Haut Armagnac - Pays d’Auch

Jegun

- Tederic Merger


 

Manadieu ? Maladieu ? + Le Gleisia

en graphie alibertine :

Manadiu ?
Prononcer "Manadiw"

Lo Gleisar ? Lo Glesiar ?
Lou Gleÿzà ? Lou Glézià ? Si c’est bien le suffixe -ar, son emploi est un peu (...)

glèisa / église

Près de la Gimbrère.
Etat major 19e s. : Manadière
Cad. napo. (TA, B1) : Manadieu

Je n’ai pas trouvé de toponyme semblable ailleurs en Gascogne.

Manadèr ? Manader ?
Prononcer "Manadè" ou "Manadé" selon le cas.


Ce qui pourrait s’en rapprocher le plus : les lieux "Manadé" (Aire sur Adour, Saint Lanne, peut-être Cierp-Gaud), mais ça ne nous avance pas beaucoup, car je n’explique pas non plus ce "Manadé" !

Nous avons reçu ceci, à propos d’un nom "Manadiou" apposé sur une maison en Bordelais :

Il y a, à Jegun (Gers) le lieu-dit appelé Manadieu, orthographié Maladieu dans le cadastre de 1688. Le toponyme est absolument rare, dans toutes deux formes : je n’ai trouvé qu’encore un lieu-dit, la Maladio, commune de Lauzerte ( Tarn-et-Garonne). Je n’ai pas pu trouver "manadiou" chez Jasmin, donc j’aimerais très beaucoup recevoir de directions.

Je suis en train d’explorer la possibilité d’une racine wisigothique, s’approchant au vieux mot galicio-portugais maladío. À continuer ...

Une première réponse : "Maladio" est probablement d’une racine différente de "Manadieu", parce qu’il n’y a pas de passage naturel de le l à n. Seule une erreur de transcription pourrait créer un tel passage.
Je n’ai pas pu accéder à cette attestation "Maladieu" dans "le cadastre de 1688". De quel cadastre s’agit-il ? Je n’ai pu consulter que le cadastre napoléonien (voir plus haut), qui date du 19e siècle.


 

Grans de sau

  • Il s’agit du Cadastre de Jegun AD du Gers E Suppl 5847 de 1688 :
    Les extraits pertinents :
    Jean Peyret fils de George tient …
    Plus terre, pred et bousigue au Gleisia et à Maledieu, C L chemin publiq, M terre de Monsieur d’Auxion, du sieur Jean Daubas, de Pierre Lane, C terre et pred dudit Daubas, héritiers du sr Benquet et de Jean Lane Pompet, Sepon chemin publiq et pred du sr Brandelis Espiet et de ses héritiers ; cont doutze conq trois qns trois boisseaux un q,
    Plus …
    (folio 105v)

    Heretiers du sieur Blaise Benquet tienent en la juridiction de Jegun pred à Maladieu, C L et Midy terre et pred de Jean Peyret, C pred de sieur Brandelis Espiet, Sepon terre de Jean Lane ; contenant deux qns trois boisseaux deux tiers,
    Plus terre et pred à Maladieu, C L terre et pred du sieur Brandelis Espiet et de Jean Lane Pompet, M pred dudit Lane, Sepon chemin publiq, C avec la juridiction de Bonas ; contenant une conq deux qns deux boisseaux trois qs,
    Plus terre audit lieu C L terre de Jean Peyret, M terre de sieur d’Auxion, C la juridiction de Bonas, Sepon terre de Pierre Lane ; contenant trois qns deux boisseaux.
    (folio102r)

    [Brandelis Espiet] Mart tient …
    [Plus tient p]red à Maladieu, C L et C pred des héritiers du sieur Blaise Benquet, M terre [et pred] de Jean Peyret, Sepon terre de Jean Lane Pompet ; Cont une conq deux boisseaux […] et demy,

    (folio 6r-7r)

