La veuve A…, née en 1850, à Saint-Girons... Vincent P.

- Vincent P.

Source :
http://taban.canalblog.com/archives/2013/02/07/26360074.html

La veuve A…, née en 1850, à Saint-Girons (Ariège), parlant médiocrement le français usuel, ne sachant ni lire ni écrire ; intelligence au-dessous de la moyenne.

On lui parle le langage de Saint-Girons qu’elle reconnaît pour celui de son pays. Puis, prenant pour centre la région où domine cet idiome, on lui parle successivement les patois des régions environnantes, en procédant par cercles concentriques.
Si, comme on le prétend, les parlers de toute la France se perdent les uns dans les autres par des nuances insensibles, la différence entre un parler quelconque pris pour centre, et chacun des patois qui l’entourent à la même distance, devra être égale en intensité bien que ne portant pas sur les mêmes traits.
En d’autres termes, si l’on prend successivement chacun des hommes formant les longues chaînes imaginées par M. G. Paris, chacun doit comprendre avec la même facilité son voisin de droite et son voisin de gauche.
Mais si, en quelques points, le voisin de gauche est mieux compris que celui de droite ou réciproquement, la fusion ne sera plus insensible et ce point marquera une limite linguistique.

Or, c’est ce qui arrive pour la veuve A… ; elle considère l’idiome du Médoc, éloigné de plus de 350 kilomètres de Saint-Girons, comme plus voisin de son parler que celui de Foix, qui commence à quatre ou cinq lieues de chez elle.
Je ne dis pas que la femme A… comprend mieux le premier que le second ; car, d’une part, le langage de Foix et celui de Saint-Girons sont parlés concurremment, mais non mêlés, à Saint-Girons même et par conséquent également compris ; et, d’un autre côté, il y a dans le dialecte du Médoc des mots inconnus dans l’Ariège ; mais la veuve A… reconnaît la parenté du médocain et de son propre idiome, s’étonnant qu’on parle presque comme chez elle dans un pays aussi éloigné.
C’est l’h initial pour f, la vocalisation du b dans certains cas qui m’ont semblé constituer aux yeux de cette femme la ressemblance entre son dialecte et celui du Médoc.
Elle distingue les patois de Foix, ceux de Pamiers et de Cintegabelle (Haute-Garonne) ; elle donne à tous le nom de toulousain.
Elle comprend un peu le catalan de Perpignan, qu’elle a entendu parler par des colporteurs ; mais pas du tout l’espagnol.
Elle distingue, parmi les dialectes d’oc, le provençal et le montpelliérain du toulousain et de son patois ; le limousin lui paraît un parler gabach ; elle le comprend avec quelque difficulté.
Elle n’entend à peu près rien aux dialectes d’oil, elle les appelle du franchiman ; c’est l’accent tonique qui paraît la dérouter.
Le français d’école qu’elle comprend tant qu’il exprime des idées qui lui sont familières, lui échappe complètement sinon quant à la signification des mots isolés, du moins quant au sens des phrases, même quand on lui lit de simples faits-divers.

Grans de sau

  • Plusieurs remarques :


     La compréhension interdialecte est distincte du sentiment de familiarité à l’endroit d’un dialecte.
    On peut comprendre le dialecte du voisin et pourtant rejeter qu’il s’agisse de la même langue.
    L’intercompréhension n’était pas un critère linguistique, elle n’est pas non plus un critère sociolinguistique.

    Bref, la locutrice du Couserans trouvera plus le dialecte du Médoc plus proche de son parler, pour autant, il est plus que probable qu’elle comprendra aussi bien, peut-être mieux, le parler de Foix, qu’elle dit "toulousain".


     La locutrice emploie le terme de "gabach" pour le limousin, de "franchiman" pour l’oïl populaire. Dans les deux cas, sensation d’étrangeté, même si dans le premier cas, il y a compréhension, probablement du fait que l’accent tonique du limousin reste de matrice oc.


