La réalité ethnique du Bas-Médoc à l’époque moderne : Ordonnac Vincent P.

- Vincent P.

La toponymie du Médoc est viscéralement gasconne, et se différencie rarement de celle des autres pays gascons, notamment landais, aux mutations phonétiques médoquines près.

Il n’en va pas de même des patronymes, qui semblent mettre en évidence au moins deux phénomènes :

 Une tendance manifeste à l’utilisation d’anthroponymes contre la tradition gasconne des toponymes qui deviennent patronymes.

Le patronyme girondin le plus porté, Bernard, en est l’illustration, alors même que les textes médiévaux montrent que les usages étaient gascons à date ancienne.

 Des migrations gavaches qui semblent importantes sans que personne ait jamais cherché à les détecter ou les recenser.

Je vais prendre appui sur la commune d’Ordonnac, dans les environs de Lesparre, quand le Médoc commence à se faire marais. Je fouille les registres généalogiques à notre disposition sur le net, en prenant en compte les patronymes attestés à date ancienne, disons au moins au XVIIIème siècle.

Ma source :

http://www.geneanet.org/search/?place=ordonnac&ressource=arbre

Je ne classe pas les patronymes par ordre alphabétique, mais par ordre d’affichage sur Geneanet.

 Charron : clairement un patronyme d’entre Gironde et Loire avec un maximum de concentration en Poitou.

Chez les Charron, on retrouve des Guilhou. Il ne peut pas s’agir d’un patronyme médoquin car le n final est prononcé en gascon du Médoc. Les deux sources actuelles sont le pays charnégou entre Béarn et Basse-Navarre, et plus classiquement les pays de Guyenne comme le Quercy ou le Rouergue. Il s’agit en tout cas d’une migration.

 Berlan : variante du patronyme Berland. C’est un anthroponyme i.e. un prénom germanique devenu nom de famille.

Sous la forme Berlan, il s’agit d’un patronyme très médoquin mais Berland est là encore un patronyme d’entre Gironde et Loire ainsi que périgourdin et limousin. En tout cas, que Berland en Médoc soit autochtone ou pas, il relève de modes anthroponymiques septentrionales.

 Gerbaud : la souche médoquine est importante, c’est encore un anthroponyme germanique, que l’on retrouve sous forme de noms de famille dans le Limousin ou en Poitou.

Migration ? Formation autochtone ?

 Gretau : sous cette forme, le patronyme est quasi disparu, mais la forme Greteau est abondante en Entre-deux-Mers, ainsi que dans la vallée de la Loire, et je postule là encore une vieille migration.

 Jacob : prénom biblique, on ne peut rien en tirer.

 Leraud : patronyme limousin. Le premier Leraud à Ordonnac dans les actes semble charpentier, c’est conforme aux métiers des migrants périgourdins et limousins.

 Ponceteau : pas d’équivalents entre Gironde et Loire. Que signifie donc cette finale en -eau ?

Nous savons que la finale francisante -eau a été adoptée par le gascon, même très au Sud, sous la forme -éou. "Petit Poncet" dans tous les cas.

 Sauts : un patronyme gascon sans ambigüité.

Dans la généalogie de ces Sauts, il est amusant de constater que les patronymes sont gascons, mais via des alliances avec le Médoc de la lande : Beneyt, Bosq, Castaing, ...

 Rey : oc sans problème.

 Prévosteau : encore aujourd’hui concentré en Médoc mais il n’y a rien de moins gascon en apparence.

 Chen : semble gascon. On trouve un étonnant patronyme dans cette généalogie : Calolirye.

Dès que l’on remonte dans le temps, on retrouve des patronymes étranges et typés, comme s’il y avait eu un phénomène de migration au XVIIème siècle qui avait noyé les patronymes gascons. La mise en valeur des marais ?

 Bouléris : gascon

 Taudin : gascon, l’équivalent des Tauzin plus au Sud.

 Lambert : on ne peut rien en dire.

 Arnaud : idem.

 Barreyre : gascon, l’équivalent des Barrère plus au Sud.

 Bergey : idem, équivalent de Bergé.

 Chaumeton : une fois de plus, une souche du Limousin.

 Vignaud : difficile de dire. Vignau est gascon, mais les variantes ne le sont pas.

 Lacourrège : clairement une migration sud-gasconne.

 Louley : gascon.

