Je continue à exploiter le trésor qu’est le livre "La moyenne Garonne - Agenais Bas-Quercy" de Pierre Deffontaines (Librairie Quesseveur, Agen, 2000 - réimpression de l’édition de 1932).
Dans la délimitation géographique de son objet d’étude, Deffontaines est amené à positionner la Gascogne, qu’il place au sud de l’Agenais. C’est p. 21 à 24.
La carte du début du livre, où "Gascogne" est au même niveau typographique que "Queyran", pourrait laisser penser qu’il ne reconnait pas la Gascogne dans toute son ampleur.
Peut-être, mais en tout cas, il a recueilli des traits (agricoles, vestimentaires, lingüistiques...) qui particularisent la Gascogne par rapport à "l’Agenais-Bas-Quercy".
Pour ce qui est de la langue, les traits relevés sont exacts. On peut donc penser que le reste est vrai aussi, et en féliciter Deffontaines, qui, de plus n’était ni gascon ni guyennais, et s’est donc comporté en observateur extérieur impartial.
Le lecteur remarquera que Deffontaines donne une frontière géographique de la Gascogne, sur la ligne des Graves, au sud de l’arribèra .
Cette frontière est donc plus en retrait que la frontière lingüistique extrême du gascon, mais correspond peut-être, c’est à rechercher, à des isoglosses du gascon.
Au delà de cette frontière, l’arribèra forme un espace intermédiaire entre l’Agenais et la Gascogne.
On pourrait la définir comme "gasco-guyennaise" ?
Toujours à propos de cette frontière des graves, on pourrait se demander si elle vaut jusqu’aux Graves du Bordelais. Cela placerait alors la totalité de l’Entre-deux-Mers en zone "gasco-guyennaise". Ce n’est pas aberrant.
J’ai lu par ailleurs que Deffontaines connaissait la Vasconie, puisqu’il y rattachait le type architectural de la "masia" catalane. Un bon point de plus...
Mais laissons lui la parole (les mises en gras sont de moi ; les notes qui apparaissent après "Fin de citation" sont bien de Deffontaines, et font donc bien partie de la citation, mais leur fonctionnement comme notes d’un texte SPIP entraîne cette contradiction) :
Début de citation du texte de Deffontaines :
"Les limites méridionales de la Moyenne Garonne sont encore plus difficiles à établir. Faut-il arrêter ces pays au cours de la Garonne ou bien leur attribuer toute la large vallée du fleuve, ou meme reporter la frontière plus au Sud à travers les coteaux de Gascogne ?
Si l’on considère les divisions politiques et administratives, on constate que les frontières chevauchent le plus souvent sur les deux rives de la Garonne, On déclarait dans le grand procès de 1552 sur les délimitations des provinces d’Agenais, Quercy et Périgord : « on a de tout temps ajouté au pays d’Agenais outre Garonne le comté d’Auvillars, le Brulhois, la Lomagne ».
Plus tard, les départements du Lot-et-Garonne et Tarn-et-Garonne mordirent tous deux sur la Gascogne ; cependant les pays garonnais se distinguent nettement des pays gascons, le paysage bocager s’éclaircit beaucoup au Sud de la Garonne ; le Gascon n’aime pas l’arbre [1] : différence de paysage qui témoigne des oppositions dans l’économie agricole ; la polyculture est moins variée en Gascogne ; l’arbre fruitier est rare, le vent d’autan lui est hostile, la culture des légumes est à peu près absente. Par contre, la vigne joue un plus grand rôle et donne des eaux de vie, (eaux de vie d’Armagnac).
L’ élevage est tout différent ; les bovins appartiennent à cette race rude et osseuse, à la robe gris-clair, aux longues cornes, qui constitue la race gasconne ; on n’est plus du tout ici sous l’influence du Massif Central qui a approvisionné la Moyenne Garonne, en bœufs de Salers jadis, en vaches limousines aujourd’hui. [2]
Le type de voiture rurale diffère ; au lieu de la voiture à deux roues de type occidental utilisée au nord de la Garonne, on emploie en Gascogne une voiture à quatre roues de type pyrénéen et montagnard.
Le patois change, autant dans la prononciation que dans le vocabulaire ; le gascon et l’agenais sont deux rameaux séparés dans le domaine des langues d’oc. [3]
Le costume aussi différait dans le chapeau, le pantalon et surtout la chaussure : en Gascogne, on utilisait la sandale à l’Espagnole ; en Agenais, on se chausse en bottines de cuir.