    Jean Lane Pompet tient …

    Plus terre à Maladieu, C L terre de Jean Peyret, M et C terre et pred des héritiers du sieur Benquet et du sieur Brandelis Espiet, Sepon chemin publiq ; cont une conq une cartan trois boisseaux demy,
    Plus terre et pred audit lieu, C L et Sepon terre et pred de Jean Peyret et des héritiers du sieur Blaise Benquet, M terre de Pierre Lane, C avec la juridiction de Bonas ; cont une qn trois boisseaux et demy, [ajout >1688 : est en Bonnas]
    Plus …
    (folio 97v)

    Pierre Lane et héritiers Manaud Lane tienent …
    Plus terre à Maladieu, C L et Sepon terre de Jean Peyret, M terre des héritiers du sieur Benquet, C avec la juridiction de Bonas ; cont trois qns deux boisseaux deux tiers.
    (folio 97v)

    • C’est une chance d’accéder à une source aussi ancienne !
      Puisque c’est, à chaque citation, la forme "Maladieu" qui est écrite et que c’est la source la plus ancienne dont nous disposons, il faut prendre cette forme au sérieux.

      De plus, "Maladieu" est mieux explicable que "Manadieu" :
      « maladìu,-ibe C. malaudioùs plus usité. » dit Palay.
      Ce lieu-dit signifierait tout simplement maladiu, forme d’oc très proche du français maladif, et ayant la même signification. Palay nous dit que ce n’était pas forme la plus courante, mais il suffit qu’elle existe.
      Est-il acceptable qu’un lieu prenne le nom "Le Maladif" ? Ce n’est pas courant, mais je trouve :
      32173 Labrihe A MALAOUTOUN ("malaoutoun" / malauton doit bien dire "petit malade" !)
      Curieusement, il y a plus de lieux-dits signifiant "Maladie" (Malaoutio, Maladio...) que de lieux signifiant "Malade" ou "Maladif" ; notre lieu "Maladieu" de Jegun serait un des seuls !

      Je modifie le titre du lòc en "Manadieu ? Maladieu ?" parce qu’il faut rester prudent et garder une place au doute et aux recherches futures.

  • Oui, je comprends la prudence en ce qui concerne l’orthographe. Très sage, la retention des deux formes. Quant au "maladif", ce qui sème un peu de confusion c’est l’absence de l’article défini dans le toponyme. On l’a toujours appelé "à .." et jamais "au", ce qui me semblerait plus logique pour le sens suggéré par Palay.

    • Oui, "au Maladieu" serait plus logique que "à Maladieu", pour un toponyme qui serait en français "Le Maladif" (qui donnerait donc "au Maladif" dans le texte) ; les documents ci-dessus écrivent d’ailleurs "au Gleisia" pour un autre toponyme dont la signification était probablement connue elle aussi à l’époque.
      De nos jours, l’oubli de l’article est beaucoup plus courant, puisque le sens des toponymes gascons est souvent méconnu.