 Clemenceau : d’entre Gironde et Loire en toute théorie mais on ne peut pas passer balayer l’hypothèse d’une formation autochtone, après tout, ce n’est que "Petit Clément".

Ici, c’est un Guilhem Clemenceau : prénom gascon à la veille de la Révolution.

 Bacquey : gascon, l’équivalent de Baqué au Sud.

 Grenier : faut-il postuler des traductions en français à date ancienne ? Grenier est l’un des patronymes les plus communs en Gironde.

 Lamonier : obscur.

 Marcolet : enfin une formation anthroponymique clairement gasconne, "Petit Marc". Le prénom de cette Marcolet est Peyronne.

Deviendra Marcoulet par la suite qui est encore un patronyme médoquin commun.

 Daumens : gascon.

 Mitrosse : variante de Mitroche, ce qui montre l’ancienne prononciation du s en gascon. Semble là aussi gascon.

 Seigneuret : "Petit Seigneur", variante plus gasconne Signouret.

Il semble qu’il y a eu en Médoc de vraies francisations graphiques à date ancienne.

 Ardouin : très concentré entre Gironde et Loire.

 Benillan : gascon.

 Bourgeaud : ne semble pas gascon, périgourdin sous la forme Bourgeau.

Les alliances de cette famille montrent de nombreux patronymes gascons : Hosteing, Dejeans, Monge, Faure, ...

 Montangon : fréquent en Pays Gabay.

 Teissonneau : forme moderne Teyssonneau.

Les caractéristiques du gascon médoquin peuvent expliquer ce patronyme : maintien de ÿss, pas de chute du n intervocalique (on est sur un dérivé de taysson "blaireau").

Cependant, le patronyme semble attesté avant tout en Pays Gabay.

 Pasquets : semble gascon.

 Braneyre : gascon.

 Caussan : gascon.

 Lalanne : probable migration sud-gasconne. Attesté dès le début du XVIIIème siècle.

 Egreteau : d’entre Gironde et Loire.

 Lartigue : gascon.

 Chiconneau : l’un des plus vieux patronymes, dès le XVIIème siècle.

 Pouyalet : gascon.

 Liquard : probablement un anthroponyme, exclusivement girondin dans sa distribution.

 Chichereau : là encore, assez vieux, tout début du XVIIIème siècle. Nettement poitevin.

Je m’arrête là. Pour qui est familier de la Gascogne, assez nettement, le "parfum" patronymique est différent de celui auquel l’on peut être habitué.

On détecte, à mon sens, de nombreuses migrations en provenance d’entre Gironde et Loire (probablement via le Pays Gabay et les liens entre les deux rives de l’estuaire), ainsi que du monde périgourdino-limousin.

On détecte de vieux patronymes gascons, gascons par la phonétique mais aussi gascons par leur sens : Taudin, Bacquey, Bergey, Barreyre, Pouyalet, Braneyre.

Dans tous les cas, sur le fondement des actes à notre disposition, l’on peut commencer à constater que le Médoc semble un pays de destination prisé. Je suppose que la mise en culture des marais n’est pas sans lien.

Je postule, pour le reste, que les caractéristiques du dialecte gascon du marais, qui le rapprochaient des parlers limousins, sont en lien direct avec ces migrations gavaches au sens large.

Pour finir, je constate que le Médoc, accusé à Bordeaux de consanguinité, est l’une des régions gasconnes les plus ouvertes sur l’extérieur.

Grans de sau

  • La toponymie d’Ordonnac ne fait état d’aucune de ces infiltrations gavaches au sens large (d’entre Gironde et Loire ou du Massif Central).

    Liste des toponymes d’Ordonnac

    Comme pareilles migrations, en Nord-Gironde ou en Entre-deux-Mers, ont laissé des traces en toponymie quand elles sont anciennes, on peut supputer que les migrations en Médoc sont plus récentes.

    Je pense qu’elles sont concomitantes de la mise en valeur des marais au XVIIème siècle. Elles expliquent probablement la dégasconnisation subreptice du Bas-Médoc au long de ces derniers siècles.

    A mettre en lien avec la constitution de foyers saintongeais au Verdon, probablement de la même époque.

  • On peut se demander quel trajet ont suivi les migrations gavaches en Médoc, si elles ont été groupées, et si les Médoquins ont aussi migré de l’autre côté.

  • Pareille étude réclame de fouiller plus en profondeur les données généalogiques, notamment les paroisses d’origine des mariés et leur profession.