     L’oïl populaire du 19ème siècle était largement incompréhensible pour quelqu’un qui possédait un peu le français standard. Nous parlons, en 2013, une langue artificielle, forgée dans les ministères.


     la locutrice de Saint-Girons ne semble pas employer le terme de "gascon" pour faire état de la similitude qu’elle perçoit entre son parler du Couserans et celui du Médoc, soit que l’enquêteur n’a pas poussé l’interrogation, soit comme je le pense, la locutrice vivait dans un monde clos, sans conscience de l’étendue de sa langue, qui fatalement n’était possible qu’en voyageant, ou alors via un patriotisme géographique populaire dont il est douteux qu’il ait été du fait de la population la plus humble.

    Pour prendre un exemple, il est assez clair qu’un paysan souletin du début du 19èe siècle n’était pas précisément au fait que l’on parlait le basque vers Llodio en Alava. Pure conjecture de ma part. Pour autant, le Souletin dira qu’il parle "üskaldün" : je suis persuadé que la locutrice de Saint-Girons aurait pu sortir le mot de "gascon".


     Il est clair qu’il aura manqué dans la seconde moitié du 19ème siècle un mouvement qui aura su parler aux enfants de cette locutrice, en articulant autour de ces intuitions, le fait nationaliste gascon. Nos élites ont préféré le félibrige provençal.

  • Et oui, nos élites de la petite bourgeoisie provinciale gasconne, les notables locaux quelque peu lettrés ont choisi le félibrige provençal et non une revendication proprement gasconne. Leurs successeurs et héritiers occitanistes gascons leur ont emboité le pas en ne choisissant pas non plus la Gascogne mais l’occitanisme à tropisme languedocien.
    On a raté deux fois le coche, deux erreurs stratégiques d’une extrême gravité pour l’avenir, c’est beaucoup, c’est trop. Nous ne nous en sommes toujours pas relevés et il est peu probable que nous nous en relèverons un jour. Leur responsabilité devant l’Histoire est accablante.

  • Sonqu’entà díser aqueth mòt de "gascon" entà l’identitat qu’es plan coneishuda en Arièja. Pr’exemple, los de Vic de Sòs qu’aperèvan los de Bèth Hag (Betchat) : "eths gascons".
    Qu’aví encontrat un vielh en lo Biròs que parlèva deus gascons quèn ralhèva sus le soa vath e de "l’Arièja" per Foix. Foix qu’èra l’Arièja, iths, non. E totun, qu’an 09 a le placa !

    Après, aqueth estudi qu’auré calut saber com èra estat hèit au juste. Qu’at disi sovent le gènt qu’an tendéncia de trobar lo parlar mè lunhèc com pròche e lo mè pròche com lunhèc. Pramon d’istoèras de rivalitats territoriaus tabé. Qu’i a hòrt de critèris que hentran en lo jòc. Qu’auré calut har aqueth estudi sus detzenadas de personas entà qu’estossi regorós.

    Pr’aver colectat parçans gascons en "f" au lòc de "h", aquò n’èra pas lo critèri permèr de dif’rença entau monde. Pr’exemple, Erce que podè díser "filha" e "Ost" "hilha", estar desseparats per 5 km, çò de mè marcant preu monde èra que disèn un mòt per díser "bêche" e los auts un aut. Pr’experiéncia, los locutors naturaus qu’arreboran suu vocabulari, pas goaire sus le sintaxa o le fonologia (encoèra que pusqui arribar en quauques mè sensibles que non pas los auts).

  • "Qu’at disi sovent le gènt qu’an tendéncia de trobar lo parlar mè lunhèc com pròche e lo mè pròche com lunhèc."
    Qu’ei çò qu’apèran en sociologia "lo narcissisme de la petitas diferencias" (la tendencia a’s voler diferenciar deu mei près per’mor lo mei luenhèc que pareish mensh miaçant).

  • Il est certain que le parler de Pamiers est plus proche de
    celui de l’Agenais que de celui du Couserans ; pourtant il parait qu’au Fossat ( à 20 km de Pamiers sur la vallée de la Lèze) on parle gascon .

    Aimé


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