Créonnais Entre-deux-Mers

Camiac-et-Saint-Denis

- Vincent P.


 

Lou Nick

C’était hier soir, je me promenais en voiture dans le Bas Entre-deux-Mers, l’Entre-deux-Mers véritable, bordelais au sens de l’évêché historique, qui ne touchait pas même Branne et Sauveterre, qui étaient en Bazadais.

Sur ma gauche, une maison somme toute banale, des années 50 vraisemblablement : si ce style n’est pas d’une grande qualité architecturale, il a le mérite de m’émouvoir, car il est pour partie celui de mon environnement familial, et il a porté, parfois, une touche locale, vaguement néo-landaise.

J’ai appris, à force de promenades, à repérer immédiatement les appellations sur les maisons (il faut dire que je regarde toujours au fronton des maisons ce qu’il y a d’inscrit), et là, j’ai aussitôt vu un "Lou" quelque chose : à moins que le premier propriétaire n’ait été surnommé "Lou", il est clair que j’ai là du gascon. Je freine brusquement avec ma voiture, je m’arrête sur le bas-côté, et je m’en vais parler à la dame, qui se trouve devant sa maison.

Madame a l’accent, c’est encore assez standard pour quelqu’un dans la soixantaine : si Créon est aujourd’hui une banlieue de Bordeaux, nous sommes suffisamment loin de la ville pour que l’environnement sonore marque l’accent tonique. Je lui demande l’origine de cette inscription en fer forgé, que je déchiffre enfin en m’approchant : "Lou Nick".

"C’est du patois de la Benauge", qu’elle me dit. C’est intéressant. Non pas qu’elle utilise le mot de patois, c’est tout à fait attendu. Ce qui l’est plus, c’est qu’elle inscrit ce "patois" dans un contexte de petit pays, ici la Benauge. C’est la preuve que l’échelle sentimentale pour beaucoup de gens, ce n’est ni la commune (trop petite), ni le département (trop vaste), c’est le petit pays, en gros la taille des anciens cantons, ou un peu plus gros.

Je vérifierai en rentrant chez moi, mais ainsi que je le présageais, Camiac n’était pourtant pas en Benauge, du moins pas si je me fie aux cartes que l’on peut trouver sur Gallica. Je regrette du coup de n’avoir pas fouillé la question plus en avant avec mon interlocutrice : qu’était la Benauge pour elle ?

"Et vous le parlez, le patois ?". Je connais la réponse, évidemment : non. Plus personne ne parle le gascon en Entre-deux-Mers, ce nord-gascon très typé et métissé de formes périgourdines, sauf rares exceptions. Les enquêteurs de l’Atlas linguistique de Gascogne, dans les années 50, exprimèrent déjà leurs difficultés à trouver de bons locuteurs en ces lieux. Alors 60 ans après ...

Mais si la dame de la maison "Lou Nick" ne parle pas patois, elle sait ce que le nom signifie, car il fut donné par ses parents : c’est "Le Nid". Je la remercie de cette information (que j’avais devinée) et lui demande une dernière faveur : est-ce que je peux prendre sa maison en photo ?

Pareilles inscriptions, c’est avec l’accent des derniers autochtones en ces endroits bouffés par les pavillons néo-californiens des années 2010, quasiment le dernier témoignage de l’ancienne langue des lieux, toponymie exceptée. Très souvent, au détriment d’un nouveau propriétaire, ces témoignages sautent, car ils ne sont plus compris ou ne s’inscrivent plus dans une histoire familiale. C’est évidemment un phénomène contre lequel lutter, en sensibilisant les nouveaux venus comme les enfants du pays aux sonorités anciennes de la contrée.


 

Grans de sau

  • Il faut dire que le concept de Benauge est encore présent chez des gens pas trop-trop vieux dans l’Entre-deux-Mers. Grâce à l’appellation viticole et à des appellations touristiques comme le moulin du Haut-Benauge (qui, soit dit en passant , se trouvait pourtant dans le Bazadais historique), ça ne va pas se perdre totalement.


Un gran de sau ?

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