dans les infinitifs (chanta devenant chanté). C’est compliqué... Le problème c’est qu’en oïl on a toujours "é", mais qu’en poitevin-saintongeais, on a bien "é", mais pas avant "l" (on conserve "a" : échale comme en sud Touraine), ni avant n ou gn (on conserve "a" : lane, semane, aragne). D’où une autre idée de Terracher : c’est le "c" encore prononcé anciennement qui aurait entrainé la conservation de "a" dans un parler déjà passé à l’oïl... Enfin sur la bordure du Poitou, lorsqu’on perd l’occitan marchois pour passer au poitevin, on parle déjà poitevin alors qu’on garde encore le "a" sporadiquement, il en est ainsi de toute une zone de l’est Ruffécois, de la bordure d’oïl du Confolentais et du sud-est Civraisien, où on a un poitevin avec infinitifs en "é", mais participes passés encore parfois en "a" (ou exceptionnellement l’inverse !), et encore "a" dans "chabre" pour chèvre... ce qui nous ramène à notre nom de notre fromage poitevin emblématique : le chabichou (à rapprocher quand on nom du cabecou occitan) et qui montre que le poitevin ancien avait conservé "a". Mais poitevin ancien du temps où il était occitan, ou du temps où il était déjà poitevin d’oïl, ou du temps où il était entre les deux ? En fait au lieu de parler de recul de l’occitan il faudrait parler de recul de critères, de marqueurs occitans. Car ça s’est fait progressivement (une illustration en est la Saintonge qui postérieurement à partir du 18ème perd certains de ses traits communs avec l’occitan, comme le pronom personnel de première personne "i" ou le pluriel de l’article "daus" ; alors que ces traits se trouvent conservés en poitevin pourtant plus au Nord !), et le point de départ n’était peut-être pas partout si proche que ça de l’occitan, peut-être déjà à la manière du marchois actuel...


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