Les noms de famille et de maisons pour les femmes Dominique

Une remarque que je viens de me faire et qui n’a peut-être pas grand sens :

Je plonge souvent dans les registres paroissiaux pour essayer de retrouver les noms de nos ancêtres (occupation de vieux disent mes enfants,caustiques).

J’ai remarqué qu’aux seizième, dix-septième et début dix-huitième siècles les noms de famille pour les femmes dans les villages de langue d’oc que nous parcourrons mon mari et moi sont toujours mis au féminin. ex une Jeanne Biron est dénommée Jeanne Bironne (Aubrac Lozère), une Rose Chambouleyron est dite Rose Chambouleyronne (Vals, Ardèche) une Marthe Gonet est dite Marthe Gonette (Italie, vallées Vaudoises protestantes).
Mais dans le département des Landes, en Chalosse jamais.
En revanche pour les hommes comme pour les femmes la particule d’appartenance : de Capdeviolle, de Claverie ...
J’en conclus, mais c’est une hypothèse c’est que les noms (cognoms) sont souvent des surnoms dans les terres de langue d’oc, alors que ce sont des noms de "maisons" chez nous en Gascogne.
Les premiers se mettent au féminin comme les adjectifs ou certains noms de métiers, les autres non puisque tant les garçons que les filles viennent d’un même endroit.
Et cela n’a rien à voir avec une quelconque hiérarchie des sexes (ou des genres) dans telle ou telle aire linguistique puisque l’on sait le rôle de nos daunes au bord des gaves ou de l’Adour. Le Vivarais, l’Ardèche ou les Alpes n’ayant pas ce statut si fort pour les femmes d’après ce que j’ai lu, même s’ils féminisaient les noms de famille.
Je crois que ma remarque n’est pas très intéressante mais cela est-il connu ?

Grans de sau

  • Il est connu qu’avant la rationalisation par la Révolution du patronyme, il y avait en Gascogne une vraie hésitation entre patronyme au sens propre et domonyme.

    Bref, l’identité en Gascogne méridionale était avant tout attachée à la possession d’une maison dont les propriétaires prenaient le nom. Parfois néanmoins, le patronyme survivait, et les prêtres dans les registres paroissiaux notaient "X dit Y".

    Il arrivait fréquemment que des membres d’une même fratrie ne possèdent pas le même nom, au gré des mouvements et des mariages. Il arrivait également fréquemment qu’un homme venu se marier chez une héritière prenne le nom de celle-ci, ainsi que sa descendance.

    Cette question de la maison-souche en Gascogne a fait l’objet de nombreuses études, il me semble. Par exemple :

    Le Nom de famille en Béarn et ses origines, par Régis Le Saulnier de Saint-Jouan

    Il convient de faire remarquer que ce système n’était pas connu en Bordelais. Il y aurait d’ailleurs une étude à faire sur les patronymes du Bordelais, plus notamment sur ceux du Médoc qui font montre d’une proportion importante d’anthroponymes, en nette opposition avec les habitudes ailleurs en Gascogne où les patronymes sont souvent tirés de lieux-dits.

  • C’est une observation très intéressante. Qui pourrait nous en dire plus ?

  • Merci pour ces réponses et ces références.

    Mais ce qui m’a surtout surprise c’est que dans tout l’espace "occitan" (en tout les cas de langue occitane), l’habitude de mettre au féminin les noms de famille me semblait attestée, je l’ai toujours trouvée : des Anne Saltelle fille de Jean Saltel, des Jeanne Fargiere fille de Pierre Fargier etc,etc, et ce du Cantal, Haute Loire, Lozère, Aveyron, Val de la Pélis (Piémont), à l’ Ardèche, sur les registres catholiques comme chez les notaires protestants et les registres de Pasteurs, les femmes et jeunes filles sont au féminin ceci surtout dans les registres très anciens, (cela s’estompe au fur et à mesure qu’on se rapproche de notre temps, et a disparu au plus tard trente ans avant la révolution).

    Rien de cela dans l’ère "gasconophone" de Chalosse et du pays d’Orthe que je "fréquente" en ligne, la référence aux noms de maisons pour expliquer cela est une simple hypothèse personnelle, pour trouver explication à ce phénomène que j’ai cru pouvoir constater étant donné sa fréquence pour ne pas dire son caractère obligatoire, sur des territoires si différents, et touchant aussi bien les paysannes que les filles de notaires pontificaux du Comtat venaissin.

    En effet je me dis que si le gascon était un sous ensemble de l"occitan", comme on a pu y mettre l’Auvergnat, la langue de la Margeride, celle de l’Aubrac ou des vallées italiennes des affluents du Pô, le gascon devrait faire comme les autres et marquer le féminin.