    Ordonnac n’est pas le Médoc de la vigne, ce n’est pas une migration saisonnière qui se fixerait. Je poursuivrai l’étude sur d’autres paroisses du Médoc.

  • Puis-je me permettre une critique de la "source", je crois qu’elle n’est pas si fiable que cela pour ce qui est (et uniquement pour cela)de l’orthographe des noms.
    En effet, le logiciel qui permet d’inscrire son arbre en ligne sur le site impose une graphie unique pour toutes les occurrences d’un nom propre.
    Même si le releveur a noté la graphie d’un nom toute autre sur ses papiers personnels pour un grand-père si le petit fils à partir duquel il a construit son arbre "en remontant" a une autre graphie elle n’apparaîtra pas.
    Ceci est particulièrement frappant pour tous les noms de famille au dix-septième siècle qui ont toujours la particule même si c’est un paysan et qui la perdent sur l’arbre, mais c’est vrai aussi pour par exemple dans ma famille des "Lacommère ("1834)" qui se nomment sur les registres "Lacoumère" en (1658), des Orossen qui sont trois générations auparavant Dorossen etc..
    Ce que je veux dire c’est qu’à partir des relevés sur généanet vous ne pouvez savoir si le Vignaud, c’est un exemple, est ou n’est pas un Vignau (gascon) en réalité, le transcripteur ne peut le dire.
    Pour que vos listes soient "justes" en fait il faut partir des registres paroissiaux, et encore en les croisant, car un curé donné peut-être "d’ailleurs" et ne pas savoir comment écrire le nom : Claverie, Claberie, de Claverie, de Claberie..Angoumau, Engoumau, d’Angoumau, Dangoumau, Dengoumau, la question de l’étymologie et du sens du nom est tributaire de cette orthographe.
    Mais cela ne pose pas problème pour le gars qui fait sa généalogie et rentre son arbre sur le site : il choisit UNE et une seule orthographe et va s’y tenir obligatoirement sur le site (sauf à mettre en note une remarque).Du coup déduire des informations sur des "migrations" à tous les coups certaines à partir de ce site "ou d’un autre de généalogie est trop frustre, à mon avis il faut absolument d’autres sources : Les registres eux-mêmes.
    Ceci dit votre qualité de chercheur et de linguiste est impressionnante et ce n’est qu’une remarque d’une vieille béotienne...qui vous lit toujours avec intérêt et admiration.

  • A toutes fins utiles pour ceux qui travaillent sur le Médoc,cette invitation des éditions Confluences :
    Les éditions confluences et la Médiathèque de Blanquefort
    vous invitent à rencontrer
    Christian Coulon
    à l’occasion de la parution de
    Médoc
    Les valeurs du lieu et autres textes
    jeudi 25 septembre à 20 h 00
    la renconte sera animée par Jean-Jacques Fénié
    au 4, rue du Docteur Castéra
    Renseignements :
    Médiathèque de Blanquefort : 05 56 57 48 40 - éditions confluences : 05 56 81 05 54

  • Le logiciel n’impose absolument pas un nom unique puisque chaque individu est une "notice" indépendante de telle sorte que l’on traque aisément les modifications orthographiques.

    Pour le reste, dans le cas d’une hésitation entre Claverie et Claberie, je dois dire ne pas avoir trop de mal à déceler qu’il s’agit dans les deux cas de patronymes gascons.

    La difficulté provient en effet de patronymes type Vignaud qui peuvent subir des modes orthographiques francisantes en Médoc (finales gasconnes en -au graphiées -eau, -ot ou -aud).

    C’est là qu’intervient en plus de la seule analyse linguistique l’analyse statistique, en constatant qu’à date moderne, il ne semble y avoir aucun foyer Vignaud en Gironde gasconophone tandis que sous cette forme, le patronyme est très fréquent en Angoumois, Limousin et Saintonge.

    A mon sens, la probabilité que Vignaud soit un migrant de la Charente limousine en Médoc est plus grande que celle d’un Vignau des Pyrénées dont le nom aurait été déformé. Je ne peux pas le prouver mais tout porte à croire que cette partie du Médoc a connu de fortes migrations modernes en provenance des terres limousines, et qu’a fortiori, il n’y a rien de curieux à retrouver un patronyme comme Vignaud si fréquent là-bas.

    Je ne fais cette observation que dans le contexte des autres patronymes dont le caractère non-gascon ne souffre d’aucune contestation.


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