Le Congrès Permanent de la Langue Occitane (CPLO ) ; le « Basic » :
http://oc.wikipedia.org/wiki/Congr%C3%A8s_permanent_de_la_lenga_occitana
Dans un fil récent ("que torni a l’Eric Fraj"), j’indiquais qu’il serait bon d’évoquer cette institution occitaniste créée à Bordeaux en 2011 et basée à Pau avec quelques liens, semble-t-il, avec l’Université de Toulouse où enseigne P.Sauzet, son vice-président et président du conseil linguistique : le triangle gascon presque parfait, en somme !
Difficile de faire le tour d’une institution, même récente, de la caractériser, encore plus de la juger. Et comme l’analyse de ce qui se fait est souvent plus probante que celle de ce qui est ou veut être, je me suis limité pour l’instant à tenter d’analyser de façon critique son projet le plus immédiat : le « Basic » ,dictionnaire « pan-occitan » en ligne. Les gasconhautes trouveront le résultat de cet essai ci-dessous (en caractères simples et entre guillemets, le projet, défini par G.Mercadier, président du CPLO et en italique, mes observations).
Chacun jugera. Si elles le jugent bon, les personnes concernées par l’exercice (collaborateurs du "Basic" y compris )seront bienvenues pour apporter leur vision du problème.
"Le Basic, introduction"
Par Gilabèrt Mercadièr, président du Congrès permanent de la langue occitane ;
"Le Basic est un lexique élémentaire français-occitan qui se veut, à terme, un dictionnaire unique pour tous les locuteurs et usagers de l’occitan, quelle que soit leur variante. Pour une entrée en français, il propose la forme occitane commune et/ou les formes spécifiques aux grandes variantes."
Première remarque : » un dictionnaire unique pour tous les locuteurs de l’occitan quelle que soit leur variante », qu’est-ce à dire ? Qu’apporte-t-il par rapport à tous les autres dictionnaires, établis,eux , pour chaque dialecte ? Aurait-il pour but de les supplanter à terme ? Notion de "dialecte" qui disparait ici au profit du terme passe-partout de « variante » valable tout autant pour des différences minimes de parler à parler que pour des différences « dialectales » fortes .Du reste,le concept de "variante" suggère qu’ en matière de vocabulaire ,il s’agit de variations à partir d’un mot commun (occitan) initial,présupposé contestable ...
Dès l’abord on ne peut s’empêcher de suspecter qu’on a ici en tête l’ « après –dialectes » …
"Origine du projet
L’idée du Basic – lexique français-occitan pour l’ensemble de la langue, intégré aujourd’hui au dicod’Òc, est née d’un objectif, d’un des principes du Congrès et de plusieurs constatations sociolinguistiques.
Un des objectifs, un des principes du Congrès est de contribuer à conforter l’unité de l’occitan et la conscience de cette unité en respectant sa diversité."
Deuxième remarque : « conforter l’unité » :
parce qu’elle ne serait pas si évidente que cela dans les situations d’hier et d’aujourd’hui ? Et avec quel objectif d’arrivée cette confortation se fera-telle ? Avec quels outils et quelles limites de départ ?
"Les constatations sont :
• autrefois Mistral, Piat et d’autres ont pris en compte l’ensemble de la langue, mais presque tous les lexiques et dictionnaires modernes en graphie classique sont dialectaux ou dans un standard qui, de fait, ne peut être accepté partout."
Un standard (NB :l’occitan « standard » ) qui ne peut, de fait, être accepté partout :ce « de fait » dit bien l’échec d’une démarche standardisatrice (uniformisatrice) ,jusqu’à présent du moins ;dont acte . Par ailleurs,l’ambition d’un Mistral était de type encyclopédique alors que le « Basic » semble vouloir utiliser les moyens mis à sa disposition par les collectivités territoriales(cf infra) pour faire du « Basic » un outil effectif,utilisable dans l’enseignement entre autres..
• "ceux qui apprennent la langue le font donc, essentiellement, avec des lexiques et des dictionnaires qui ne leur montrent qu’une partie de la langue, celle de leur grande « zone dialectale », ce qui ne conforte pas la conscience de l’unité. Au contraire, cela peut porter certains à croire qu’il y a plus d’une langue et que l’occitan n’est pas la leur."
Nous voici au cœur du problème :non seulement les grands dictionnaires « dialectaux » se voient mis au même niveau que des lexiques propres à tel ou tel parler local mais surtout la pétition de principe est ici qu’un dictionnaire gascon ou provençal ( par exemple ) , aussi complet et précis soit –il –donc apte à rendre parfaitement la réalité du « dialecte » en question – , n’est pas suffisant pour rendre compte d’une langue « englobante » supposée supérieure (au moins en extension ) au « dialecte « en question .Nous allons reparler de ce principe et de ses conséquences.
•" trop de monde dit encore « nous, nous ne parlons pas l’occitan, nous parlons cela ou cela » ou « nous, nous disons ainsi » comme si cela ne se disait pas, ne pouvait pas se dire ailleurs, alors que, souvent, cela se trouve aux quatre coins de l’Occitanie."