    Qu’en est-il en Bordelais, dans les temps anciens si le nom des gens n’est pas au départ un nom de maison comme vous nous l’expliquez ? Y-t-il des registres du côté du Médoc en terre parlant gascon ou vers Tonneins que seraient aller voir des accros de gasconha.com au tout début du 17ème siècle par exemple et qui feraient comme en Vivarais ou en Aubrac une féminisation des noms ?

    Je serai curieuse de le savoir, et de savoir si des hypothèses peuvent être faites sur ces différentes habitudes entre notre zone parlant gascon et les zones de langue d’oc.

    [Dominique]

    Réponse de Gasconha.com :
    Une remarque en marge du sujet : le correcteur orthographique de la souillarde de Gasconha.com soulignait "gasconnophone" en rouge, je me suis donc empressé de mettre "gasconophone" (avec un simple n)... et le correcteur a continué à souligner en rouge ! Bref, il ne connait pas ce mot... Mais alors, la voie est libre pour faire simple ?

    Mais pour rentrer dans le sujet : il était déjà connu que les anciennes habitudes pour nommer les gens distinguaient la Gascogne des autres pays d’oc, et la rapprochaient au contraire du Pays basque ; il y a donc là un trait qui doit intéresser les chasseurs de spécificités gasconnes ou vasconnes que nous sommes pour plusieurs d’entre nous.
    Mais là encore, apparait un clivage entre ce que j’ai déjà nommé "l’HyperGascogne" et ce que je vais appeler cette fois ci la Gascogne garonnaise, plus perméable aux influences estrangères...
    Encore que, du côté de Tonneins, il m’a semblé observer, par la toponymie, qu’on entre très vite vers le sud, aux premiers tucs du massif landais, en HyperGascogne...
    A l’occasion je ferai attention dans les registres de ces contrées aux modes de nommage. Je suis d’ailleurs un novice dans ce genre de consultation d’archives, qui sont maintenant, et c’est un avantage formidable que nous donne Internet, de plus en plus mises en ligne.

    [Tederic M.]

  • Remarque intéressante Dominique parce qu’elle vient s’ajouter à un faisceaux d’éléments plus ou moins connus qui révèle il me semble une profonde spécificité des sociétés "vasco-aquitano-pyrénéennes".

    Loin d’être anodine, la façon de nommer les personnes vient de loin et dénote la manière dont l’identité est perçue. La spécificité que ces sociétés montrent à ce niveau est donc riche de sens.
    Elle révèle une approche particulière :
    1- du rapport homme-femme
    2- de la notion de lignée
    3- de l’appropriation de l’espace

    Rapidement :

    1- Le mariage : au lieu d’un modèle où le mari "prend femme" (sous sa protection et son autorité) on a un modèle où soit l’homme "vient gendre chez" soit la femme "vient bru chez" (selon qui va habiter dans la maison familiale de l’autre, prenant alors le nom de ladite maison).
    La fratrie : on ne distingue pas frères et soeurs mais ainés et cadets. Les uns ont vocation à devenir chefs de maison et à transmettre son nom, les autres à rester pour aider la maison ou à partir pour faire une vie hors de la maison ou pour entrer dans une autre maison.

    2- Le patronyme (lignée de sang paternelle) est remplacé par le domonyme (lignée de maison de "cap de casa" en "cap de casa" -chef de maison, homme ou femme-).
    Un individu n’est pas d’abord connu comme Untel fils ou épouse de mais comme Untel de chez Tellemaison.

    3- La société reconnait la jouissance d’un bien, une ressource, un terrain non par l’autorité d’un individu ou d’un groupe de sang mais sous l’emprise d’une maison ou d’un groupe de maisons.

  • Plus de détails, PJM ?
    Je vois beaucoup à dire, en essayant de ne pas être trop long :

    1)Sur le système "vasco-aquitano-pyrénéen" des anthroponymes :

    Le système "num de cazo"/nom de maison est encore d’usage courant en montagne, en concurrence avec le patronyme imposé par l’Etat Civil... et avec l’habitude des sobriquets, là-aussi souvent héréditaires. D’où trois ou quatre noms possibles (et usités !) pour une personne. Si votre mère est de la vallée mais pas votre père, soyez sûr qu’on vous appellera comme votre mère...