  • Exactement ! C’est donc déjà en 1688 que le sens du nom serait méconnu. On a parlé le gascon plutôt que le français à cette époque, il me semble. Il s’agit d’un lieu d’ancienneté : la parcelle directement au sud de Maladieu est appelée, comme on a vu, au Glesia et la parcelle encore directement au sud d’au Glesia est appelée à Vidalhan (ad Vitalianum). Au Glesia porte une nécropole tardo-classique ou paléo-chrétienne en dessus des traces d’une villa gallo-romaine (dont Vidailhan). L’endroit a connu la chapelle St-Sernin de la Gimbrère.
    Quant au toponyme le Gleysia, voir le texte d’un article de ma main encore à paraitre (je m’excuse pour la longueur, mais je pense que sa lecture montrera la pertinence) :
    L’archéologue Fabien Colleoni constate que « le toponyme Gleysia et ses multiples dérivés correspondent de façon assez systématique à des habitats gallo-romains (16 villae et 5 fermes pour 11 sites mal caractérisés), le plus souvent de grandes dimensions. » Il constate aussi que Gleysia et les autres dérivés de l’étymon ecclesia suggèrent, à l’évidence, la présence d’une église. Il donne en effet huit sites portant le toponyme Gleysia étant en association assurée avec une église et son hagio(topo)nyme. Ainsi Fabien Colleoni a ajouté à la connaissance sur l’étymon comme recueillie et commentée par Henri Polge. Polge a constaté que le mot lo Gleysia est dérivé du mot ecclesiare, avec chute du -r final, et pas du mot ecclesia, étant la gleyso en gascon. Il a noté l’absence remarquable de traces d’églises aux fouilles sur les sites appelés Gleysia. C’est donc avec les huit sites que Colleoni a décrits qu’il comble cette lacune. Colleoni a trouvé que « ces chapelles rurales devaient être assez systématiquement associées à de nécropoles, comme le suggèrent des découvertes funéraires sur 70 sites … » Des huit sites appelés le Gleysia décrits par Fabien Colleoni comme ayant une association assurée avec une église, trois ont même retenu leur hagiotoponyme : le Gleysia de Saint-Jean, le Gleysia de Saint-Pé et le Gleysia de Sainte-Gemme. Ainsi on voit le mot gleysia même comme un nom commun, et non pas seulement comme un nom propre, comme aussi a constaté Henri Polge, qui a découvert la mention suivante dans un cadastre du Pergain (commune de Pergain-Taillac) de 1668 : « la communauté tient […] le semetière, plus esglize et semetière à Peyrolade, plus gleyzia au Nena, plus patus et gleyzia à St-Aubin. »

  • (Continué)
    Pierre Sillières a remarqué sur la relation uilla – église : « tous les gisements antiques importants de la commune de Fourcès et d’Eauze ont donné naissance à une église. » Il y a quelques belles exemples qui montrent le développement des uillae de la fin de l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge central. Le site du Gleyzia d’Augreilh à Saint-Sever (Landes) est implanté sur la dernière terrasse alluviale de l’Adour. Sur ce site sont mis au jour les vestiges d’une uilla importante, établie dans le deuxième tiers du IVe siècle. Une nécropole s’est installée dans les ruines de cette demeure, à une date indéterminée. La partie de la nécropole mise au jour à l’intérieur de la uilla semble avoir connu un développement important entre la fin du VIIIe et la fin du Xe siècle. L’implication est que la résidence de l’Antiquité tardive aurait continué assez longuement – au moins en partie - à être occupée. Le fouilleur de la uilla et de la nécropole a associé la nécropole à l’église disparue de St-Pé de Mazères ; aucune trace d’un bâtiment cultuel a été trouvé sur le site de la uilla même. Il se peut donc qu’une partie de la uilla a fonctionné comme chapelle jusqu’à la tombée en ruines de celle-ci. Ensuite, ou en parallèle, une église est bâtie en proximité, cas comparable à celui de Séviac, ici au Gers. Le site de Cassan à Ordan-Larroque (à 7 km au sud de la Gimbrère, Jegun), en proximité de l’ancienne église St-Brice, aujourd’hui disparue, est comparable (soit-il que le toponyme le Gleysia y semble manquer). L’abbé Breuils, rendant compte de ses prospections et fouilles de la uilla gallo-romaine au Glésia (Montréal-du-Gers) à la fin du XIXe siècle, décrit encore une situation très comparable, avec la combinaison d’une uilla, une nécropole (en deux parties comme à la Turraque, Beaucaire ?) dans la uilla, le toponyme le Glésia et la proximité immédiate de l’église disparue de Ste-Marie de Lasserre. Pareillement, Jacques Lapart décrit les vestiges d’une uilla gallo-romaine avec nécropole située sur une parcelle appelée le Gleiza, possiblement en relation avec l’église disparue de St-Pierre d’Aumano, proche à la grange cistercienne du Mian (Valence-sur-Baïse).