Pas besoin d’insister:il s’agit d’affirmer au-delà de l’
unité supposée de la langue celle d’une Occitanie entendue au sens de ses idéologues du XXè siècle et pas à son sens historique depuis le XIV è , celui de l’ancien comté de Toulouse avec ses annexes bas-languedociennes.
• "on cultive les différences et on ne valorise pas assez les convergences."
"Valoriser l’unité dans la diversité
Le Basic est un lexique qui a été conçu avec une âme centripète, pour valoriser l’unité dans la diversité, montrer ce qui est commun, ce qui se ressemble et qui, sous le manteau changeant de la prononciation, d’une évolution ou d’une graphie différente, vient bien de la même souche. Il montre également ce qui est spécifique, emblématique de telle ou telle grande variante et qui est un critère d’adhésion."
Concrètement, que signifie ici "valoriser" ? Valoriser l’unité dans la diversité, peut-être mais pas en minorant volontairement celle-ci ! Les grandes différences « dialectales » sont–elles seulement dues « au manteau changeant » (jolie expression, d’ailleurs) de la prononciation, d’une évolution ou d’une graphie différente » ? Etonnant d’ailleurs qu’un linguiste mette au même niveau prononciation, évolution et graphies. Les grands « dialectes occitans » ont bien plus que des différences de prononciation entre eux et la question de graphie est autre chose : au CPLO je suppose qu’on suppose la question de la graphie déjà réglée depuis longtemps ou c’est à désespérer ! Quant à l’évolution, oui certes, c’est bien elle qui différencie depuis plus de 1000 ans pour le gascon, 500 ans pour le provençal, les différents « dialectes » entre eux et dans tous les cas c’est bien l’évolution depuis le latin populaire parlé dans les Gaules et l’Aquitaine qui a fini par différencier les langues romanes entre elles ! Ce qui n’en fait pas automatiquement des « variantes » d’une langue unique dont il s’agirait de « conforter » l’unité.
"Tous ceux qui ont participé à ce travail ont souvent été étonnés de voir qu’ils trouvaient des similitudes là où ils ne les attendaient pas.
Le Basic, en plus de favoriser la conscience de l’unité de la langue, doit permettre de relativiser la variation et surtout de faciliter l’intercompréhension entre variantes, l’ouverture à l’ensemble de l’occitan qui fait souvent défaut."
Evidemment, si on choisit dans chaque « variante », pour chaque entrée du dictionnaire, un mot commun à l’ensemble des parlers d’oc (ça se trouve toujours même si parfois le terme en question est ultra-marginal dans son propre dialecte et donc pas révélateur de celui-ci ), on « facilitera l’intercompréhension »...
Par ailleurs, remarque « basique » ( !) d’un utilisateur de dictionnaires (de langues d’oc entre autres) : quand on prend l’habitude d’utiliser un dictionnaire, on finit bien sûr pas en utiliser les entrées dans l’écrit ou l’oral (ils sont d’ailleurs faits pour ça,non ?) ; les artisans du « basic » ont–ils bien conscience que les néo-locuteurs, peu assurés de leur « dialecte » (ou,pardon, de leur « variante » !), vont finir par mélanger les différentes entrées et les utiliser indistinctement, sans souci de cohérence « dialectale », jusqu’à ce que, lassés par le grand nombre des entrées, ils se résigneront à utiliser l’entrée donnée comme la plus fréquente, pour ne pas dire la plus standard, quelle que soit son origine géographique (qui sera dans l’immense majorité des cas, évidemment, celle du ressort géographique central, l’Occitanie du XIVe siècle). Ou bien serait-ce justement ce qui est anticipé ?
"Dans le passé, la variation posait peut-être moins de problèmes pour les locuteurs. Elle leur était familière, plus connue qu’elle ne l’est pour les locuteurs et apprenants d’aujourd’hui qui utilisent essentiellement le français. La langue occitane sert souvent à se différencier, et il existe une tendance à appuyer d’avantage sur les différences que sur les ressemblances. Il faut des outils modernes qui prennent en compte l’ensemble de la langue et de ses variantes. Un lexique en ligne peut en faire partie dans l’attente du grand dictionnaire général de la langue dont nous avons besoin, et dont le Congrès et son Conseil linguistique ont décidé et ouvert la création " .
Dans le passé, la grande majorité des locuteurs bougeaient peu et dans un rayon plus limité, celui de « variantes » de parler à parler plus souvent que celles des grands « dialectes » et ,en plus, ils possédaient parfaitement leur parler natif. Aujourd’hui, ce n’est plus à cette échelle que se pose le problème et la majorité des néo-locuteurs ne maitrise plus vraiment aucun parler. Si on ne se maintient pas à l’objectif de 6 « standards dialectaux », on cherche de facto à unifier totalement la « langue », ce qui n’était pas l’objectif affiché (et sincère) de l’occitanisme des années 1950/70.
" Créer le Basic avec ces objectifs n’a pas été facile, parce que curieusement, la variation a été beaucoup plus étudiée que ce qui est commun, à ce qui semble. Pas facile non plus de régler le curseur pour choisir ce qui est commun, ce qui se ressemble, ce qui est spécifique et qu’il faut conserver."
