La toponymie du Médoc est viscéralement gasconne, et se différencie rarement de celle des autres pays gascons, notamment landais, aux mutations phonétiques médoquines près.
Il n’en va pas de même des patronymes, qui semblent mettre en évidence au moins deux phénomènes :
– Une tendance manifeste à l’utilisation d’anthroponymes contre la tradition gasconne des toponymes qui deviennent patronymes.
Le patronyme girondin le plus porté, Bernard, en est l’illustration, alors même que les textes médiévaux montrent que les usages étaient gascons à date ancienne.
– Des migrations gavaches qui semblent importantes sans que personne ait jamais cherché à les détecter ou les recenser.
Je vais prendre appui sur la commune d’Ordonnac, dans les environs de Lesparre, quand le Médoc commence à se faire marais. Je fouille les registres généalogiques à notre disposition sur le net, en prenant en compte les patronymes attestés à date ancienne, disons au moins au XVIIIème siècle.
Ma source :
http://www.geneanet.org/search/?place=ordonnac&ressource=arbre
Je ne classe pas les patronymes par ordre alphabétique, mais par ordre d’affichage sur Geneanet.
– Charron : clairement un patronyme d’entre Gironde et Loire avec un maximum de concentration en Poitou.
Chez les Charron, on retrouve des Guilhou. Il ne peut pas s’agir d’un patronyme médoquin car le n final est prononcé en gascon du Médoc. Les deux sources actuelles sont le pays charnégou entre Béarn et Basse-Navarre, et plus classiquement les pays de Guyenne comme le Quercy ou le Rouergue. Il s’agit en tout cas d’une migration.
– Berlan : variante du patronyme Berland. C’est un anthroponyme i.e. un prénom germanique devenu nom de famille.
Sous la forme Berlan, il s’agit d’un patronyme très médoquin mais Berland est là encore un patronyme d’entre Gironde et Loire ainsi que périgourdin et limousin. En tout cas, que Berland en Médoc soit autochtone ou pas, il relève de modes anthroponymiques septentrionales.
– Gerbaud : la souche médoquine est importante, c’est encore un anthroponyme germanique, que l’on retrouve sous forme de noms de famille dans le Limousin ou en Poitou.
Migration ? Formation autochtone ?
– Gretau : sous cette forme, le patronyme est quasi disparu, mais la forme Greteau est abondante en Entre-deux-Mers, ainsi que dans la vallée de la Loire, et je postule là encore une vieille migration.
– Jacob : prénom biblique, on ne peut rien en tirer.
– Leraud : patronyme limousin. Le premier Leraud à Ordonnac dans les actes semble charpentier, c’est conforme aux métiers des migrants périgourdins et limousins.
– Ponceteau : pas d’équivalents entre Gironde et Loire. Que signifie donc cette finale en -eau ?
Nous savons que la finale francisante -eau a été adoptée par le gascon, même très au Sud, sous la forme -éou. "Petit Poncet" dans tous les cas.
– Sauts : un patronyme gascon sans ambigüité.
Dans la généalogie de ces Sauts, il est amusant de constater que les patronymes sont gascons, mais via des alliances avec le Médoc de la lande : Beneyt, Bosq, Castaing, ...
– Rey : oc sans problème.
– Prévosteau : encore aujourd’hui concentré en Médoc mais il n’y a rien de moins gascon en apparence.
– Chen : semble gascon. On trouve un étonnant patronyme dans cette généalogie : Calolirye.
Dès que l’on remonte dans le temps, on retrouve des patronymes étranges et typés, comme s’il y avait eu un phénomène de migration au XVIIème siècle qui avait noyé les patronymes gascons. La mise en valeur des marais ?
– Bouléris : gascon
– Taudin : gascon, l’équivalent des Tauzin plus au Sud.
– Lambert : on ne peut rien en dire.
– Arnaud : idem.
– Barreyre : gascon, l’équivalent des Barrère plus au Sud.
– Bergey : idem, équivalent de Bergé.
– Chaumeton : une fois de plus, une souche du Limousin.
– Vignaud : difficile de dire. Vignau est gascon, mais les variantes ne le sont pas.
– Lacourrège : clairement une migration sud-gasconne.
– Louley : gascon.
– Clemenceau : d’entre Gironde et Loire en toute théorie mais on ne peut pas passer balayer l’hypothèse d’une formation autochtone, après tout, ce n’est que "Petit Clément".
Ici, c’est un Guilhem Clemenceau : prénom gascon à la veille de la Révolution.
– Bacquey : gascon, l’équivalent de Baqué au Sud.
– Grenier : faut-il postuler des traductions en français à date ancienne ? Grenier est l’un des patronymes les plus communs en Gironde.
– Lamonier : obscur.
– Marcolet : enfin une formation anthroponymique clairement gasconne, "Petit Marc". Le prénom de cette Marcolet est Peyronne.
Deviendra Marcoulet par la suite qui est encore un patronyme médoquin commun.
– Daumens : gascon.
– Mitrosse : variante de Mitroche, ce qui montre l’ancienne prononciation du s en gascon. Semble là aussi gascon.
– Seigneuret : "Petit Seigneur", variante plus gasconne Signouret.
Il semble qu’il y a eu en Médoc de vraies francisations graphiques à date ancienne.
– Ardouin : très concentré entre Gironde et Loire.
– Benillan : gascon.
– Bourgeaud : ne semble pas gascon, périgourdin sous la forme Bourgeau.
Les alliances de cette famille montrent de nombreux patronymes gascons : Hosteing, Dejeans, Monge, Faure, ...
– Montangon : fréquent en Pays Gabay.
– Teissonneau : forme moderne Teyssonneau.
Les caractéristiques du gascon médoquin peuvent expliquer ce patronyme : maintien de ÿss, pas de chute du n intervocalique (on est sur un dérivé de taysson "blaireau").
Cependant, le patronyme semble attesté avant tout en Pays Gabay.
– Pasquets : semble gascon.
– Braneyre : gascon.
– Caussan : gascon.
– Lalanne : probable migration sud-gasconne. Attesté dès le début du XVIIIème siècle.
– Egreteau : d’entre Gironde et Loire.
– Lartigue : gascon.
– Chiconneau : l’un des plus vieux patronymes, dès le XVIIème siècle.
– Pouyalet : gascon.
– Liquard : probablement un anthroponyme, exclusivement girondin dans sa distribution.
– Chichereau : là encore, assez vieux, tout début du XVIIIème siècle. Nettement poitevin.
Je m’arrête là. Pour qui est familier de la Gascogne, assez nettement, le "parfum" patronymique est différent de celui auquel l’on peut être habitué.
On détecte, à mon sens, de nombreuses migrations en provenance d’entre Gironde et Loire (probablement via le Pays Gabay et les liens entre les deux rives de l’estuaire), ainsi que du monde périgourdino-limousin.
On détecte de vieux patronymes gascons, gascons par la phonétique mais aussi gascons par leur sens : Taudin, Bacquey, Bergey, Barreyre, Pouyalet, Braneyre.
Dans tous les cas, sur le fondement des actes à notre disposition, l’on peut commencer à constater que le Médoc semble un pays de destination prisé. Je suppose que la mise en culture des marais n’est pas sans lien.
Je postule, pour le reste, que les caractéristiques du dialecte gascon du marais, qui le rapprochaient des parlers limousins, sont en lien direct avec ces migrations gavaches au sens large.
Pour finir, je constate que le Médoc, accusé à Bordeaux de consanguinité, est l’une des régions gasconnes les plus ouvertes sur l’extérieur.