    De façon analogue les communautés (villages, hameaux) ont aussi un nom de type "sobriquet" ou "métier". Ex : les habitants de Laruns sont dits "abarkès" (les abarques sont d’anciennes chaussures) ou "tawlès" (scieurs-il y a de grandes forêts). Je trouve très logique que si une maison confère un anthroponyme, alors un village (qui est un groupe de maison) en confère un autre...

    Le système existe côté sud dans les vallées aragonaises. A la nuance près que les noms de maisons y sont plus souvent de type "Prénom" ou "métier" que "caractéristique du lieu" (ex : Marton, Herrero, Andreu, Barrera). Les noms de communautés sont du même type qu’au Nord (ex : ceux de Biescas sont dits "Pelaires" -lainiers à cause de l’ancien marché ovin). Similarité parfaitement comprise de part et d’autre, spontanément la famille de mon père est plus connue par son nom de maison côté aragonais que par son patronyme.

    Le langage courant en est imprégné. On demande au sujet d’un enfant ou d’un jeune non pas "c’est le fils de qui ?" mais "c’est le petit de chez qui ?" et plus facilement "d’où êtes-vous ?" que "comment vous-appelez vous ?". Hors de son village, on se présente comme "Untel- un ou deux des noms de famille usités" immédiatement suivi de "de tel village".

    Le système existe de façon similaire en pays bascophone nord ou sud.

    2) Sur la féminisation des patronymes pour les filles et les épouses :

    On la retrouve chez les peuples germaniques (en Islande encore aujourd’hui le fils de M. Erik Einarsson est M. Erikson et sa fille Mlle Erikdottir), les slaves (Valentina Petrovna Pouchkina est la fille de Petrov Pouchkine et deviendra Valentina Andropova à son mariage avec M. Andropov), anciennement chez les latins ("ubi Caius, ego Caia" disait l’épouse le jour de son mariage à son époux).

    De façon intéressante tous ces peuples ont un double héritage commun qu’on appelle indo-européen : une tradition patriarcale (donc patronymique) et de déclinaison (incluant genre et nombre) qui n’épargne pas les noms propres. De nos jours en français ou en anglais on dira encore "LES Dupont" ou "the MillerS".

    En gascon par contre "los DE Capdebielle" et non pas "los CapdebielleS". Et en Haut-Aragon "es DE Barrera" mais pas "es un BarrerO".
    Encore un point qui définit en creux cet espace "vasco-aquitano-pyrénéen" comme moins soumis à l’héritage indo-européen ? Il faudrait voir les traditions anthroponymiques à l’échelle de l’europe...

    Si c’est concluant, on pourra supposer que l’usage occitan observé par Dominique comme l’héritier tant d’une latinisation que d’un substrat celtique plus marqués connus dans ces régions par rapport à la Gascogne , celtes et latins étant deux branches proches au sein des peuples indo-européens...

  • Pour répondre à Artiaque sur la façon qu’ont les russes de nommer, en fait ils ont trois noms
    1- le prénom,
    2- le patronyme qui est le prénom du père avec le suffixe ovitch/ievitch pour les hommes, ovna/ievna pour les filles, et
    3-le nom de famille (dans votre exemple votre Valentina est fille de Piotr, c’est à dire de Pierre, Pouchkine et elle restera Pietrovna même quand elle sera mariée avec Andropov et qu’elle sera devenue Andropovna)
    Autre exemple : Vladimir Vladimirovitch Poutine ,(pout’ c’est la route, son nom de famille a une forme d’adjectif d’appartenance, homme de la route) dans sa famille on ne l’appelle presque jamais Vladimir tout court, mais Volodia le diminutif du prénom, ses profs usaient aussi de ce diminutif pour lui parler mais aujourd’hui tous ceux qui le rencontrent dans ses fonctions l’appellent Vladimir Vladimirovitch ce qui correspond à Monsieur (Poutine) (Monsieur Truc ne se dit pratiquement pas) et on va appeler notre supérieur, prof, président de la République par son prénom ET son patronyme,jamais bien sûr par son prénom tout seul.
    Moi au lycée j’ai souvenir que quand la prof de russe entrait dans la classe on se levait et en choeur on disait "Bonjour Irina Guiéorgiévna !" et elle répondait," Bonjour mesdemoiselles, asseyez vous" !" Tout ça en russe et de façon déférente (c’était bien avant Mai 68) !

    L’usage des noms est aussi très curieux, et diffère selon les cultures, le nom de famille ne désigne pas toujours dans l’appellation quotidienne l’individu, en tous les cas il n’est pas toujours "l’appellation"qui s’adresse à l’individu.