• S’il est trop haut, le curseur écrase des variations auxquelles les gens sont sensibles. S’ils ne se reconnaissent pas assez dans ce qui leur est proposé, il n’y a pas d’adhésion, et sans adhésion il n’y a pas d’avenir. Si la distance est trop grande, cela peut mener à un refus, une répulsion, même de ce qui est proposé.
• Si le curseur est trop bas, il donne la priorité à la variation, alors ce qui est commun, ce qui se ressemble ne se voit pas assez."
"Régler le curseur", c’est à dire "choisir » ? Qui va décider de la façon de placer ce fameux « curseur » ? Avec quelle légitimité pour le faire ?
" Pourquoi une version provisoire ?
Quand nous avons commencé, nous n’avons pas pris l’entière mesure de tout le travail que demandait le Basic si nous voulions traiter en une fois l’ensemble de la langue. Nous avons compris, en faisant le cahier des charges et les premiers essais avec un échantillon de mots, que ce serait long. Nous avons vu que nous ne pouvions nous appuyer, curieusement, sur presque aucune étude préalable sur le sujet du vocabulaire commun. Il nous fallait retourner aux sources que sont les dictionnaires, les atlas linguistiques. Le multidictionnaire et la base lexicale du Congrès nous ont fait gagner beaucoup de temps.
Il nous fallait aussi mobiliser la connaissance de la langue d’aujourd’hui qu’avait l’équipe, à commencer par ses directeurs scientifiques. Il fallait néanmoins se méfier de la tendance centrifuge de certaines sources à donner la priorité à ce qui est très spécifique, localisé, alors qu’au contraire, nous cherchions avant tout s’il y avait quelque chose de commun et les ressemblances. Il fallait également se méfier des acceptions qui peuvent changer d’une variante à l’autre."
La connaissance de la langue ne se limite pas au vocabulaire mais s’étend bien sûr à la syntaxe. On semble supposer ici que celle-ci est unique pour tous les « dialectes » d’oc, ce qui n’est pas vraiment confirmé en particulier pour ce qui concerne le gascon. A quoi correspond un dictionnaire unique pour des « dialectes » divergents syntaxiquement ?
"Si nous avons été pour le moment dans l’obligation de nous limiter à un lexique occitan du Languedoc et de la Gascogne, au sens géographique, historique et linguistique, c’est pour plusieurs raisons :
• c’est là qu’il y a le plus d’élèves qui étudient l’occitan ;
• les collectivités territoriales de ces régions sont celles qui aident le plus le Congrès et l’enseignement de l’occitan ;
• des responsables de ces régions étaient demandeurs d’un tel lexique ;
• il y avait urgence et il n’était pas possible, dans les délais donnés, de prendre en compte l’ensemble de la langue."
On entreprend donc un dictionnaire avec des motivations extra-linguistiques (politiques et démographiques- données de « marché » en quelque sorte ! -) ce qui est assez paradoxal, d’autant qu’on choisit là d’aparier deux « variantes » très éloignées l’une de l’autre (malgré l’existence d’une zone de quasi interférence, naturellement ), le gascon étant considéré par tous les linguistes comme aussi, voire plus, différent de l’occitan que le catalan lui-même. La distance serait plus faible entre nord-occitan, provençal et occitan languedocien. Choix discutable ; sans être parano, on peut se demander si le choix du gascon ne répond pas aussi un peu au désir de couper l’herbe sous le pied des "dissidents" gascons divers et variés, de plus en plus nombreux mais ne faisons pas de procès d’intention ! ;
"Nous commençons donc par un petit Basic, partiel et provisoire, pour deux grandes variantes, en attendant de pouvoir trouver, si l’expérience démontre l’intérêt de cette production, les moyens, les compétences et les collaborations indispensables pour élargir le projet vers l’Est et le Nord, à toute la langue. Baste siá !
Ce lexique ne se veut pas normatif, bien qu’il faille faire des choix. Le plus souvent le choix est assez évident, mais dans certains cas il est assez difficile et prend du temps. Le Basic est pour le moment un essai ouvert qui va être expérimenté par des professeurs et leurs élèves.
Un travail collectif
Je remercie la vingtaine de personnes qui ont participé à ce travail, de laboratoire d’une certaine façon, sans précédent, en commençant par Patrici Pojada et Maurici Romiu, membres du Conseil linguistique du Congrès qui, en plus de nous conseiller et de nous guider, ont contribué à nous former. Une mention spéciale également pour Domenge Château-Annaud pour le développement et le traitement des données, et pour Vincenç Rivière, car c’est lui qui a passé le plus de temps à chercher, comparer, mettre en cohérence, relire, proposer des amélioration. Enfin à nouveau un grand merci à Maurici Romiu, vice-président du Conseil linguistique, qui a accepté la lourde responsabilité (pour ne pas dire le risque !) d’une longue et minutieuse relecture et correction."
Il faudrait enfin se demander quelle est la légitimité de ces personnes devant l’objectif recherché, personnes certainement très respectables mais dont la connaissance approfondie des différentes « variantes » en cause reste à établir…