  • (continué)
    Ainsi se révèle un processus qu’on peut schématiser pour une grande partie de la Gascogne :
      phase 1 : le propriétaire gallo-romain de la uilla fondait une chapelle dans l’une des pièces de sa uilla, la chapelle étant dédiée (au fil du temps) à l’un des saints de l’Église ; les sépultures de la familia du propriétaire restaient situées à la nécropole d’origine de la uilla.
      phase 2 : la forme d’habitation de la uilla change, désormais plusieurs familles y habitaient, mais la chapelle reste en fonction ; les habitants débutaient à ensevelir leurs décédés à la proximité directe de la uilla, voire de la chapelle. On voit les premières sépultures des hommes et des femmes éminentes de la uilla dans la chapelle.
      phase 3 : les habitants quittaient la uilla, mais maintenaient la chapelle ; les sépultures avaient désormais lieu dans les pièces de la uilla effondrée, au plus proche de la chapelle et des sépultures des éminents. La nécropole caractéristique s’installe.
      phase 4 : est bâtie une église en proximité pour remplacer la chapelle ne pouvant plus être maintenue, les sépultures se maintenaient dans la nécropole (une tradition qui continue jusqu’au XVIIIe siècle : les sépultures dans les tombeaux des ancêtres dans les ruines de l’ancienne église). La nouvelle église emportait la dédication au saint et les gens cherchaient à différentier les deux endroits en les accordant des toponymes : l’église « nouvelle » devient la gleyso, et la nécropole, ne portant plus l’église proprement dite, devient le lieu où se réunit la congrégation des vivants et des morts : lo gleysia(r) (de ecclesiare, faire congrégation : le verbe latin tardif ecclesiare signifie convoquer).
      phase 5 : l’Église ordonnait (XIIe siècle) que les sépultures sont à effectuer dans le cimetière consacré autour de l’église fonctionnante. Les éminents du temps continuaient à chercher leurs sépultures en front de l’autel, mais dans la nouvelle église. Lo gleysia était abandonné, sauf peut-être pour les célébrations annuelles du Jour des Morts ; il reste à être un lieu de mémoire.
      phase 6 : la « nouvelle » église, elle aussi, tombait en désuétude, par manque de paroissiens ou de moyens pour la maintenir (naissance des castelnaux, la Peste noire, changement d’attribution des dîmes) ; au fil du temps, le site de cette église ne reste que comme lieu de mémoire avec le toponyme la gleyso, un hagiotoponyme, ou même pas du tout. Lo gleysia était oublié comme lieu de mémoire mais pouvait rester comme microtoponyme. Aux quelques endroits, c’est lo gleysia qui maintient le hagionyme, l’église étant oubliée complètement.

    • L’explication des phases est convaincante, et vient avec une explication du i de glesiar* qui posait un petit problème : glesiar n’est pas gleisar, même s’il est tentant de voir dans ces deux formes deux variantes du même mot.
      Je vais voir comment rattacher ces grans de sau au nom normat Lo Gleisar ? Lo Glesiar ?.

      Il n’y a pas pour l’instant de lòc créé sur Gasconha.com pour Gleisia à Jegun, parce que ce lieu-dit n’apparait pas ni sur les cartes que j’ai vues ni dans la liste du FANTOIR. Mais l’attestation fournie plus haut est suffisante.

      * lo gleysia(r) (de ecclesiare, faire congrégation : le verbe latin tardif ecclesiare signifie convoquer).

  • Merci, Tederic ! Non, pas de lòc au Glesia à cet endroit de Jegun. Le cadastre de Jegun de 1758 déjà ne contient plus ce toponyme, c’est seulement dans la mémoire des habitants de Manadieu que ce toponyme a survécu. Le propriétaire l’a raconté à l’archéologue qui l’a noté, et ensuite j’ai pu le retrouver dans le cadastre de Jegun de 1688. C’est pareil pour Vidailhan : présent dans le cadastre de 1688, absent depuis le cadastre de 1758.


Un gran de sau ?

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