La Gascogne forme un tout géographique impossible à morceler ; la frontière qui passe à travers les plateaux gascons, laissant à l’Agenais la portion septentrionale est sans fondement géographique ; d’ailleurs, comme les démarcations purement historiques, elle a bien souvent varié au cours des temps.
LA BARRIERE DE LA GARONNE
La Garonne est-elle donc une barrière ? Durant toute l’histoire, elle a été une rivière sans pont et elle ne compte pas de ces villes équilibrées sur les deux berges, témoignage d’un actif passage, comme on en rencontre si fréquemment au long de la Loire : Agen, La Réole, Marmande sont localisées sur une seule rive et de même Moissac sur le Tam.
L’instabilité du cours du fleuve, la largeur et le danger de la plaine inondable, l’impossibilité d’établir des digues continues donnèrent au fleuve un rôle limite incontestable.
Aussi certaines frontières historiques s’appuyaient sur le fleuve. Du temps Strabon, la Garonne formait la limite septentrionale des Aquitains, c’est-à-dire des Ibères. [4]
Le fleuve séparait également les Nitiobriges (Agenais) au Nord, des Sotiates (Sos) et Lactorates (Lectoure) au Sud. Plus tard, la Novempopulanie s’arrêtait à la Garonne, de même la Spano-Gasconie du cosmographe de Ravenne.
Durant le Moyen Age, la province d’Agenais s’arrêta aux rives du fleuve à plusieurs reprises : THOLIN cite un acte du XIlIe siècle où l’Agenais est divisé en quinze baylies qui ne comprennent aucune ville au Sud de la Garonne.
En 1319, le pape Jean XXII forma le diocèse de Condom avec tout le territoire du diocèse d’Agen au Sud de la Garonne ; au XVIIe siècle, les frontières entre les généralités de Bordeaux, Auch et de Montauban suivirent également le cours de la Garonne ; certaines cartes de l’Agenais du XVIIe siècle donnent comme limite méridionale de ce pays la vallée de Garonne.
En 1715, l’intendant de Bordeaux, Lamoignon de Courson, écrivait : "Le pays d’Agenais est bordé d’un côté par la Garonne et il est traversé par le Lot".
Cependant, le cours d’un grand fleuve constitue difficilement une limite naturelle. La large vallée déblayée représente le plus souvent un domaine uniforme, exploité au moyen de genres de vie répandus également sur les deux berges.
Pour les riverains, les ribièrencs, le fleuve est un élément de rapprochement plutôt que de séparation ; les menus passages en bacs et barques suffisent à établir les liaisons ; une grande vallée ne peut aisément se couper en deux.
Cela est si vrai que les communes riveraines de Garonne se servent rarement du fleuve pour marquer leurs frontières ; malgré l’absence de ponts, elles ont des portions sur les deux rives. [5]
LA FRONTIERE S’APPUIE SUR LES TERRASSES DU SUD DE LA GARONNE.
Ce n’est pas le fleuve lui-même qui trace la limite, mais les anciens dépôts laissés par lui sur sa rive Sud.
Le large étalement sur cette rive de sables et de graves en terrasses étagées, provenant des déplacements successifs du cours vers le Nord, a flanqué la vallée de Garonne d’une zone de mauvaises terres favorables aux bois ; là seulement, une frontière trouvait un véritable appui.
Ces terres de grave forment une bande continue ; on dit : Saint-Nicolas-de-la-Grave, la Grave de Moirax, de Sainte-Colombe, de Caudecoste... L’ancien glissement du fleuve vers le Nord a, en quelque sorte, intégré la Garonne dans l’Agenais. Tous les ports importants sont de rive agenaise. Le fleuve s’est séparé de la Gascogne par les dépôts de ses anciens lits.
En certaines parties, ces dépôts se sont étalés au point qu’ils ont entraîné la formation de petits pays intermédiaires : Lomagne, Queyran, Brulhois.
La Lomagne est couverte de sables rouges et ferrugineux appelés rougeanel. Les bois taillis ou bousigues s’étendent sur plus de la moitié du pays surtout dans les communes de Lavit-de-Lomagne, Castéra ; beaucoup de boisements comptaient jadis de nombreuses charbonnières.
Dans le Queyran, le paysage est fourré d’innombrables boqueteaux de chênes, on trouve même une forêt de haute futaie de chênes, autour du Mas-d’Agenais, la forêt de Saint-Vincent. Jadis, les bois formaient une bordure presque continue au Sud de la vallée de Garonne et, aujourd’hui, les terres de cette zone se disent encore dans « le Bois ») ; beaucoup de communes en "ribière" avaient une annexe dans le « Bois ».
Au XIXe siècle, ces pays de grave ont été progressivement transformés en, terres de vigne.