    Je me suis dit aussi en voyant sur nos registres de Chalosse, le tout petit nombre de prénoms en usage : Arnaud, Bernard, Jean, Sebé, Pierre, Blaise, Jeanne Marie, Françoise, Vincense et le nombre de frères ou de soeurs nantis d’un prénom identique que les "chaffres" devaient être très fréquents.
    Que les gens ne devaient utiliser leur prénom "officiel" que fort peu, qu’on les appelait autrement, et comme ce que vous avez dit sur le glissement entre les noms "de famille" de maison entre l’aîné qui faisait souche à la maison et le cadet qui partait en gendre ailleurs, et l’encore plus cadet qui se louait ici ou là, récoltant un surnom quelconque éphémère qui devenait son nom s’il se fixait dans un autre village.
    On se retrouve dans de grandes complications pour savoir qui est qui. On n’a peu de traces de tous ces changements sur les registres en français, ni non plus sur les actes de notaires, parfois quand les curés à cours de papier profitent des registres paroissiaux pour faire leurs comptes, des messes qui sont dites par exemple pour le repos de l’âme de tel mort du village, on voit apparaître les diminutifs habituels de telle personne le "Jantic" de la maison "Moïse" qui a payé trois messes ou la "Estebenotte" la hillotte de la maison Bernadet qui a donné tant..
    L’usage des noms est donc curieux et très local.
    Ce qui m’épate moi c’est que les règles strictes du droit civil qui attribuent à chacun un nom précis depuis François premier, noté sur un registre par les prêtres du lieu qui doivent l’écrire en français, ni en latin ni surtout en gascon, cet ordre précis est généralement subverti et dessous on voit la profusion incroyable d’astuces, de règles coutumières qui surgissent, surnagent, apparaissent .

    La deuxième chose que je trouve c’est l’extraordinaire diversité des usages des noms selon les contrées :

     En France on ne doit pas dans le bon usage bourgeois appeler quelqu’un "Madame Claverie" par exemple (cela marque l’éducation populaire et même la grossièreté) alors qu’on doit dire simplement "Madame"
     En Angleterre tout aussi indo-européenne on est tenu de dire Mr Cameron, ou Mrs Thatcher, le nom s’impose dans chaque interpellation.
    Ceci pour dire que savoir comment on utilise les noms est tout aussi variable que savoir comment on impose les noms et ce qu’ils marquent : les rapports sociaux, les rapports d’intimité, le sexe etc...

    Bon, je suis trop longue excusez -moi mais je me suis prise au jeu de cette réflexion autour des noms et en cherchant à préciser ma pensée je me rends compte que cela devrait ouvrir des pistes intéressantes de recherches ...

  • Le nom de maison accolé au patronyme, que ce fut pour les hommes ou pour les femmes, était une très bonne chose. En effet, les paroisses affichaient une telle homonymie qu’il était très difficile de s’y retrouver. Les prêtres qui devaient veiller à ce que les unions ne soient pas incestueuses, pouvaient avoir des difficultés, surtout quand leur nomination était récente.
    Malheureusement pour les généalogistes, ce nom de maison n’était pas partout rappelé.
    .

  • A propos des prénoms trouvés par Dominique sur les registres de Chalosse, je crois utile de rappeler que "Sebé" est le "Sever" de Saint-Sever, que je pense accentué sur la première syllabe, donc "Séver" en graphie alibertine :
    www.gasconha.com/spip.php ?page=prenom&id_prenom=1009

  • Une étude un peu jargonnante mais intéressante sur les noms de maisons dans la "moyenne française" :

    https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2003-3-page-483.htm

  • Dans cette étude de Cairn que j’ai parcourue plus qu’à la va-vite (à la diable,dit-on dans ma famille -et ailleurs ?-), ce qui me semble une perle d’ignorance francilienne :
    "Que désigne par exemple Esquirol : le médecin toulousain qui fut « l’un des fondateurs de la clinique et de la nosographie psychiatriques » ? Un lieu-dit du sud de la France ? "
    Je n’ai pas de dictionnaire occitan sous la main (d’ONG,dirait Jan deu Peyroutou) mais je suppose que si en gascon "lo gat esquiròu " désigne l’écureuil, l’"esquiròl" dans la langue soeur désigne le même animal et ça n’est pas venu à l’idée du rédacteur de l’article.O ignorance des savants !

  • Le nom de la maison (avait) une grande importance en Chalosse et ailleurs. De plus il permettait de situer rapidement l’individu, géographiquement, de repérer toute sa famille, voisins, etc. Il n’y a pas si longtemps on disait "lou Pierre de Perbos, lou Jean de ... etc. Mais "numerue "et bien d’autres choses sont passées par là.


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